« On sent que les gens sont à bout de souffle » – Libération – .

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« On sent que les gens sont à bout de souffle » – Libération – .

Frictions politiques

Jusqu’à la veille du premier tour des élections législatives, « Libé » parcourt les lieux de la vie quotidienne pour capter et raconter ces instants de discussion impromptue où, soudain, la politique éclate.

Une bâtisse sans charme, face à la mairie en pierres blanches typiques de la région. A l’intérieur, les locaux flambant neufs sont partagés entre le guichet France Services et la police municipale de La Tremblade (Charente-Maritime). Une entrée chacun. « Entrez sans frapper »», prévient la porte de France Services qui s’ouvre sur une grande salle d’accueil dotée de quelques chaises, de cinq ordinateurs et d’une imprimante. Au mur, une affiche de France Travail, une autre pour « un atelier pour bien vieillir » ou pour la journée portes ouvertes d’un jardin partagé. Plus loin, les prospectus de toutes les administrations – France Travail, Sécurité sociale, impôts, etc. –, pour lesquelles des démarches peuvent être effectuées sur place.

Marie-Christine, 62 ans, cheveux courts et lunettes roses, arrive quelques minutes avant son rendez-vous avec Virginie. Dossier rose sous le bras, elle veut savoir quand elle pourra prendre sa retraite. “Je suis dans la catégorie qui prend encore six mois avec la réforme”, prévient-elle. A la fin de son entretien avec le fonctionnaire qui l’a aidée à recalculer ses droits, il est “des balles”. Alors qu’elle pensait pouvoir quitter son emploi de facteur d’ici six mois, elle devra travailler encore un an. Né dans la ville voisine, “dans la même maison” que celui où elle vit encore aujourd’hui, elle a « toujours voté ». Sauf lorsqu’elle a dû choisir entre Macron et Le Pen en 2017 et qu’elle a préféré l’abstention. En 2022, elle ne sait plus pour quoi elle a voté mais “pas RN, c’est sûr”. Aux européennes début juin ? Elle préférait “une petite liste qui n’allait rien faire”. Et cette fois, pour ces législatives anticipées ? Pendant qu’elle se dit « plutôt de gauche »elle n’a pas l’intention de déménager.

“J’ai voté une fois et ça ne m’a pas trop déplu”

« Le week-end prochain, je m’occupe de mes petits-enfants. Nous verrons si je peux rentrer à la maison à temps. Pour le second tour, je serai en vacances.» Marie-Christine n’a pas donné procuration. De toute façon, elle ne sait plus pour qui voter. Espoirs déçus : “On s’est dit que peut-être ça irait mieux avec la macronie.” Une certitude : « Je ne vais pas voter RN. Les extrêmes sont complètement hors de propos. Pas d’inquiétude en cas d’abstention, alors que LREM a remporté de justesse les élections législatives dans sa circonscription face au RN en 2022, et que ce dernier a remporté 49% des voix dans sa commune il y a trois semaines ? «Je m’en fiche du tout. C’est moche, n’est-ce pas ? dit avec un sourire et une pointe de fatalisme celle qui gagne moins de 1 500 euros par mois et préfère ne pas savoir combien elle touchera une fois à la retraite : “C’est bien qu’il y ait quelque chose qui ne va pas.” Une dame rentre à la maison avec sa fille, ils ont croisé la route de Marie-Christine il n’y a pas longtemps. On s’embrasse, leur affaire de passeport semble vite résolue. Ils repartent quelques minutes plus tard. Marie-Christine admet qu’elle « Ne parle pas de politique » avec ses voisins et amis. « Le climat est trop anxiogène. En vieillissant, on évite les sujets qui fâchent. »

Le guichet France Services, « plus proche des gens »est utilisé pour « Rapprocher les administrations et vaincre cette fracture numérique ou électronique », explique Virginie, qui travaille dans une structure de ce type depuis sept ans. Celui de Tremblade a ouvert en 2019. Il y en a aujourd’hui plus de 2 700 en France. «La fracture numériqueje fais partie deajoute Marie-Christine. Ça ne m’intéresse pas, je n’ai pas Internet par choix Et quand on voit à la télé ce qu’ils disent sur les réseaux sociaux, les gens qui se font harceler parce qu’ils révèlent pour qui ils votent, je dis que j’ai raison de ne pas le faire. Soyez là.” Pour Léa (1), la fracture est subie. La jeune femme de 23 ans, en formation à distance pour les métiers de la personne, est allée scanner des documents pour son rapport de stage. Parce qu’entre le loyer, l’assurance et les courses chaque mois, elle n’a pas “aucun moyen” pour acheter un ordinateur. Dans cette zone touristique en plein été, isolée sur une presqu’île avec ses cabanes ostréicoles mais très rurale le reste du temps, face à une population vieillissante, « C’est compliqué de trouver un emploi à l’année ». Avant sa formation, elle travaillait dans l’ostréiculture l’hiver et dans la restauration en saison. Elle n’a pas voté aux dernières élections, ni aux précédentes. “Mais une fois, j’ai voté et cela ne m’a pas trop dérangé.” Si son partenaire déménage cette fois-ci, elle pourrait l’accompagner. En espérant un changement avec le RN.

“Nous restons un lieu public”

« Un jour, je suis tombé sur un post de Marine Le Pen sur les réseaux sociaux, qui disait que personne ne pouvait vivre avec moins de 1 500 euros par mois. Je pense qu’elle a compris.dit-elle en récitant dans sa tête toutes ses dépenses mensuelles. « Au début, nous ne calculions pas. Mais maintenant, nous devons le décompter au centime près. Et le 5 du mois, nous n’avons plus rien. Interrogé sur les idées du parti d’extrême droite : «Nous ne sommes pas racistes. Mais quand nous demandons de l’aide, nous n’avons droit à rien

Pendant ce temps, Virginie prend rendez-vous avec une dame pour son dossier CAF. Elle énumère les documents qu’elle doit avoir avec elle, « et surtout n’oubliez pas vos identifiants ». Un quadragénaire venu imprimer un document administratif interroge sa collègue, Eloïse : « Cela fait des jours que ma femme essaie de contacter l’assurance maladie et n’a personne. Peut-elle venir ici ? Les deux responsables se félicitent du “relationnel” qu’ils réussissent à créer avec les utilisateurs. « Certaines personnes ont besoin de parler. Mais lorsqu’ils entament une conversation politique, nous les arrêtons immédiatement. Ils ont le droit de penser ce qu’ils veulent mais nous restons un lieu public. On sent que les gens sont à bout de souffle », expliquent-ils, regrettant que leurs services soient peu connus. La semaine dernière, Virginie a aidé une femme à pré-remplir sa procuration, envoyée par erreur à l’agence. Ce n’est pas censé faire partie de ses missions, “mais c’est important”Une autre dame vient utiliser l’ordinateur. « Je n’ai pas Internet à la maison, donc je viens quand je peux, une à deux fois par semaine. » Elle ne votera pas non plus : “Je travaille.”

(1) Le prénom a été modifié.

 
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