Dans « Le complot contre l’Amérique », l’écrivain américain Philip Roth imagine ce qui serait arrivé aux États-Unis si ses compatriotes avaient dirigé l’aviateur Charles Lindbergh, antisémite notoire et admirateur de l’Allemagne nazie. Les Américains se seraient-ils facilement accommodés d’un régime fasciste ? Un scénario en apparence tiré par les cheveux pour un pays qui, historiquement, se veut l’une des incarnations majeures des idéaux de la démocratie. Et pourtant : ni le passé ni le présent ne permettent d’écarter d’emblée cette hypothèse.
Car à 48 heures d’une élection présidentielle américaine considérée comme l’une des plus incertaines et décisives du pays, la possible réélection de Donald Trump fait peser, selon certains, un danger fasciste sur l’Amérique.
Trump fasciste ? Il s’agit d’un terme assez nouveau dans l’arsenal utilisé pour le combattre. C’est son ancien chef de cabinet à la Maison Blanche, John Kelly, qui le dit : il « le profil d’un fasciste qui pourrait gouverner comme un dictateur s’il était élu ». « Pensez-vous que Donald Trump est un fasciste ? » « Oui » répond son adversaire Kamala Harris.
Le fait est que le candidat du Parti républicain ne ménage aucun effort pour mériter un tel attribut, son meeting du week-end dernier au Madison Square Garden de New York étant, de ce point de vue, une sorte de feu d’artifice. Dérives racistes, autoritarisme, désignation d’un ennemi de l’intérieur : un véritable catalogue du parfait petit fasciste.
Dans un article de Libération consacré à cette question, l’américaniste Sylvie Laurent écrit : « Donald Trump n’est ni Hitler ni Mussolini. Mais des éléments incontestables de fascisation, ancrés dans l’histoire américaine, sont rassemblés dans les propos et le projet politique du candidat. ».
Alors, faut-il prendre cette menace au sérieux ? Faut-il craindre une contagion plus large, dépassant les frontières des États-Unis ?
Marc Lazar : « Premièrement, le fascisme est un parti armé. Je sais qu’il existe un niveau de violence important aux États-Unis, mais le Parti républicain n’est pas un parti armé. Deuxième point, le fascisme signifie, disons, un nationalisme et un nationalisme agressif, et avec une volonté impérialiste, ce que Mussolini a également réalisé. Ce n’est pas le cas de Donald Trump. La troisième différence est que le fascisme existe. État fort. Et Trump ne veut pas d’un État fort, et encore moins son allié Elon Musk, bien au contraire. La quatrième différence essentielle est le fait que le fascisme signifiait créer un nouvel homme, une humanité. nouveau et faire tout un effort de contrôle, et c’était l’essence même du totalitarisme fasciste de générer anthropologiquement une nouvelle espèce humaine. Cependant, je ne crois pas que ce soit l’objectif de Trump, qui veut au contraire y revenir. Amérique blanche, WASP, hors étrangers, immigrés. J’appelle donc à la prudence ce qui ne veut pas dire que Trump n’est pas un adversaire de la démocratie. Mais je pense que l’utilisation du mot fasciste est un peu trop généralisée et n’est pas pertinente dans le cas de Trump.»
Anne-Lorraine Bujon : « Je pense qu’il est plus utile de comprendre Trump et le trumpisme en se référant aux épisodes sombres de l’histoire spécifiquement américaine. Si l’on pense aux guerres indiennes, au Sud esclavagiste, à la guerre civile, à la ségrégation, à la reconstruction, où l’on se méfie beaucoup du pouvoir de l’État, si l’on pense à tous ces épisodes de violence civile, on comprend mieux la phraséologie de Trump et répertoire de références qui puisent vraiment sans réserve là-dedans. Donc dans tout ce racisme à peine réprimé Mais il puise aussi dans la justification d’un système profondément inégalitaire sur le plan social et racial et dans cette méfiance à l’égard de l’État… Mais Trump n’est pas seul. Il y a un mouvement qui se forme, un mouvement national conservateur, une Cour suprême qui l’a aidé à retarder tous les procès dans lesquels il était mêlé et a contribué à renforcer le pouvoir de l’exécutif d’une manière jamais vue auparavant dans l’histoire américaine. Il y a aussi un mouvement d’intellectuels qui se disent post-libéraux aujourd’hui, et puis il y a Elon Musk. Cela me paraît extrêmement inquiétant quant à la structuration d’un mouvement autoritaire, revendiqué comme tel, qui va à l’encontre de la démocratie constitutionnelle américaine telle que nous l’avons connue jusqu’à présent.»