A Tanger, Ali apprend l’allemand avec un objectif clair : poursuivre ses études à l’étranger. Dans le centre linguistique où il étudie, il est entouré de jeunes qui, comme lui, rêvent de se former hors du royaume chérifien. « J’aimerais pouvoir rester au Maroc mais les opportunités sont limitées et les salaires insuffisants pour mener une vie stable. Il faut se battre pour pouvoir se nourrir. Si les frontières étaient ouvertes, tout le monde partirait»assure le Marocain de 23 ans à la silhouette élancée et au sweat à capuche.
Son père, employé d’hôtellerie, et sa mère, enseignante au chômage, n’ont jamais pu voyager faute de moyens financiers. Il fait partie de la génération Z, las des séries américaines et hyperconnectée avec le reste du monde. Il maîtrise d’ailleurs bien mieux l’anglais que la langue française, héritée de la période du protectorat et délaissée par les plus jeunes. Dans quelques mois, après avoir obtenu un certificat d’allemand de niveau avancé (B2), Ali s’envolera pour Berlin, où il envisage une formation en alternance de trois ans en gestion ou en génie mécanique. “L’Allemagne est tellement plus accessible que la France, l’Espagne ou le Royaume-Uni, des pays qui nécessitent des moyens considérables !” s’exclame le jeune homme, titulaire d’un Bac + 2.
Justifier 7 300 euros sur un compte
Pour pouvoir étudier en France, les étudiants marocains doivent disposer d’un montant d’environ 78 000 dirhams (soit 7 300 euros) par an disponible sur un compte bancaire à leur nom ou à celui de leur garant. Une somme hors de portée pour la majorité des Marocains, le salaire moyen dans le royaume ne dépassant pas 17 500 dirhams (1 500 euros). Ali assure que ses revenus mensuels en Allemagne – entre 800 et 1 500 euros – permettront de couvrir les dépenses quotidiennes et d’accéder à ce qu’il appelle « le rêve marocain » (“Le rêve marocain”) : “Ayez une maison, une voiture et mariez-vous.”
De plus en plus d’étudiants marocains poursuivent leurs études supérieures hors des frontières du royaume. Pas moins de 74 000 d’entre eux ont fait ce choix en 2022, selon un récent rapport de l’UNESCO. Un chiffre significatif qui représente pourtant à peine 6% du total des étudiants, illustrant le caractère socialement sélectif de cette migration. « Ce type de mobilité, comme d’autres, nécessite des moyens financiers considérablesconfirme Hicham Jamid, chercheur post-doctorant à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Les politiques migratoires de plus en plus restrictives dans les pays de destination compliquent encore davantage la situation, rendant l’accès à l’éducation internationale encore plus difficile.
« Une vraie concurrence »
La France reste, de loin, le pays qui accueille le plus grand nombre d’étudiants marocains à l’étranger. Ils représentent également la première nationalité des étudiants étrangers en France (46 000 en 2021), devant les Algériens (31 000) et les Chinois (27 400), selon les données de Campus France. Leur présence se fait notamment remarquer dans les écoles d’ingénieurs ainsi que dans les écoles de commerce. L’enveloppe des bourses dédiée au royaume chérifien est également la plus importante du réseau diplomatique français, permettant de soutenir environ 900 étudiants marocains. Lors de sa visite d’État à Rabat, du 28 au 30 octobre, Emmanuel Macron a insisté sur l’importance de cette coopération, s’engageant à renforcer les partenariats en matière de formation universitaire dans des secteurs stratégiques comme le numérique, l’intelligence artificielle, l’industrie et le développement durable.
La migration étudiante marocaine vers la France, qui trouve ses racines dans la période coloniale, se heurte néanmoins à la concurrence d’autres pays depuis que Rabat a diversifié ses partenariats internationaux et renforcé ses liens au-delà de ses alliés traditionnels. « La concurrence accrue de certains pays en termes d’attractivité universitaire est réelle »souligne un rapport de Campus France de novembre 2023, qui mentionne l’Espagne, l’Allemagne, le Canada (notamment le Québec), la Grande-Bretagne, les États-Unis et la Belgique. “Difficile cependant de connaître les stratégies mises en œuvre. Ces principaux concurrents restent sur des flux de mobilité bien inférieurs à la France et se positionnent actuellement sur les préoccupations représentées d’une part par la tension diplomatique franco-marocaine et d’autre part par la politique de restriction de délivrance de visas opérée par la France. En 2015 et 2020 par exemple, l’accueil des étudiants marocains en Allemagne a augmenté de 67%.
Chine, Roumanie et Sénégal
À l’université publique Abdelmalek Essaâdi de Tanger, vaste bâtiment qui accueille plus de 130 000 étudiants répartis sur ses différents campus, la France n’est en effet plus le seul choix pour les jeunes Marocains souhaitant poursuivre leurs études universitaires à l’étranger. . A 19 ans, Narjiss, étudiante discrète aux longs cheveux bruns et aux lunettes carrées épaisses, vient de commencer sa première année de droit à la faculté. Passionnée de littérature anglaise, cette fille d’un policier et d’un cuisinier veut à tout prix poursuivre ses études à l’étranger. Elle a plusieurs options en tête, mais la France n’en fait pas partie. « Mon choix numéro un serait Philadelphie ! Mais j’ai entendu dire que des pays comme la Chine et la Russie proposent des bourses intéressantes aux Marocains.
Un constat partagé à la médiathèque de l’Institut français, au centre-ville de Tanger, où une dizaine de jeunes Marocains révisent dans une ambiance studieuse. « Beaucoup d’amis rêvent encore de la France, mais ce n’est plus forcément la seule option. C’est beaucoup plus facile d’aller en Allemagne, en Espagne ou au Canada”explique Salhia, 17 ans, qui passe son baccalauréat cette année. Le choix du lycéen se porte plutôt vers la Hongrie ou la Chine.
Le racisme en France
Selon la plateforme marocaine Tawjeeh Sup, spécialisée dans l’orientation, les frais de scolarité en Chine, où le nombre d’étudiants marocains s’élève aujourd’hui à plusieurs milliers, sont bien inférieurs à ceux de l’Europe ou des Etats-Unis. : entre 1 700 et 3 300 euros par an, logement compris. « Comme la Chine, de nouvelles destinations gagnent en popularité. Avant le début de la guerre, l’Ukraine était la deuxième destination privilégiée des étudiants marocains. Aujourd’hui, on les retrouve partout dans le monde : au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en Chine, en Roumanie, et beaucoup se dirigent vers d’autres pays africains comme le Sénégal, où une importante communauté de Marocains se forme depuis des années en médecine et en pharmacie. plusieurs décennies déjà »énumère Hicham Jamid.
Devant le bâtiment de l’institut privé El Hak, qui propose des formations pour devenir prothésiste dentaire, Marana, Chaimae et Aïcha, âgées de 20 à 22 ans, parlent d’une autre “problème” Français : « On entend parfois dans les médias que les Marocains subissent le racisme, qu’ils ne sont pas très bien accueillis. Nous ne voulons pas être victimes de discrimination parce que nous portons le hijab. Les trois étudiants espèrent trouver un emploi au Maroc dès la fin de leur formation afin de pouvoir rester et vivre dans leur pays d’origine.