Le DUP Vivien, un outil libérateur du territoire à consommer sans modération

Il y a 20 ans, le sujet revenait sur la table à Mayotte, et cinq ans plus tard, il commençait à empêcher certains maires de dormir : comment développer les communes alors que les cabanes en tôle bourgeonnent sur leurs terres, comme les arbres au printemps. De nombreux dispositifs ont été adaptés, voire conçus pour le territoire. La Commission Foncière d’Urgence (CUF) pour naviguer dans la copropriété, ou encore en 2018 la loi Elan démolition/reconstruction. Mais au moment où ces machines ont été mises en place, les quartiers informels étaient en expansion.

Or, depuis 1970, il existe un système d’expropriation ciblant les quartiers insalubres, institué par la « loi Vivienne » qui a permis d’accélérer l’élimination des bidonvilles en France métropolitaine. Couplée à la loi Letchimy de 2011, elle permet l’expropriation des logements construits sans droits ni titres dont le caractère insalubre ou dangereux a été constaté. « Cela nous permet d’avancer plus vite car la phase administrative est simplifiée en l’absence d’enquête publique préalable », indique Astrée Coutanson, chef du service de l’aménagement urbain à la mairie de Koungou. Elle et son équipe maîtrisent ce type de DUP (Déclaration d’utilité publique), présentée à Elisabeth Borne, alors Premier ministre, en visite à Mayotte au cœur de la zone Mavadzani-Mouinajou concernée par ces démarches.

Remise foncière importante

5 hectares appartenant à 9 propriétaires privés, dont une société (©Mairie de Koungou)

Ce secteur prioritaire NPRU (Nouveau Programme de Renouvellement Urbain) s’étend sur 5 hectares sur les hauteurs des deux Majikavo, Koropa et Lamir. Un vieux projet qui recense 235 constructions en 2021, mais qui se sont multipliées depuis, « le recensement de 2023 établit 464 unités d’habitation », soit presque autant de cartons à détruire. Le quartier est visible depuis les locaux de la mairie attenante, comme lors de la visite de l’ancien ministre de la Ville, Olivier Klein l’année dernière… avec de nombreux ajouts de tôles. C’est lui qui a signé ce NPRU de Koungou lorsqu’il était à la tête de l’Agence de rénovation urbaine (ANRU).

L’originalité du DUP Vivien, c’est Astrée Coutanson qui nous l’explique : « C’est une démarche globale alliant réduction des bidonvilles et stratégie de maîtrise du foncier public. Elle rend le propriétaire du terrain responsable de la dégradation de son bien. En l’impliquant notamment financièrement.

Ce domaine de 5 hectares est composé de 16 parcelles appartenant à 9 propriétaires privés. Une grande société foncière de l’île ayant revendu une partie de ses terrains à des particuliers, « à des prix parfois supérieurs à ceux estimés par France Domaine ». Sur les 9 propriétaires, un seul occupe son terrain. Il s’agissait donc d’informer les autres, dont l’entreprise en question, de l’impact de la détérioration de leur bien. Certaines personnes leur donnent une valeur ajoutée en percevant un loyer.

La procédure est simple. Tout commence par un travail de terrain mené par l’ARS au sein de ces cabanes, qui publie un constat d’insalubrité. « Le préfet prend alors un arrêté d’insalubrité, notifié au propriétaire, qui dispose d’un délai de 5 mois pour y remédier. S’il ne le fait pas, une ordonnance DUP est émise, qui déclare la cessibilité de son bien et fixe le montant de l’indemnisation allouée au propriétaire. » Celui-ci prend en compte l’évaluation du bien par France domaine, et en déduit plusieurs coûts : le coût de la démolition du terrain, sa décontamination et la restauration du site. « La valeur du bien ainsi estimée, appelée « récupération foncière », fait perdre au bien environ les deux tiers de sa valeur.

Une première à Mayotte

Olivier Klein en poste d’observation l’année dernière

Face à cela, le chef d’entreprise concerné a porté plainte et a perdu. « Le recours n’étant pas suspensif en la matière, la procédure continue », indique l’urbaniste.

Une manière d’inciter les propriétaires à s’intéresser à leur bien, sujet que nous avions abondamment évoqué avec l’expert en mobilité Mohamed Hamissi, qui a parlé du foncier comme d’une « bombe à retardement », pour son incitation à la migration s’il n’était pas aménagé.

Ce DUP Vivien a pris plus de temps que prévu en raison des aléas sociaux du territoire, mais aussi, parce qu’elle a souffert du casting, « c’est la première réalisée à Mayotte ! Normalement, il s’agit d’un processus administratif accéléré. »

Première audience en juin

Le décret DUP a été pris le 14 novembre 2023, l’arrêté d’expropriation a suivi puisqu’il était en date du 18 avril 2024, la mairie de Koungou est donc maître des terrains. La deuxième phase, qui concerne la détermination des montants de récupération des terres à verser aux propriétaires, est en cours. La première audience tenue par le juge de l’expropriation, qui réunit les parties, est prévue au tribunal judiciaire le 21 juin 2024. Les anciens propriétaires recevront à l’issue leur indemnisation.

Vue panoramique avec, à gauche, le quartier le moins peuplé de Mouinajou et à droite, Mavadzani

Le maire de Koungou a désormais la possibilité de faire activer la loi ELAN par le préfet pour démolir les baraques en tôle et reloger les occupants éligibles. Un look familier, avec une cloison évolutive puisqu’il faudra reloger un nombre important de familles dans les 464 cases existantes. C’est donc l’agenda de la préfecture qui fixe désormais le « la ».

Dans cette zone, une grande ZAC (Zone d’Aménagement Concertée) va être créée, avec 900 logements, des équipements publics dont des écoles, des commerces, « nous voulons accompagner l’extension des deux Majikavos qui se rejoignent sur les hauteurs, en aménageant des routes. et les équipements publics, pour ne plus souffrir, mais maîtriser cette évolution. Le recrutement des concessionnaires est en cours. Le quartier Mouinajou le permet en proposant des terrains vierges, préemptés par l’EPFAM (Etablissement Public, Territoire et Aménagement), contrairement à Mavadzani densifié en tôle.

Un bidonville qui date de 2016, et qui incite la ville à se rapprocher des propriétaires des six villages de la commune, pour éviter d’en arriver là. Le seul propriétaire occupant du territoire concerné par la DUP Vivien bénéficiera d’un rachat sans réduction, au prix fixé par France Domaine, qui devrait faire réfléchir.

La municipalité a déjà démoli plusieurs quartiers et envisage des reconstructions, « les travaux prévus sur le site de Carobolé débuteront entre fin 2024 et début 2025 ».

Ce DUP Vivien peut être « dupliqué à souhait dans les quartiers insalubres du territoire de Mayotte, précise Astrée Coutanson, il nécessite une volonté politique forte de la part du maire qui peut se retrouver face à de puissants enjeux. » Pas tellement d’enjeux fonciers si les élus s’en donnent les moyens.

Anne Perzo-Lafond

 
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