Un an et demi après sa première apparition triomphale, « Starmania », l’opéra rock culte créé en 1979 par Luc Plamandon et Michel Berger, et revisité par Thomas Jolly, était de retour du 5 au 8 décembre à la Sud de France Arena de Montpellier. . L’occasion de vérifier que malgré la noirceur absolue de son intrigue, ce spectacle total supporte très bien le revoyage… mais pour cela, il faudra désormais se rendre à Marseille ou à Nice, et se dépêcher : après, c’est fini !
Depuis quarante-cinq ans on chante sur les toits qu’il se passe quelque chose à Monopolis, oui, quarante-cinq ans depuis Starmania est entrée dans nos vies, et plus particulièrement dans nos oreilles… et y a clairement élu domicile ! Créée le 8 novembre 2022 à la Seine musicale à Paris, la nouvelle version de Thomas Jolly de l’opéra rock imaginé par Luc Plamondon et Michel Berger a cartonné partout, y compris à Montpellier en avril 2023. Elle était de retour du 5 novembre au mois de novembre. 8 à la Sud de France Arena pour une saison 2, nous sommes donc allés vérifier qu’il se passait bien encore quelque chose dans la capitale de l’hémisphère occidental et surtout chez nous. son exploration répétée. Alerte spoiler : oui !
La première surprise est – désolé pour cette considération bassement statistique – comptable : la représentation à laquelle nous assistons (samedi 7 décembre, 15 heures) n’est pas complète. Sans doute, en raison des -, ceux qui sont absents font leurs cadeaux… tandis que le plus spectaculaire des cadeaux offerts a été déballé à quelques pas d’une zone d’activité consumériste…
Pour mémoire, cette nouvelle mise en scène de Starmania est une constellation de grands noms sans équivalent dans le monde du spectacle : outre Thomas Jolly, choisi avant d’être nommé directeur artistique des Jeux Olympiques (avec le succès que l’on connaît), il s’agit du grand chorégraphe flamand Sidi Larbi Cherkaoui. (directeur du Ballet du Grand Théâtre de Genève), Victor Le Masne, magicien de studio parmi les plus cotés de la pop française (il a écrit l’hymne des JO 2024 !) comme directeur musical, Nicolas Ghesquière, l’influent styliste Louis Vuitton pour la création des costumes, Emmanuelle Favre à la scénographie (qui a occupé ce poste de la Scala de Milan au Nouveau Théâtre de Tokyo en passant par l’Opéra Garnier) et Thomas Dechanon (créateur lumière sur les immenses Indochine et Chimique Brothers shows) créant des éclairages. Bref, il y a du beau monde à l’intérieur de ce cadeau de fin d’année.
Un mélange de Trump et Musk
Un cadeau de fin du monde aussi ! Si la justesse allégorique du livret écrit par Luc Plamondon nous avait étonné il y a un an et demi, aujourd’hui sa pertinence nous frappe encore plus durement. Il est en effet impossible de voir chez Zéro Janvier, l’homme le plus riche du monde candidat à la présidence de l’Occident, la synthèse de Donald Trump et d’Elon Musk jusqu’à la fusion du discours isolationniste et sécuritaire du premier et du discours techniciste et post-humaniste de la seconde. “Quand nous aurons vidé le fond des mers, nous serons prêts à vivre ailleurs que sur Terre, et la prochaine capitale sera une station spatiale”» clame lors de son meeting, le populiste qui aurait voulu être un artiste dans un délire grandiose de lumières robotisées (faut-il rappeler que Donald Trump est souvent apparu à l’écran, le petit, le grand, et qu’il a été le star d’une télé-réalité ?).
Antagoniste de ce protofasciste, les propos de “marabout guru” (personnage supprimé dans les versions données en 1988 et 1993) ne résonne pas seulement avec les aspirations écologiques actuelles ; dans sa dérive sectaire, il nous invite à réfléchir sur le fanatisme qui menace ce que certains s’empressent de qualifier aujourd’hui d’éco-terroristes. Que dire aussi de Johnny Rockfort, dont Thomas Jolly dépeint d’emblée et sans détour l’ultra-violence : sa volonté de tout casser renvoie au nihilisme des Black Blocs, et lorsqu’il s’attendrit au contact de Crystal, son otage qu’il était pourtant malmené (séquence brillante de l’enlèvement diffusée en direct sur images trouvées sur écran géant), une présentatrice happée par le vide criard de son émission de télé-réalité (qui s’appelle Starmaniaau cas où…), c’est elle qui le pousse à commettre un attentat.
L’obsession généralisée de la notoriété
Ziggy, l’attachant fan de David Bowie, mais surtout l’archétype candide de ce désir de notoriété généralisé très contemporain, envoie sans ménagement Marie-Jeanne, la serveuse automate, pour la gloire promise par le poste de disc-jockey dans la soirée club de Zero. Janvier. Certes, cette discothèque est trop stylée (la structure mobile au cœur du spectacle est au sommet de son effet en ce moment) mais son nom aurait quand même dû signaler un tout petit problème : Naziland ! Il y a aussi Stella Spotlight, le sex symbol qui a dit au revoir: lucide sur son égoïsme comme sur celui de son époque, jusqu’au cynisme le plus terrible, elle concède se rapprocher de l’homme le plus riche du monde, le tristement célèbre Zéro, rester encore un peu dans la lumière… avant d’effectuer la sortie la plus définitive. Le rêve de Stella est un suicide choquant.
Même lors d’une seconde vision en moins de deux ans, on reste frappé par la présence insistante de la mort dans Starmania, une dystopie clairvoyante qu’Hollywood n’oserait pas adopter aujourd’hui. Heureusement, il y a la douce Marie-Jeanne, la serveuse automate. La générosité de son regard envers son prochain ouvre les yeux et délie les cœurs depuis quarante-cinq ans (Ziggy). Et surtout, il nous offre les trois soupirs philosophiques les plus mélodieux de la chanson française, toujours d’une aide quand on ne sait plus : Les uns contre les autres, Petite prière terrestre et bien sûr, Le monde est défoncé.
C’est par elle, et avec elle, témoin solitaire de la folie des hommes, silhouette sensible dans l’épaisse et pâle fumée de la catastrophe, que Thomas Jolly a choisi de conclure son Starmania. “Je n’ai plus envie de me battre, je n’ai plus envie de courir comme tous ces automates qui construisent des empires que le vent peut détruire comme des châteaux de cartes.” Les artistes reviendront peut-être ensuite, tout sourire, recevoir notre ovation, et chanter à nouveau un extrait de leur morceau le plus célèbre, à la fin, nous quitterons la salle, les entrailles nouées, le cœur brisé… et la tête éclatée. Quelque chose s’est encore produit à Monopolis…