Selon lui, la situation actuelle révèle une fragilité alarmante en termes de sécurité alimentaireune sécurité qui pourrait être sérieusement menacée dans un avenir proche si des mesures énergiques n’étaient pas mises en œuvre. « Il faut anticiper les crises à venir, car l’insécurité hydrique peut vite se transformer en insécurité alimentaire », prévient M. Jalil. Le Maroc, avec ses différentes initiatives comme le Plan Maroc Vert et le Plan national de l’eaua déjà pris des mesures importantes pour relever ces défis. Mais une approche holistique intégrant l’étude des interrelations entre les différentes politiques publiques est essentielle, insiste l’expert. M. Jalil souligne également l’urgence d’adopter une vision à long terme dans la gestion de ces crises. « Les défis du stress hydrique et de l’insécurité alimentaire nécessitent une perspective de 30 à 40 ans, bien au-delà des cycles électoraux de cinq ans », dit-il. Cette vision doit transcender les considérations politiques étroites afin de construire des infrastructures et politiques durables.
Variabilité climatique : faut-il s’inquiéter ?
L’expert ne manque pas de constater l’impact évident de la variabilité climatique sur l’agriculture qui alimente les inquiétudes concernant sécurité alimentaire. En effet, depuis près de sept ans, le fluctuations climatiques au Maroc ont des conséquences dévastatrices sur la secteur agricole. Les quelques cycles pluvieux observés sont de plus en plus imprévisibles, remettant en cause la fiabilité des prévisions de récoltes. « Le fait est que nous sommes en détresse et que nous subissons les effets d’une intense variabilité climatique depuis près de sept ans. Cette année s’annonce également difficile, comme le montrent les tendances climatologiques enregistrées jusqu’à présent. Malgré quelques épisodes pluvieux, nous avons observé un retard dans les précipitations qui, plutôt que d’être régulières, se sont manifestées sous forme d’orages sporadiques. Ces phénomènes ne font que souligner changement climatique dont nous sommes tous témoins », explique M. Jalil.
L’expert constate à cet égard une anomalie frappante : « Actuellement, nous vivons une canicule inhabituel pour le saison d’hivere. Cela soulève des questions sur la normalité de ces fluctuations climatiques. Les températures que l’on observe en novembre à Casablanca par exemple sont bien au-delà des valeurs habituelles pour cette période. Ce qui est perçu comme normal ou anormal doit être mesuré à l’aune des données climatiques établies sur 30 ans », précise-t-il.
Mais tout en concédant qu’il est normal d’observer des variations climatiques sur une période plus ou moins longue, M. Jalil note que le passage d’un temps froid à un temps intensément chaud sur une courte période fait partie des indicateurs d’accentuation du changement climatique. “LE changement climatique n’est pas seulement lié à la réduction des précipitations ou à l’augmentation des températures à long terme. C’est aussi l’expression d’un bouleversement dans thermodynamique de l’airplongeant les régions dans des conditions climatiques extrêmes », dit-il.
A titre d’illustration, l’expert mentionne phénomènes climatiques Récent : « Parfois, nous ressentons de l’air chaud sans soleil, ce qui semble contre-intuitif. Cela témoigne d’un changement fondamental dans la circulation atmosphérique et du mouvement des masses d’air qui devient imprévisible. On peut observer une cohabitation de masses d’air sec dans une période où on devrait avoir de l’humidité, et inversement », explique l’invité de « L’Info en Face ». M. Jalil prévient ensuite que ces variations, bien que naturelles dans une certaine mesure, sont amplifiées par le changement climatique. « La variabilité climatique est exacerbée par les effets des activités humaines. Il est impératif de reconnaître cette nouvelle réalité et d’agir en conséquence pour atténuer le stress que cette crise croissante peut générer », recommande-t-il.
Crise de l’eau : d’une gestion réactive à une gestion proactive
Le Maroc est confronté à des défis importants en termes de gestion de l’eauet ce constat est indéniable. Selon Mohamed Jalil, des études scientifiques prévoient une diminution significative des précipitations au niveau national, une tendance qui semble perdurer. Certaines régions pourraient même enregistrer des baisses précipitations atteignant jusqu’à 30%. Ce phénomène s’accompagnerait d’une hausse des températures, entraînant une augmentation de l’évaporation des réserves d’eau et un processus de dégradation des sols qui compliqueraient encore davantage la situation. « Nous sommes à un tournant difficile ! » déclare-t-il. « Nos politiques de gestion de l’eau sont devenues obsolètes face à l’évolution des modes de vie, démographie et conditions climatiques. Les décideurs marocains n’ont plus le choix, ils doivent agir vite », prévient l’expert.
Cependant, la nécessité de renouveler ces politiques se heurte à des enjeux environnementaux complexes, chaque décision ayant un impact sur l’écosystème. Qu’il s’agisse de construire un barrage ou installer des unités de dessalementchaque étape doit être soigneusement calculée. « Les impacts environnementaux doivent être considérés sérieusement », souligne M. Jalil, insistant sur le fait que ces choix ne doivent pas être dictés uniquement par des considérations économiques, mais aussi écologiques. Ceci est d’autant plus important que le Maroc envisage de diversifier ses sources d’approvisionnement en eau en se concentrant à la fois sur barrages – une nécessité malgré la faible pluviométrie – et sur les technologies de dessalement. Avec ses 3 500 km de côtes, le pays a la possibilité d’exploiter leeau de merbien que cela puisse entraîner des conséquences écologiques, notamment par le rejet de saumures dans leocéan.
« D’ici 2027, nous prévoyons d’installer plusieurs usines de dessalement, mais il faut aussi anticiper les effets néfastes que pourraient avoir ces saumures sur les écosystèmes marins », explique l’expert. Il cite en exemple l’usine de dessalement de Casablanca, où quelque 300 millions de mètres cubes d’eau douce seront produits annuellement, entraînant le rejet de quantités équivalentes de saumure, ce qui pourrait nuire à la santé des milieux aquatiques. Pour résoudre cette équation, M. Jalil appelle à un changement de paradigme de la simple gestion de crise à la gestion des risques : « Nous devons être proactifs et rigoureux dans notre approche. Le Maroc doit développer des solutions innovantes tout en protégeant ses ressources naturelles », conclut-il.