Lassitude des électeurs

Lassitude des électeurs
Lassitude des électeurs

Ce contenu est produit par l’Université Laval.

La baisse de la participation électorale dans les démocraties libérales n’est pas nouvelle. Les années 1940 au Canada, où plus de 80 % des électeurs remplissaient leur devoir civique lors des élections provinciales ou fédérales, semblent bien loin.

«C’était l’âge d’or de notre démocratie», explique le professeur Marc André Bodet, du Département de sciences politiques. Nous pourrions facilement atteindre régulièrement plus de 80 % de participation. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus proches de 55 à 65 %.

Le professeur Bodet a participé à un projet de recherche sur l’évolution de la participation électorale au Canada dans la perspective de la compression des cycles électoraux, étude dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue internationale Représentation. Journal de la démocratie représentative.

«La période que nous avons choisi d’étudier commence au milieu des années 1940, lorsque l’électorat devient universel, lorsque les électorats provinciaux deviennent les mêmes, le Québec étant la dernière province à accorder le droit de vote aux femmes», poursuit l’enseignante. On peut généraliser la période des années 1940, 1950 et 1960 à l’ensemble du monde démocratique comme une sorte d’âge d’or. Depuis lors, nous avons assisté à un déclin lent et systématique de la participation électorale à travers le monde. »

Selon les chercheurs, le facteur explicatif le plus important de ce phénomène est l’effet générationnel. « Les électeurs plus âgés qui meurent sont remplacés par des électeurs jeunes qui, aujourd’hui, votent moins », dit-il. Par exemple, un électeur de 18 ans en 1970 avait de bien meilleures chances de voter qu’un électeur de 18 ans aujourd’hui.

Mais un autre facteur entrerait en ligne de compte : la fréquence plus rapprochée des réunions électorales. Ce phénomène aurait tendance à réduire encore davantage la motivation à voter. “Notre étude, ajoute-t-il, montre clairement l’existence actuelle d’un effet de lassitude chez les électeurs”.

L’analyse des données révèle que plus d’électeurs en Alberta et en Ontario ont voté aux élections fédérales qu’aux élections provinciales depuis 1945. En revanche, les électeurs du Québec et de Terre-Neuve ont toujours été plus nombreux à voter aux élections provinciales. L’écart moyen entre deux élections au Canada aujourd’hui est de 91 mois.

Un État fédéré

Tout comme la Nouvelle-Zélande ou la Suisse, le Canada est un État fédéré composé de plusieurs entités autonomes, chacune dotée de son propre gouvernement. Mais le meilleur exemple en la matière reste celui des Etats-Unis. « Le cas américain est toujours celui cité », souligne Marc André Bodet. Tous les deux ans, ils organisent des élections « générales » pour la Chambre des représentants, la chambre basse du Congrès. Il y a aussi les primaires présidentielles qui sont très populaires. Les Américains sont toujours en mode électoral.»

Cela dit, le cas canadien est unique. « Du niveau fédéral au niveau municipal, dit-il, la vie partisane est différente, les partis qui se présentent ne sont pas les mêmes d’un niveau à l’autre. Il n’y a pas d’intégration verticale, à l’exception du Nouveau Parti démocratique.»

Le professeur revient sur le contexte politique particulier constitué par le référendum de 1995 sur le projet de souveraineté du Québec. Rappelons que 93,5 % des électeurs ont exercé leur droit de vote le 30 octobre. « Ce fut un moment charnière dans l’histoire du peuple québécois avec un taux de participation extrêmement élevé », rappelle-t-il. Mais ce résultat n’a pas changé les électeurs. Plusieurs personnes sont revenues au jeu électoral à cette occasion avant de disparaître après les élections générales québécoises en 1998

L’étude révèle que, depuis les années 1940, le Québec fait un peu mieux que les autres provinces canadiennes en termes de participation électorale. « Nous sommes moins mauvais que les autres », affirme-t-il. Cela s’explique par le droit de vote accordé aux femmes en 1940 et dont l’effet a perduré.

Élections anticipées

L’une des causes du déclin de l’intérêt des citoyens pour le processus électoral est le recours, par les gouvernements minoritaires, à des élections anticipées. Ce type d’élection est déclenché avant la fin d’un mandat gouvernemental. « Les gouvernements minoritaires se sentent en position de force et convoquent des élections pour profiter de leur avantage », explique Marc André Bodet. Les premiers ministres Jean Chrétien, autrefois, et Pauline Marois, plus récemment, tous deux à la tête d’un gouvernement minoritaire, l’ont fait. Cependant, ces élections anticipées ont tendance à créer un effet négatif auprès de l’électorat. Ils désynchronisent les cycles électoraux et, par accumulation, induisent une lassitude des électeurs.»

Sur les huit élections fédérales tenues au 21e siècle au Canada, seulement trois ont produit des gouvernements majoritaires.

Selon le professeur, ce phénomène devient de plus en plus fréquent. « Si nous regardons au fil du temps, nous devrions avoir de plus en plus d’élections », dit-il. Pensons simplement aux élections fédérales canadiennes. Il y en a eu un en 2018 et un en 2021, tous aboutissant à un gouvernement minoritaire. Il n’est pas impossible qu’il y en ait un en 2025. Les gouvernements minoritaires ont tendance à accélérer le processus dans le sens d’une instabilité parlementaire. Si la participation électorale est un indicateur de notre santé démocratique, on peut donc considérer que la lassitude croissante des électeurs est une mauvaise nouvelle.»

Le mécanisme de légitimité

Quelles seraient les conséquences à long terme d’une baisse de plus en plus marquée de la participation électorale ? « Au-dessus de 50 % de participation, répond Marc André Bodet, on est encore dans une mécanique de légitimité. Après, si la participation descend à 40 ou 30 %, on aura des questions à se poser. Le professeur cite en exemple l’abolition des élections scolaires au Québec. « La participation électorale avait considérablement diminué au fil des années », se souvient-il. Ces élections n’avaient plus aucun sens en termes de légitimité. Le danger est de se retrouver dans des élections municipales, provinciales ou fédérales où les gens qui décident de ne pas voter sont systématiquement plus nombreux que ceux qui décident de participer. Là, nous tombons dans un espace plus dangereux où ceux qui commencent à remettre en question la légitimité des partis au pouvoir auront des arguments en leur faveur.»

Selon lui, les pays où la participation électorale résiste le mieux sont ceux où le vote est obligatoire, comme en Belgique ou en Australie, ou ceux qui ont le scrutin proportionnel plurinominal, comme la Finlande ou le Portugal. « La participation électorale est bonne en Belgique et en Australie, souligne-t-il, mais depuis que les sanctions pour ceux qui ne votent pas ont été supprimées, nous avons observé une baisse de la participation. Nous savons également que les pays qui ont un système de vote proportionnel ont généralement des taux de participation plus élevés que ceux qui ont un système de vote majoritaire.

Mouvements populistes

Le professeur voit plusieurs points communs entre le Canada et l’Espagne, deux États fédérés dont une partie du territoire est occupée par un peuple en quête d’émancipation, soit le Québec et la Catalogne. Selon lui, l’Espagne constitue un bon cas de comparaison avec sa faible participation électorale et ses élections serrées. « Pendant longtemps, dit-il, les deux pays ont semblé protégés des mouvements populistes. Mais avec l’apparition du parti d’extrême droite Vox en Espagne et celle du Parti populaire du Canada dirigé par Maxime Bernier, le barrage est brisé. En politique comparée, on dit souvent que l’Espagne et l’Italie sont à l’avant-garde des tendances politiques. Toutes sortes de tendances viennent de ces deux pays. Le premier Donald Trump fut le Premier ministre italien Silvio Berlusconi. Les premiers partis populistes sont apparus en Italie.»

Les autres collaborateurs de ce projet de recherche sont Alex B. Rivard, premier auteur, et Véronique Boucher-Lafleur. Alex B. Rivard était chercheur postdoctoral à l’Université Laval au moment de la rédaction de cet article. Il est maintenant professeur adjoint à l’Université Simon Fraser. Véronique Boucher-Lafleur, quant à elle, était inscrite à une maîtrise en sciences politiques à l’Université Laval. Elle est maintenant agente de recherche à l’Assemblée nationale du Québec.

 
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