A l’heure où fantastique, manga et romances se taillent la part du lion dans les livres pour enfants et adolescents, ce récit réaliste s’est taillé une voie royale dans l’immense forêt de la littérature jeunesse. Cela tombe bien, la forêt étant l’un des personnages principaux de ces quatre saisons romantiques, toutes publiées dans L’École des Loisirs, à un rythme soutenu, entre 2022 et 2024 : Les souvenirs de Ferdinand Taupe pour l’été, Les carnets de Cornélius Renard pour l’automne, L’esprit de l’hiver pour l’hiver et La saison des adieux pour le printemps. Quatre volumes de plus de 300 pages chacun qui s’inscrivent dans le mouvement anglais de la cosy fantasy qui rassure et réchauffe les cœurs, qui rassemble petits et grands, qui embrasse les couleurs chaudes de l’automne et parfume ses histoires de cannelle ou de chocolat chaud.
Des saveurs très présentes dans ces quatre romans parfois dévorés à la mode lecture excessive (lecture effrénée), les séries télé n’ont pas l’apanage des addictions. Ouvrez-les Mémoiresc’est ne jamais les quitter pour accompagner Archibald Renard et Ferdinand Taupe, atteints du syndrome de l’oubli, dans leur quête. Il s’agit de trouver le Souvenirs de la Terre extérieurel’unique exemplaire du livre de Ferdinand, à l’aide de quelques indices au salon de thé de Pétunia Marmotte ou au Feather Retreat, lieu de prédilection des écrivains.
Pour aider Ferdinand, Archibald Renard devra confier, non sans une certaine appréhension, la Librairie de Bellcortic, nichée au creux du vieux chêne, à Charlotte Souris. Pour peu que ça ne ronge pas les livres… La suite, pleine d’aventures, de mystères, de révélations, de métaphores et de dialogues hauts en couleurs, se découvre au coin du feu, sous la couverture, loin de la cruauté du monde et proche de l’attachant. héros. C’est tout simplement délicieux et cela faisait bien longtemps qu’un roman ne nous avait autant enthousiasmé.
La double vie de La Fontaine
Chaque histoire célèbre la beauté des liens entre les générations, la mémoire et l’affirmation de soi. Il s’agit à chaque fois aussi de résoudre le conflit externe et interne de l’un des protagonistes. Psychologue pendant dix ans, avant de devenir libraire spécialisé en manga et littérature japonaise, puis écrivain, Mickaël Brun-Arnaud – qui a travaillé dans des hôpitaux accompagnant des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de maladies neuro-évolutives – connaît bien la nature humaine. De plus, et c’est important, l’objet livre est magnifique, avec sa couverture à rabat, ses lettres en relief, ses pages de croquis, ses cartes ou encore son arbre généalogique en fin d’ouvrage.
Sans oublier les remarquables illustrations de Sanoe (Sophie Verdaguer) en pleines pages ou découpées qui ponctuent le récit et s’inscrivent dans la veine britannique des grandes histoires animalières : Le Le vent dans les saules de Kenneth Grahame, Pierre Lapin par Béatrix Potter, Ranelot et Buffolet par Arnold Lobel ou Le Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède par Selma Lagerlof. Bref, nous ne sommes pas prêts de les oublier Souvenirs de la forêt. Face au succès de la série, L’École des Loisirs a déjà adapté le premier tome en audio. Une adaptation théâtrale est en cours et il n’est pas exclu qu’il y ait une série télévisée plus tard. En attendant, laissons libre cours à notre imagination.
Tous vos personnages sont des animaux. Les enfants adorent les histoires d’animaux. Pour quelles raisons, selon vous ?
La forêt est le lieu de toutes les résolutions. Il transforme, rassure. Je lis beaucoup Bettheleim pour mes études de psychologie et il le présente comme un endroit extrêmement rassurant et doux. La librairie, au creux d’un arbre avec son écorce, est aussi un lieu très sécurisant. Il est important, pour se sentir bien, de se retrouver dans un endroit heureux. Je voulais que ce soit un refuge et les animaux m’aident sur ce thème. Dans un espace aussi confortable que la librairie Bellabord, on peut tout dire. C’est important, car je suis conscient de ma responsabilité. Je sais que le livre entrera dans les écoles et les familles. Le renard, par exemple, est une figure positive. La taupe, qui incarne la vieillesse, avec son aspect courbé, cette coquille de noix qu’elle porte sur ses épaules, nous permet aussi de projeter nos émotions.
« Le vent dans les saules », le chef-d’œuvre incontournable de Kenneth Grahame
Dans certains contes pour enfants, la forêt n’est pas seulement rassurante, elle incarne aussi le danger. Dans « Mémoires de la forêt », l’adversité ne vient pas de la nature ou de personnages très méchants mais de la vie elle-même.
La vie, oui, qui est une succession de moments doux et de résilience. Ce qui est le plus effrayant, c’est sans doute lorsqu’on est dans la tête de Ferdinand Taupe, pour qui on a beaucoup d’empathie. La maladie d’Alzheimer, c’est comme se réveiller dans un pays étranger sans parler la langue de ce pays et c’est probablement ce qui est le plus effrayant. Il n’est donc pas nécessaire d’inventer des méchants. Mes romans sont réalistes mais confortablement réalistes. Dans chaque tome, on se demande si l’équilibre pourrait être trouvé.
La saison d’adieu qui vient d’être publiée est un hommage à la perte…
Je l’ai écrit en sachant que c’était le dernier tome, que la série allait se terminer. Je voulais aussi aider les enfants à accepter cette fin. Dans le roman, les animaux font preuve de beaucoup de courage pour accepter la perte. On a peut-être envie de tout se souvenir, de tout contrôler, mais c’est impossible.
Vous appartenez donc à la grande famille des auteurs qui ont commencé à écrire pendant le confinement…
J’ai vécu un confinement très doux. J’étais propriétaire d’une entreprise et tout à coup, tout s’est arrêté. La librairie était fermée. Je n’avais pas pris de vacances depuis trois ans et j’avais depuis longtemps envie de créer. Une fois le choc passé, je me suis dit que j’avais la possibilité physique et psychologique de commencer à écrire. Après avoir beaucoup mangé pendant le premier mois de confinement, j’ai commencé à me priver, mais pas sur le papier ! C’est pourquoi mon livre est très gourmand. J’attache également beaucoup d’importance à la sensorialité. Ayant travaillé dans un hôpital, je sais que l’on cherche parfois un moyen de communiquer. La sensorialité en fait partie. Les souvenirs reviennent à travers le goût d’une tarte, au son d’une berceuse.
L’oncle Archibald, le renard libraire, devient écrivain et vit en couple avec Célestin. Ne serait-il pas votre alter ego ?
Cela s’est produit d’une manière très naturelle. Il est gentil, un peu rigide, paresseux. J’aborde le sujet de l’amour pour une autre personne du même sexe dans le deuxième tome avec un secret de famille qui aura des répercussions sur toutes les personnes suivantes.
Vous avez été psychologue pendant dix ans avant d’ouvrir la librairie Le Renard Doré. Pourquoi ce changement de carrière ?
Parce que je suis devenu une aide dans ma vie personnelle. C’était devenu un peu trop. Dès mon plus jeune âge, je rêvais d’ouvrir une boutique, d’être commerçant et de devenir libraire. Quand j’ai décidé de me consacrer entièrement à l’écriture, j’ai été triste de quitter la librairie, mais, grâce aux séances de dédicaces, je les fréquente encore beaucoup. En 8 ou 9 mois, j’ai visité au moins une centaine de librairies.
Alzheimer, quand la mémoire s’emmêle
Vous attendiez-vous à un tel succès ?
Non, mais en même temps, j’ai fait de mon mieux. Ayant été libraire, je sais que les cartons arrivent et finissent soit en haut, soit sur l’étagère du dessous. Je ne voulais pas être en dessous donc j’ai aussi activé les réseaux sociaux. Je continue d’y être très actif. Et puis, la profession s’est emparée de ces livres, parce qu’ils contiennent une part de vérité, d’expérience. La sortie a été beaucoup repoussée à cause du confinement. Les libraires l’avaient déjà lu lors de sa mise en vente et ont été de fantastiques conseillers. Les gens rêvent beaucoup d’être libraire, mais c’est un métier difficile, y compris la manipulation. Accueillir quelqu’un dans une librairie, c’est s’oublier soi-même, mettre ses goûts de côté, prendre soin de l’autre.
Souvenirs de forêt, romans, Mickaël Brun-Arnaud, L’école des loisirs, nouvelle collection, 15,50 €. A partir de 8 ans.
Extrait
» Sous la chaleur humide de son souffle, le reflet du renardeau s’embuait, ne laissant apparaître que l’éclat de ses yeux. Face à ses traits flous, Ernest se demandait si perdre un parent avant même de grandir et de devenir ce qu’il « était censé devenir ferait de lui un être incomplet… Il retrouvait son visage d’un simple retournement de manche, chacun de ses contours. Pourtant, il en était sûr, il manquait encore quelque chose.