« Il va y avoir encore des drames »

Des sauvetages ont lieu presque chaque semaine à la frontière avec le Québec.

Le phénomène des migrants qui sont au Canada et qui souhaitent se rendre aux États-Unis connaît « une augmentation importante et ne ralentit pas », observe le sergent Charles Poirier, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Au cours du seul mois d’avril, 1 492 personnes ont été interceptées par les douaniers américains après avoir franchi illégalement la frontière en provenance du Québec, soit une cinquantaine par jour. Pendant ce temps, la police canadienne a arrêté 55 personnes faisant illégalement le trajet inverse. Cela ne représenterait qu’une petite partie des migrants qui l’essayeraient.

Un agent de la Gendarmerie royale du Canada patrouille à Stanstead, une municipalité frontalière de l’Estrie. (Maxime Picard/La Tribune)

La Montérégie a longtemps été la région de prédilection des passeurs illégaux, mais ceux-ci ont fini par s’étendre à plusieurs municipalités de l’Estrie situées le long de la frontière américaine.

«Il n’y a pas vraiment de ligne claire, mais l’essentiel des passages illégaux se produit en Montérégie et en Estrie, particulièrement dans l’ouest de l’Estrie», explique le sergent Poirier, ajoutant que la Beauce est pour l’instant épargnée.

(Journaliste : Marie-Christine Bouchard | Vidéaste : Maxime Picard | Production et montage : Mòrag Bélisle)

Une fois arrêtés, les migrants peuvent demander le statut de réfugié ou être rapidement renvoyés dans leur pays d’origine s’ils n’ont pas leurs premiers démêlés avec la justice.

Une commune prisée des passeurs

La municipalité frontalière de Saint-Armand, en Estrie, est particulièrement prisée des passeurs, en raison des vastes terres agricoles du côté américain et des sentiers bien entretenus du côté canadien, qui permettent une traversée plus facile qu’à travers des boisés ou des cours d’eau.

Des empreintes de pas dans la neige fraîchement tombée ont alerté André Labelle. Deux adultes et un enfant avaient marché sur sa propriété, passé devant son hangar, puis s’étaient dirigés vers la rue où ils étaient visiblement montés dans une voiture qui les attendait. Le résident de Saint-Armand savait qu’il s’agissait de migrants illégaux qui venaient de traverser à pied la frontière entre le Canada et les États-Unis.

C’était le 15 février. Le véhicule était toujours là lors de notre visite la semaine dernière, au milieu du champ de maïs. Il a finalement été remorqué ces derniers jours.

L’homme, qui habite à moins de vingt mètres de la frontière, a aperçu au loin un véhicule abandonné, toutes portes ouvertes, au milieu du champ de son voisin, un agriculteur américain. La voiture s’est enlisée dans la boue, obligeant la famille à modifier ses plans d’entrée. Cette fois, les migrants venaient des États-Unis et souhaitaient revenir au Canada. Habituellement, c’est l’inverse.

Sur cette photo prise par un citoyen, une branche d’arbre a été plantée dans le sol et identifiée par un ruban rose. (Anonyme)

Ceci est un exemple des nombreux passages illégaux dont André Labelle a été témoin. Lors d’une promenade en forêt derrière chez lui, il découvre une grosse branche d’arbre plantée dans le sol, ornée d’un ruban coloré, servant sans doute à marquer un point de rendez-vous… ou un point de dépôt pour livraison. Les passeurs traversent la frontière, oui. Mais que vivent-ils d’autre ? Drogues, armes ?

La mairesse de Saint-Armand, Caroline Rosetti, estime que sa municipalité est « abandonnée » et « livrée à elle-même » pour gérer un problème du gouvernement fédéral.

« Les gens traversent presque volontiers la frontière », dit-elle.

« Voilà, ça suffit ! Nous avons besoin du soutien sur le terrain de la GRC et du gouvernement fédéral également. Depuis le début de la crise, les gens répondent au téléphone, nous écoutent, nous disent « oui, oui », mais ce n’est pas tout. Là, il faut agir, avoir un plan d’intervention.

— Caroline Rosetti, maire de Saint-Armand

Jusqu’à l’année dernière, les migrants qui franchissaient la frontière étaient principalement des personnes à la recherche d’une vie meilleure, qui s’organisaient seules. Aujourd’hui, ce sont des groupes « beaucoup plus organisés ».

« On voit des groupes de 10-12 personnes, qui sont évidemment attendus. On voit aussi que certains portent des armes», observe le maire de Saint-Armand.

Tendance inversée

Cela fait maintenant un an et demi que Roxham Road a été fermée par les autorités. Ce passage, toujours illégal, était toléré par les autorités fédérales installées sur place, qui laissaient entrer les migrants illégaux, avant de les enregistrer et de les orienter vers des ressources.

« Dans une certaine mesure, Roxham Road a facilité la situation. Il y avait un nombre anormalement élevé de policiers sur place, mais la machine était bien implantée, toutes les personnes passaient par là, on prenait leur identité, leurs empreintes, on avait une trace.

— Sergent Charles Poirier, Gendarmerie royale du Canada

Après la fermeture du passage de Roxham, les migrants ont arrêté — ou presque — de traverser la forêt pour entrer au Canada. En fait, les réseaux de contrebande ont été réorganisés. Sans que la GRC comprenne exactement pourquoi, le Canada est devenu un point de passage sur leur route vers les États-Unis et non plus une destination finale.

«Les gens entrent au Canada, la plupart par les aéroports de Montréal ou de Toronto, et ils veulent traverser notre frontière terrestre pour rejoindre illégalement les États-Unis», explique le porte-parole de la GRC.

D’un océan à l’autre, 16 750 personnes ont été arrêtées sur le sol américain après avoir traversé la frontière avec le Canada en avril dernier. Les douaniers américains n’ont procédé qu’à 1 500 arrestations directement à la frontière. Les autres ont eu lieu après de nombreuses enquêtes, après que les migrants clandestins se soient installés au pays de l’Oncle Sam pour quelques jours, voire plusieurs mois.

Actuellement, les résidents de l’Inde et de la Turquie tentent le plus souvent de traverser la frontière. Ils sont aidés par des réseaux de passeurs très bien organisés.

«Il ne faut pas le cacher, ce sont de vrais groupes criminels, qui agissent comme des criminels», affirme le sergent Poirier.

Les personnes qui tentent de traverser les frontières le font dans l’espoir de trouver une vie meilleure dans un pays sûr. Cependant, les activités de ceux qui les aident à franchir les frontières dérangent et inquiètent les autorités et les habitants des zones frontalières.

« Le passage clandestin des frontières est un marché très lucratif. Les passeurs peuvent facturer entre quelques centaines et plusieurs milliers de dollars par personne. Ce sont des réseaux criminels qui abusent de ces personnes vulnérables.

— Sergent Charles Poirier, Gendarmerie royale du Canada

« Nous n’avons heureusement pas vu de trafic d’êtres humains, à part quelques cas anecdotiques, mais rien d’organisé », poursuit-il. Mais c’est un risque. Nous avons aussi vu des passeurs sans scrupules qui laissaient les gens dans des conditions très précaires, au milieu des bois, en pleine nuit, etc.

Il se souvient d’un cas de l’hiver dernier où des recherches en forêt après un appel de détresse avaient permis de secourir des migrants, non habillés chaudement, qui s’étaient perdus en pleine forêt. Malgré les efforts de secours, l’un d’eux a subi des engelures si graves qu’il a dû être amputé.

« Les passeurs doivent faire croire qu’il est facile de traverser la frontière à pied, mais ce n’est pas le cas. C’est difficile et c’est dangereux», ajoute le porte-parole de la GRC.

Un jeu du chat et de la souris est organisé chaque jour entre passeurs et policiers fédéraux, chargés de surveiller la frontière entre le Québec et les États-Unis, longue de 813 km.

Ce sont les criminels qui décident des règles du jeu. Où iront-ils? À quelle heure? Une fois par semaine ou tous les jours ? Vont-ils se rapprocher le plus possible de la frontière en voiture ou parcourront-ils plusieurs kilomètres à pied à travers l’épaisse forêt ?

Sur le terrain, les policiers utilisent différents moyens pour surveiller la frontière bordée de forêts, de terres agricoles et de petites communes : enregistrements en temps réel, drones, caméras de chasse, maîtres-chiens, équipes nautiques et appels de citoyens.

Certains secteurs sont reconnus comme des voies de passage prisées des contrebandiers, comme le lac Wallace, à Saint-Herménégilde, dans la MRC de Coaticook, beaucoup plus à l’est de l’Estrie. Ce lac est traversé par la frontière. Il suffit d’un petit bateau pour le traverser et changer de rivage – et de pays.

« Depuis la fermeture du chemin Roxham, nous avons reçu environ 8 à 9 appels de citoyens qui ont vu des personnes suspectes, dont la moitié sur le lac Wallace. Les citoyens sont très vigilants», affirme Bernard Marion, préfet de la MRC de Coaticook.

Condamner les passeurs reste un défi majeur. D’abord parce qu’il est tout à fait légal de longer une frontière à pied, à condition de ne pas la franchir.

« Lorsque nos agents interceptent des gens près de la frontière, il est difficile de prouver hors de tout doute devant le tribunal qu’ils avaient l’intention de traverser », explique le sergent Poirier.

Aussi parce que dès que les gens traversent la frontière, les policiers canadiens doivent s’arrêter. Enfin parce qu’il manque des policiers sur le terrain pour intervenir rapidement. En début d’année, la GRC a réduit ses effectifs à la frontière, malgré une hausse historique des passages illégaux, afin de faire appel à davantage de patrouilleurs pour aider aux enquêtes, entre autres.

Sur le terrain, les frontaliers constatent à quel point les policiers canadiens sont peu nombreux et moins bien équipés que leurs homologues américains.

« Les agents de la GRC patrouillent souvent seuls, mais ils doivent être deux pour intervenir. Cela allonge les délais d’intervention», explique André Lemieux.

En mode solution

Les agents de la GRC déployés à la frontière sont en mode solution pour aider les frontaliers qui vivent avec ces passages illégaux, jour et nuit.

« Nous savons qu’il peut y avoir un sentiment d’insécurité pour les résidents le long de la frontière. Je tiens quand même à souligner que nous avons une excellente collaboration avec les citoyens, avec les élus, et cela est très important pour nous», explique le porte-parole de la GRC.

Mais c’est encore trop peu aux yeux du maire de Saint-Armand, qui réclame une implication du gouvernement fédéral. Et vite.

Caroline Rosetti est la mairesse de Saint-Armand, une petite municipalité frontalière de l’Estrie. (Catherine Trudeau/La Voix de l’Est)

Caroline Rosetti souhaite que la députée libérale de Brome-Missisquoi, la ministre Pascale Saint-Onge, vienne la rencontrer et travailler à l’élaboration d’un plan d’action. Elle aimerait également que le ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, soit sensibilisé aux problèmes à la frontière et agisse rapidement.

« Il y a plusieurs années, des agriculteurs ont dû participer au sauvetage d’une femme enceinte dans les bois, dont nos premiers intervenants n’étaient pas équipés pour sortir », rappelle le maire. Il va y avoir des drames, encore une fois, peut-être aussi avec nos habitants. Il est maintenant temps d’agir.

 
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