Les réquisitions visant le chef du RN sont-elles particulièrement sévères ? – Libération

Les réquisitions visant le chef du RN sont-elles particulièrement sévères ? – Libération
Les réquisitions visant le chef du RN sont-elles particulièrement sévères ? – Libération

Mercredi 13 novembre, le parquet a requis contre Marine Le Pen cinq ans de prison dont deux ferme, une amende de 300 000 euros, mais aussi une peine de cinq ans d’inéligibilité, assortie d’une exécution provisoire. De nombreux commentateurs politiques, pour la plupart classés à droite ou à l’extrême droite, dénoncent des réquisitions politiques, et un potentiel obstacle au bon fonctionnement de la démocratie si le leader du RN ne devait pas pouvoir se présenter en 2027.

Mais en réalité, l’examen de la loi et de son application ne révèle aucun traitement défavorable. L’article 131-26-2 du code pénal, introduit en 2017 par la loi pour la confiance dans la vie politique, prévoit une peine complémentaire d’inéligibilité nécessairement prononcée à l’encontre des coupables de crimes ou de certains délits. L’article liste les catégories d’infractions concernées, parmi lesquelles les violences graves, les agressions sexuelles, les actes de terrorisme… ou encore le détournement de fonds publics, soit le délit précis reproché au RN.

Violations de l’intégrité

Si l’article 131-26-2 centralise désormais les faits donnant lieu à l’inéligibilité, cette peine supplémentaire était déjà prévue en cas de condamnation de personnes dépositaires de l’autorité publique pour manquements au devoir de probité (catégorie dans laquelle s’inscrit le détournement de fonds). fonds publics). Longtemps « facultative », la peine d’inéligibilité a été, pour ces atteintes à l’intégrité, rendue obligatoire avec la loi Sapin 2, entrée en vigueur le 11 décembre 2016. Soit vingt jours exactement avant la fin du délai. couvert par le procès des assistants parlementaires (qui se termine le 31 décembre 2016). De ce fait, la loi Sapin 2 s’applique à Marine Le Pen et à ses coaccusés.

Toutefois, le fait que la sanction soit « obligatoire » ne la rend pas automatique. En vertu de l’individualisation des peines, érigée en principe suprême par le Conseil constitutionnel en 2005, le juge conserve la possibilité d’écarter l’inéligibilité. «par une décision spécialement motivée […] compte tenu des circonstances du délit et de la personnalité de son auteur.. Une nuance qui apparaît clairement dans l’article 131-26-2 du code pénal, comme elle figurait auparavant dans les dispositions introduites par la loi Sapin 2. Raison pour laquelle le Conseil constitutionnel, saisi en 2017 par des parlementaires de droite, a estimé que la peine d’inéligibilité obligatoire ne méconnaît pas le principe d’individualisation des peines. Les sages ont également souligné que c’est au juge «pour moduler sa durée». Notons que le principe d’une peine obligatoire à laquelle il est possible de déroger est similaire au fonctionnement des défuntes peines minimales.

Mais malgré la latitude offerte aux tribunaux, aucune des condamnations pour détournement de fonds publics prononcées ces dernières années n’a donné lieu à une décision spécialement motivée en vue d’exclure la peine complémentaire d’inéligibilité. Ainsi, selon les statistiques transmises à VérifierActualités par le ministère de la Justice, il y a eu six condamnations en 2017 visant à réprimer des détournements de fonds publics, et autant de peines d’inéligibilité. C’est encore 15 sur 15 en 2018, 13 sur 13 en 2019, 17 sur 17 en 2020 puis 2021, et enfin 30 sur 30 en 2022. Pour 2023, les données restent encore provisoires (20% proviennent d’estimations), mais à ce jour, la chancellerie recense 30 peines d’inéligibilité pour autant de condamnations sur la base d’un détournement de fonds publics. « Ce que l’on peut déduire de ces chiffres, c’est que dans les cas qui leur ont été soumis, les tribunaux n’ont pas jugé nécessaire d’écarter la peine d’inéligibilité. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne pourraient pas le faire.insiste le ministère.

Dans le cadre du procès contre le RN, le ministère public, dans ses réquisitions, est allé jusqu’à justifier la peine d’inéligibilité requise au vu de la gravité des faits et de la personnalité de ses auteurs : détournement de fonds publics « massive, opérée par des élus du peuple français aux plus hautes fonctions et pour contourner les règles de transparence en matière de financement des partis ».

“Tout le monde semble découvrir l’exécution provisoire”

Le débat sur la sévérité supposée des réquisitions porte également sur l’exécution provisoire qui assortit la peine d’inéligibilité. Une modalité qui, sans priver le condamné de son droit de faire appel, implique que cet appel ne suspend pas l’application de la peine prononcée en première instance. Dans ce cas, une telle mesure aurait de graves conséquences (politiques) : elle pourrait priver Marine Le Pen de candidature à la prochaine élection présidentielle de 2027.

Plusieurs commentateurs ont dénoncé cet aspect des réquisitions. L’éditorialiste Alain Duhamel l’a ainsi qualifié, sur le plateau de BFMTV, de “rarissime”affirmant: « Les procureurs, certes très compétents mais parfois un peu étranges, ont mis au jour un système exceptionnel qui permet une exécution immédiate » la peine d’inéligibilité. « C’est la première fois que l’exécution provisoire est prononcée dans l’acte d’accusation. C’est quelque chose d’inédit »added essayist Naïma M’Faddel on CNews.

VérifierActualités a demandé au ministère de la Justice des statistiques sur le recours à l’exécution provisoire concernant les peines d’inéligibilité supplémentaires. Le ministère nous a indiqué qu’il n’était pas en mesure de quantifier la proportion exacte des détournements de fonds publics, tout en s’étonnant que « Tout le monde semble découvrir l’exécution provisoire. Mais pour ceux qui fréquentent les salles d’audience, c’est quelque chose qui est régulièrement utilisé en fonction des besoins de chaque affaire. A l’article 471 du code de procédure pénale, les peines qui « peut être déclaré exécutoire par provision ». C’est, entre autres, le cas d’une interdiction d’exercer une profession, d’une suspension du permis de conduire, ou encore d’une inéligibilité.

Les anciens maires inéligibles

Sans prétendre à l’exhaustivité, les exemples récents d’élus sanctionnés par une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire lors de procès pour détournement de fonds publics sont nombreux. Ce qui dément les affirmations évoquées plus haut selon lesquelles les exécutions provisoires sont extrêmement rares ou, pire, une première. L’ancien sénateur et président de la Polynésie française Gaston Flosse a été condamné à plusieurs reprises pour ce délit, entre 2009 et 2022. Et les juges ont à chaque fois prononcé des peines d’inéligibilité supplémentaires allant de un à cinq ans, parfois des exécutions provisoires assorties, parfois sans cette mesure lorsque l’intéressé purgeait déjà une période d’inéligibilité au moment du procès.

Autre cas emblématique, celui de Brigitte Barèges, ancienne maire de Montauban (Tarn-et-Garonne), récemment élue députée avec le soutien du RN. Condamné en 2021 pour détournement de fonds publics, dont cinq ans d’inéligibilité avec effet immédiat, Barèges a finalement été acquitté en appel. En 2021 également, Ferdinand Bernhard, ancien maire de Sanary-sur-Mer (Var), s’est pourvu en cassation après sa condamnation en appel, dont une peine de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. La Cour suprême ayant partiellement désapprouvé la décision, il comparaît actuellement de nouveau devant la cour d’appel.

Rien que ces derniers mois, on peut citer l’ancien maire de Toulon, Hubert Falco, condamné en appel à une peine de cinq ans d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire. Mais aussi le bras droit de l’ancien maire de Colmar (Haut-Rhin), Joël Munsch, condamné à trois ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Soit deux maires de Seine-et-Marne, Jean-François Oneto et Sinclair Vouriot, condamnés à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec application immédiate. Plus récemment, trois ans d’inéligibilité avec exécution provisoire ont été requis contre le président du département de la Somme, Stéphane Haussoulier, dans une procédure pour détournement de fonds dont le verdict sera rendu le 3 décembre.

Prévention de la récidive

Si l’exécution provisoire est aussi régulièrement ordonnée, c’est parce qu’elle « répond à l’objectif d’intérêt général de favoriser l’exécution de la peine et de prévenir la récidive », a indiqué la Cour de cassation dans un arrêt de 2022. Dans le cas des assistants RN, le parquet estime qu’il y a lieu d’éviter les récidives dans la mesure où le parti « a déjà été reconnu coupable de détournement de fonds frauduleux » – la condamnation est devenue définitive en juin. Et où les faits, « répétés pendant douze ans », « n’ont été interrompus que parce qu’il y avait une plainte du Parlement européen ». Par ailleurs, l’accusation évoque un « impératif d’exécution [de la peine] dans des délais raisonnables, alors que les accusés ont « a tout fait pour reporter la décision de justice ». Pas grave “leurs ambitions électorales”, puisque les procureurs estiment qu’ils ne le sont pas « comptables ».

Pour rappel, Marine Le Pen est actuellement jugée, aux côtés de nombreux cadres de son parti, dans l’affaire des assistants parlementaires fictifs du Front national, devenu Rassemblement national. Le procès, ouvert le 30 septembre, doit se poursuivre jusqu’au 27 novembre et la décision des juges est attendue début 2025 – la position défendue par le procureur de la République le 13 novembre ne préjuge pas de celle des magistrats. L’ancien candidat à la présidentielle, considéré par le parquet comme un décideur au sein d’un système de détournement de fonds publics sans précédent par « leur ampleur, leur durée, les sommes détournées », reçut les réquisitions les plus sévères. Les sanctions prévues sont en effet proportionnelles à l’implication de chacun des prévenus dans ces opérations menées entre 2004 et 2016 au détriment du Parlement européen. Contre le maire de Perpignan Louis Aliot ou le député européen Nicolas Bay, le parquet a ainsi prescrit des peines moindres, dont trois ans d’inéligibilité, toujours avec exécution provisoire.

 
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