« Vous avez été plongé dans le quartier le plus difficile de la plus grande maison centrale de France. Ce quartier de la Caserne n’est pas une enclave où s’arrête la loi, où les détenus sont privés de leur humanité. » C’est le fil déroulé par la procureure générale dans son réquisitoire, vendredi 22 novembre, devant la cour d’assises de Charente-Maritime. Durant trois jours, les jurés ont été propulsés derrière les murs de la prison centrale de Saint-Martin-de-Ré.
La scène captée par les caméras de surveillance de la promenade, le 1est Novembre 2021, ne dure que quelques secondes. On voit aujourd’hui Jamil Essouri, 39 ans, secondé par Dhoul-Arham Bacari, 28 ans, se jeter sur Mario Livolsi, 61 ans, figure du grand banditisme varois. Ils l’ont frappé avant de reculer sous la pression de deux détenus. La victime présente sept blessures par arme blanche, dont deux auraient pu être mortelles sans un traitement rapide, selon le médecin expert.
« Pas de zone de non-droit »
« Imaginez que cette scène soit transposée au Cours National, à Saintes. Votre premier instinct vous dirait que c’est criminel. Le fait que cela se passe dans une maison centrale ne devrait pas nous mettre d’oeillères. Il n’y a pas de zone de non-droit, pas de sous-victime, pas de totem d’immunité », poursuit Soraya Ahras. L’avocat général ne doute pas de la volonté du duo. « Ils ont une certaine expertise en matière de violence. On ne peut pas nous faire croire qu’en ciblant des zones vitales, nous avons voulu faire autre chose que tuer. »
Pour quoi ? « Je ne vais pas inventer ce que je ne connais pas. Il y a des pistes dans ce dossier, des hypothèses. Mais en droit pénal, le mobile n’a pas d’importance. Il n’y a pas de motif noble pour tuer. Seul l’élément intentionnel compte. » Le fait qu’ils se dirigent droit vers la victime, qu’ils soient armés, qu’ils aient préparé leurs affaires pour un transfert atteste, selon elle, d’une préméditation. Elle invoque le principe de « co-action » pour demander la même peine, onze ans d’emprisonnement ainsi qu’une obligation de suivi socio-judiciaire pendant sept ans.
“Donnez-lui de l’espoir”
« M. Bacari, libéré quelques mois après les faits, aurait-il commis de tels actes, de jour, en promenade, en présence d’une vingtaine de détenus ? », demande M.e Justine Alves. Son client est un « petit voyou », « impulsif », mais il n’avait « aucune intention homicide ». Son collègue, M.e Claire Finance, déplore « les sentiments, les rumeurs » qui ponctuent le dossier. « Il faut construire sa réflexion sur des certitudes. » Elle demande « une personnalisation de la peine » pour Bacari, qui n’a fait que suivre son collègue. « Il a 28 ans, donnez-lui de l’espoir. »
« Durant ces neuf secondes, avez-vous vu une violente bagarre, dans le contexte particulier de la détention, ou quelqu’un qui avait la volonté avérée de se suicider ? »
Me Benoît Poquet note que Jamil Essouri est « un pur produit de ce que produit parfois la privation de liberté lorsqu’elle s’étend sur une très longue durée ». Il fustige un « calibrage excessif » du dossier, qu’il qualifie de « violences aggravées », relevant du ressort du tribunal correctionnel. « Durant ces neuf secondes, avez-vous assisté à une violente bagarre, dans le contexte particulier de la détention, où quelqu’un avait la volonté avérée de se suicider ? »
Le tribunal a voté pour la deuxième hypothèse, déclarant les deux hommes coupables de « tentative d’assassinat ». Le verdict va au-delà des réquisitions : quinze ans de réclusion criminelle pour chacun. “Il s’agit de faits extrêmement graves, même si la vie en détention est particulière”, commente le président Franck Wastl-Deligne.