« ABSOLUMENT SENEGALAID », LA PLAIE OUVERTE D’UNE SOCIÉTÉ EN ÉCHEC

« ABSOLUMENT SENEGALAID », LA PLAIE OUVERTE D’UNE SOCIÉTÉ EN ÉCHEC
« ABSOLUMENT SENEGALAID », LA PLAIE OUVERTE D’UNE SOCIÉTÉ EN ÉCHEC

Voulez-vous connaître le niveau de déliquescence de la société sénégalaise dans toutes ses composantes ? Nous vous proposons d’aller vite vous procurer le livre « Absolument Sénégalaid », d’El Hadji Ndary Guèye. En 144 pages, ce spécialiste de l’ingénierie touristique a mis le Sénégal sur le canapé. A travers une écriture belle et épurée, l’auteur interroge la société sénégalaise et en révèle les failles.

Votre livre peint le Sénégal dans toute sa laideur et sa médiocrité. C’est aussi ce qui explique le titre « Absolument Sénégalaid ». Quel a été le déclic pour l’écrire ?

C’est le constat de tous, celui d’un pays en grand désordre où l’application des règles les plus élémentaires du décorum, celle de la loi, n’existe pas. Tout le monde dans ce pays croit gérer un micro royaume, où il est roi, qui lui donne des libertés, mais malheureusement, qui entrent en conflit avec celles des autres, d’où une ambiance délétère, un mécontentement évident, une apathie généralisée. Il n’y a plus de limites, puisque chacun agit comme bon lui semble. Par exemple, les restaurants de fortune dans les rues, l’occupation anarchique des espaces publics, les branchements électriques clandestins, la charrette noria, l’empire des clandos et aujourd’hui les jakartas. Les acteurs politiques sont également de la partie, dans leur monde. Ce sont des stars, qui croient pouvoir tout faire et qui jugent les institutions, notamment la justice, à travers leur prisme. À vrai dire, cela ressemble à un statu quo, à une société presque bloquée. A cela s’ajoute une mauvaise gouvernance, l’ancien régime ayant laissé s’installer une énorme gabegie, des fonctionnaires riches comme Crésus, que j’appelle : des fonctionnaires caviar, des privilèges à revendre, un népotisme sidérant malgré « un bon bilan infrastructurel ». La revue de cette fresque m’a révolté, ce qui s’est traduit dans ce cri du cœur, par un sentiment dit « Absolument sénégalais » que j’ai voulu partager en citoyen libre, aimant mon pays de toutes mes fibres, sans chapelle.

Vous évoquez le problème de la jeunesse, de l’emploi en particulier et surtout votre indignation face au travail intérimaire.

Lorsque vous êtes sincère avec vous-même, votre cœur parle toujours. Il fallait selon moi faire un état des lieux, non pas de manière exhaustive, ce qui serait prétentieux de ma part, mais juste se concentrer sur des éléments qui me paraissaient essentiels. J’ai évoqué le problème de la pauvreté que certains considèrent comme le fondement de l’incivisme en général, contrairement au modèle chinois qui repose sur la notion de responsabilité collective et de discipline. Le devoir de tout citoyen chinois, étant avant tout d’être conscient qu’il est un soldat de son pays et d’appliquer dans son cœur, cette citation de John Kennedy, celle de pouvoir apporter quelque chose pour son pays en tant que bon citoyen plutôt plutôt que d’être un bénéficiaire éternel sur la base de l’État-providence. Dans mon travail, j’ai glorifié le comportement exemplaire du Guinéen, qui vit avec nous et qui se débrouille économiquement en travaillant dur et qui nous montre au quotidien qu’il n’y a pas de métier stupide. C’est un déni cinglant pour ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de travail au Sénégal. J’ai fustigé le comportement de nos jeunes qui manquent de vision, de sens patriotique, qui ne se voient pas investis d’une mission citoyenne, celle de construire le Sénégal par eux et pour eux-mêmes.

Vous donnez votre point de vue sur l’environnement et critiquez l’intérim, un pis-aller selon vous à éradiquer ?

Je me suis concentré sur l’environnement, le cadre de vie qui doit être inclus parmi les urgences. L’impérialisme de l’habitat bétonné et anarchique sans plan directeur parfois pertinent ainsi que les pollutions massives sans solution pour l’instant, nous interpellent tous alors que nous pouvons désormais entrer dans la dynamique de l’électricité, comme le BRT en exemple, pour emboîter le pas des pays occidentaux, dans la logique des nouveaux moyens de transport électriques.

Aujourd’hui, il me semble logique dans la chaîne de valeur d’anticiper la formation des jeunes à ces nouveaux développements, innovations. C’est un vaste projet qui permet aux jeunes de se familiariser avec les moteurs électriques, comment anticiper l’installation de bornes de recharge électriques, comment réparer un tracteur, un bateau chargé d’idées prometteuses, plutôt que de prendre la mer et ses conséquences stratégiques. Mais sur cet aspect, mon indignation heurte le plafond de verre avec la problématique du travail intérimaire, qu’il faut bannir au profit de l’embauche. Il est anormal que des entreprises, surtout en bonne santé financière, embauchent en CDD et les voient au terme de ce contrat absurde. Vous retournez ainsi au domicile familial et redevenez un fardeau, augmentant ainsi l’insécurité. L’État doit prendre ses responsabilités à cet égard. C’est une bouée de sauvetage qui lui est tendue, pour résoudre une bonne partie du chômage. On ne peut pas construire, assurer la justice sociale, redonner de la dignité à chaque jeune avec le maintien du travail temporaire. Mais tout cela est une question de vision, de volonté politique. Au Sénégal, c’est le thème fort qui est visible, rarement le concret, la pertinence de chasser la morosité ambiante, de donner de l’espoir.

Vous êtes spécialiste de l’ingénierie touristique et vous consacrez une section entière de votre livre à ce secteur. Que vous inspire la situation actuelle du tourisme dans notre pays ?

Ma perception du secteur du Tourisme est que c’est un secteur connu de tous, qui attend encore son homme. C’est un secteur que l’État du Sénégal ignore complètement. Un secteur dont les dirigeants viennent de partout, sauf du milieu, ce qui provoque des erreurs et des pilotages. En général, la politique les y met et surtout la proximité avec le chef de l’Etat aide, on se permet tout. Nous ostracisons « ceux qui savent » pour reprendre le titre du film du regretté cinéaste Tijane Aw. Comment demander à un maçon de réparer votre véhicule ? Pourquoi n’y a-t-il pas de politique à la tête des Impôts, des Douanes, du Trésor Public… C’est pour éviter des catastrophes à répétition. Comment imaginer que les investisseurs, ceux qui ont investi leur argent dans le secteur, soient coachés par des étrangers, et qui plus est, par des fonctionnaires et non par des hommes d’affaires. Un grand paradoxe à résoudre. Quels fonctionnaires, qui n’ont jamais investi un centime dans le secteur et même après leur retraite, qui ne connaissent pas le risque dans l’investissement, car rassurés par le confort du salaire. Ils sont aujourd’hui largement dépassés par les enjeux et défis du commerce mondial et malheureusement ce sont eux qui décident, à la place des investisseurs, comment vendre la destination Sénégal. C’est une pure hérésie. A-t-on une idée pour les autorités de ce que représente réellement le tourisme, qui précède les industries de l’armement, de l’agroalimentaire, voire du pétrole et du gaz ? Autant dire que c’est la première industrie au monde avec 9,8% du PIB mondial et 7,2% des emplois, qui n’a pas reçu ses lettres de noblesse.

Le tourisme est aujourd’hui devenu un business très technique, sérieux, aujourd’hui fortement imprégné de géopolitique. Nous avons été la première destination au sud du Sahara, un pays formateur, qui n’a malheureusement pas réussi à maintenir le cap. Depuis 20 ans, on nous nourrit de toutes les projections audacieuses, mais les faits sont là. Des statistiques loin de la réalité sans doute pour plaire aux autorités. Nous accueillons effectivement 400 000 touristes et non les 1 800 000 selon les chiffres avancés. Les rues désertées par les touristes montrent à qui veut bien voir qu’il y a depuis très longtemps un grand vide dans ce pays. Mais le plus affligeant dans ce chapitre est la colonisation du secteur par des hommes d’affaires, les mêmes depuis près de trente ans qui ont utilisé le tourisme plus qu’ils ne l’ont servi.

Que peut-on retenir en résumé et qu’entendez-vous par la laideur du silence ?

Un aperçu de ces différents points développés ci-dessus m’amène à penser qu’il existe actuellement parmi nous une polypathologie avérée dont nous attendons des thérapies adaptées dans un pays où tout est urgent, vital.

Évidemment, nous sommes tous responsables, pris dans une situation inattendue et totalement inédite : la peur dans toutes ses dimensions. Nous sommes quelque part coincés entre la laideur du silence des intellectuels terrorisés depuis 2021 par le flot de folie déversé sur les réseaux sociaux et la posture de l’intelligentsia qui devrait prendre part au débat en fustigeant la classe politique de tous bords, obsédée notamment par pouvoir en mettant l’accent sur le profil de l’homme politique bi niou bëgg devant le Sénégal bi niou bëgg.

 
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