RN, LFI… Le désarroi politique des juifs de France face à la recomposition partisane en cours

RN, LFI… Le désarroi politique des juifs de France face à la recomposition partisane en cours
RN, LFI… Le désarroi politique des juifs de France face à la recomposition partisane en cours

«J’ai décidé de faire évoluer le thème de mon étude», annonce, toute excitée, Delphine Horvilleur assise sur l’estrade au centre de la synagogue Beaugrenelle, dans le 15e arrondissement de Paris. Pour commencer la première étude de la nuit de Chavouot, qui s’est déroulée entre le mardi 11 et le mercredi 12 juin, le rabbin devait parler de la figure de Ruth, dont le livre est traditionnellement lu à l’occasion de la fête de Chavouot. « J’ai préféré m’adapter à mon état d’esprit des huit derniers mois, ou plutôt… des dernières quarante-huit heures. » La synagogue, pleine à craquer, respire le même souffle. L’état d’esprit de Delphine Horvilleur, « mélange de tristesse, de rage et de désespoir »semble partagé.

La fête de Chavouot commémore la réception des tables de la loi par les Hébreux au pied du mont Sinaï. “La forme de ces tables a été une source d’inspiration pour la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi que pour toutes les constitutions des démocraties occidentales”, se souvient le rabbin. “Et ce soir, je ne peux m’empêcher de penser à la menace qui pèse sur notre république.” ajoute-t-elle, en référence à la victoire du Rassemblement national (RN) aux élections européennes, dimanche 9 juin, et à la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée, dans la foulée, par Emmanuel Macron.

Les électeurs juifs « pris au piège »

La menace est que « porté par les extrêmes, droite et gauche », explique Delphine Horvilleur. Lorsque la formation du « nouveau Front populaire »Lundi 10 juin, plusieurs institutions juives se sont insurgées contre l’accord trouvé entre les différents partis de gauche avec La France insoumise. Le président du Crif, Yonathan Arfi, accuse le parti de Jean-Luc Mélenchon d’avoir « La haine des Juifs est son affaire électorale » pour la campagne européenne. De l’autre côté de l’échiquier politique, quelques heures avant le début de la soirée, le président des Républicains Éric Ciotti a annoncé sa volonté d’une alliance avec le RN.

« La Torah nous a été donnée dans le désert, se souvient Delphine Horvilleur. Il faut l’avouer, ce soir nous sommes de nouveau en plein désert. » Si le rabbin est reconnu pour ses études et ses prêches teintés d’actualité et de politique, force est de constater que les interventions programmées autour du thème « Suis Israël Haï »(« Nous vivrons » en hébreu, NDLR) étaient automatiquement teintés par l’actualité politique nationale brûlante.

Egalement la table ronde suivante, consacrée à « des changements dans la relation entre le peuple et la terre d’Israël »elle fait rapidement le lien entre la solitude ressentie par les Juifs dans leur attachement à l’État d’Israël depuis le 7 octobre 2023, et leur isolement politique actuel. « Sans alliance à droite ou à gauche, les Juifs de France sont dans une sorte de piège. » note, pessimiste, le sociologue Danny Trom. “Je ne vois pas comment la situation va se résoudre, d’autant que les Juifs, notamment avec la réaction du Crif, sont perçus comme des obstacles à l’union de la gauche”, se lamente-t-il.

Votez par dépit

Les Juifs de France sont-ils seuls dans leurs choix politiques ? Dans l’assistance, on rappelle que les juifs français d’Israël n’ont pas hésité à voter à 46% pour la liste Reconquête ! de Marion Maréchal, et 12% pour le RN aux élections européennes. “C’est irresponsable” affirme le rabbin Yann Boissière, a posteriori. « Les Juifs français en Israël sont séduits par la rhétorique anti-musulmane. Mais c’est une réflexion à très court terme, il alerte. Le RN reste un parti raciste,son arrivée au pouvoir serait une catastrophe démocratique. »

Dans les étages de la synagogue Beaugrenelle, le groupe des 18-35 ans, “Yahad” y est déjà en train de planifier. Au mur, de faux titres de journaux décrivent des mesures restrictives à la liberté de religion, qui ne sont pas sans rappeler celles soutenues, hier ou aujourd’hui, par le Rassemblement national. « Comment réagirions-nous si l’abattage rituel, le port de la kippa ou la double nationalité franco-israélienne nous étaient interdits ? “, résume Rébecca. Le rédacteur en chef de 36 ans, professeur de Talmud Torah (enseignement religieux extrascolaire proposé par les synagogues, NDLR) de Beaugrenelle, vote traditionnellement à gauche. Pour les élections législatives, « tout dépendra de la personnalité du candidat (son) circonscription » et surtout de l’opposition d’en face. Parce que Rebecca veut que son vote bloque l’extrême droite, quitte à voter ” par pure méchanceté “ pour des listes plus centristes.

Pour Nathan, la première menace qui pèse sur les Juifs de France est “l’extrême gauche”. Le trentenaire ne veut pas se montrer défaitiste. « Il y a quand même un arc républicain ! “, il assure. Il est deux heures du matin, le trentenaire prend soigneusement des notes sur le bureau de Yann Boissière, consacré à « Deux clés de la résilience juive : l’alliance et la Torah ». Le rabbin est moins optimiste. « Pour les Juifs, il ne reste que cet immense marais du centre qui s’effondre. »

 
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