« Le diable et les détails »

« Le diable et les détails »
« Le diable et les détails »

« Sur mon petit carnet imperméable posé sur le bord de la table à cartes, j’ai griffonné une note : ‘Hier soir, j’ai appris une chose : un Vendée Globe se résume à un détail.’ C’est aussi là que se cache le diable, nous disait mon père, qui le tenait probablement de mon grand-père, dont le bon sens paysan n’avait d’égal que sa discrétion charismatique. . Cette formule n’a peut-être jamais pris autant de sens qu’hier soir.

Il est 3 heures du matin TU. Dehors, la lune danse avec les ténèbres. Les étoiles éclatent entre les quelques grains qui entraînent avec eux des souffles tonitruants, parfois chargés de pluie. Je viens de m’installer dans la traditionnelle « bannette », mon pouf jaune qui accueille mes quelques siestes réparatrices et je dois avouer des rêves dont seules les nuits en mer ont le secret.

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Benjamin Ferré : « Les trois prochains mois, je veux avoir le geste juste, celui du chirurgien qui opère, du boulanger qui pétrit, du faussaire qui devient finalement faussaire ». (Photo Benjamin Ferré)

Théophile (ndlr : le nom de mon bateau) commence à accélérer, à gîter et à siffler. Ce sifflement me dit qu’il est déjà temps de regarder par-dessus le capuchon et de voir ce qui s’y cache. Le ciel s’est assombri, les étoiles ne brillent plus que de l’autre côté de la nébulosité opaque et isolée. Le vent se lève, il y a 25 nœuds (40 km/h). Lors de ce que j’aime appeler ma sortie dans l’espace, je remarque qu’un drap traîne derrière le bateau. Une simple écoute, une petite écoute mal fixée à son taquet. Une vulgaire indiscrète laissée sans surveillance comme une mère abandonnant son lionceau dans la savane où le danger rôde.

Il menace de se coincer dans la quille alors je décide de ralentir le bateau. Pour le mettre plein vent arrière. Prendre la gaffe à l’intérieur et aller m’étendre de tout mon long au-dessus de la ligne de vie pour attraper la corde perdue. Le vent se lève toujours. Le grain m’accable avec la même rapidité que l’inquiétude me saisit. Le bateau accélère encore, part en surf, une vague l’entraîne en gîte inversé… Je cours vers le cockpit. Poséidon m’a entendu, j’en suis sûr : “Non non non non pas ça, midinnnn !” »

C’est trop tard. Je sais, mon compagnon va attaquer. À la fin de la journée, c’est comme si vous étiez tranquillement assis à votre table de petit-déjeuner et que quelqu’un décidait soudainement de mettre votre maison sens dessus dessous et de la mettre sur le toit.

Théophile est allongé sur l’eau. Le mât risque de légers baisers à la crête des vagues. Mon immense voile de 210 m2 à l’avant ne résiste pas au grain qui ne cesse de se renforcer. À ce moment-là, chaque action compte et l’ordre dans lequel elles sont accomplies peut avoir un pouvoir de vie ou de mort sur l’intégrité de ma coquille. Je sécurise mon pataras, ramène la quille au milieu du village, choque ma grand-voile qui, par miracle, a encore toutes ses lattes intactes, j’enroule la voile vers l’avant, le bateau se redresse. La grand-voile claque et bascule violemment de l’autre côté. 50 minutes viennent de s’écouler. Le bateau est indemne. Le marin est épuisé.

Comme un message que le Vendée Globe a voulu me murmurer au 4ème jour de ce tour du monde : « tu es un jeune garçon bien présomptueux de te mêler de ce genre de situation si tôt dans ton aventure ». Votre réponse souvent : « ça va le faire » ne suffira pas à me séduire pour vous laisser boucler la boucle.

Le vent s’est calmé. Le calme est là. La mer s’est calmée. La sérénité retrouvée. Et comme si mon esprit était interdit depuis le franchissement de la ligne de départ dimanche dernier, mon corps s’est soudain laissé souffrir. Mes bras sont raides, ma bouche est sèche, ma nuque est bloquée. La fatigue m’accable.

“Une galère par jour”, a déclaré Michel Desjoyeaux. Mon statut de rookie suggère un cours par jour ! Si le diable se cache dans les détails, la réussite se camoufle dans la discipline ! Discipline. C’est un mot que je n’ai jamais porté dans mon cœur parce que je pensais qu’il me détournerait de la liberté. C’est en réalité essentiel au plaisir de l’impromptu. Je vais y arriver. Les trois prochains mois, je veux avoir le geste juste, celui du chirurgien qui opère, du boulanger qui pétrit, du faussaire qui devient finalement faussaire. Le geste habile, lent car minutieux. Car comme nous le rappelait Maxime Sorel ces dernières 24 heures, l’éphémère nous attend. Et si la souffrance est passagère, l’abandon est permanent.

Bonne chance à tous !

 
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