Des vies pour les votes

Il y a 23 ans, un petit garçon était tué devant sa mère par un conducteur ivre et le gouvernement du Québec promettait de durcir ses lois pour que ce type de drame n’arrive plus, ou du moins. beaucoup moins souvent.


Publié à 1h13

Mis à jour à 6h00

«C’est alarmant, ce qu’on vit, et j’espère que la société comprendra le message», a déclaré le ministre péquiste des Transports de l’époque, Guy Chevrette, s’engageant notamment à hausser la limite d’alcool permise dans le sang des automobilistes de 0,08 à 0,05.

La société québécoise a parfaitement compris le message, merci beaucoup. Depuis 23 ans, ce sont plutôt les politiques qui la gouvernent qui font la sourde oreille.

Comme l’a rapporté vendredi mon collègue Vincent Larin1le gouvernement péquiste a fini par faire machine arrière. Après lui, c’est le gouvernement libéral qui a fait marche arrière, deux fois plutôt qu’une. Aujourd’hui, le gouvernement caquiste n’ose même plus tenter le coup. Alors que le débat refait surface à l’Assemblée nationale, il fait l’innocent en attendant qu’il soit voté.

Il semble convaincu qu’il est politiquement plus rentable de laisser les gens conduire un peu chauds, après une soirée au restaurant, que de sauver des vies.

Depuis mercredi, on peut chiffrer le nombre de vies perdues au Québec à cause de ce calcul politique profondément cynique.

Ce jour-là, un avis de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) était rendu public, une semaine après avoir été presque entièrement caviardé, comme pour cacher l’ampleur de l’hypocrisie du gouvernement dans ce dossier.

Comme si le gouvernement n’avait pas voulu nous faire savoir, comme le conclut l’avis de la SAAQ, qu’abaisser le taux d’alcoolémie au volant à 0,05 permettrait de sauver jusqu’à neuf vies chaque année.

Neuf vies. Chaque année. Faites le calcul : si le gouvernement avait maintenu le cap il y a 23 ans, jusqu’à 207 vies auraient depuis été épargnées au Québec. Nous aurions pu éviter que 230 personnes ne soient grièvement blessées. Et le Trésor public aurait économisé 69 millions de dollars en coûts d’indemnisation.

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PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Si le gouvernement du Québec avait imposé une limite d’alcool à 0,05 en 2001, jusqu’à 207 vies auraient été sauvées.

Les gouvernements successifs ne peuvent pas plaider leur ignorance. La littérature scientifique est sans équivoque : abaisser la limite à 0,05 permettrait de sauver des vies, chaque année, sur nos routes. L’Institut national de santé publique du Québec l’appuie depuis 2010. La Table de sécurité routière du Québec dit la même chose depuis 2009.

Cette fois, la SAAQ le démontre encore une fois, à l’image d’une enquête du Devoir2ce qui a lancé le bal en début de semaine. Mais cela n’intéresse guère la ministre des Transports, Geneviève Guilbault – même si elle affirmait elle-même, l’an dernier, que « le seul nombre acceptable de morts ou de blessés est zéro ».

Pendant des jours, Mmoi Guilbault répète la même cassette : le gouvernement fait déjà beaucoup pour améliorer le bilan routier. Lorsqu’on lui a demandé s’il ne pouvait pas faire plus, elle a répondu que le gouvernement faisait déjà beaucoup pour améliorer le bilan en matière de sécurité routière. Lorsqu’on lui demande pourquoi le Québec est la seule province à ne pas limiter son taux d’alcoolémie à 0,05, elle répond que le gouvernement fait déjà beaucoup pour…

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PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE ARCHIVES

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, mercredi dernier

Personne ne réussira à lui faire admettre cette évidence : si Québec refuse de mettre en place une mesure qui pourrait sauver jusqu’à neuf vies par année, c’est parce qu’il craint la colère des restaurateurs et des électeurs de la région. C’est tout ce qui peut expliquer les hésitations de ce gouvernement et de ceux qui l’ont précédé pendant (au moins) 23 ans.

Lorsque le Québec a interdit la cigarette dans les bars et restaurants en 2006, l’apocalypse était prédite. Les conséquences économiques seraient désastreuses, les clients resteraient chez eux, il y aurait des faillites en chaîne.

L’apocalypse n’a pas eu lieu. Les clients se sont adaptés. Ils continuaient à sortir — et étaient même heureux de ne plus sentir le tabac en fin de soirée.

Ce ne serait pas différent si le Québec resserrait les règles sur la conduite en état d’ébriété.

Les clients s’adapteraient, comme ils l’ont fait dans d’autres provinces. Les restaurateurs s’adapteraient aussi, comme en Écosse, où une étude citée dans l’avis de la SAAQ (et soigneusement caviardée jusqu’à mercredi) démontrait que « la légère perte de revenus dans la vente d’alcool a probablement été compensée, au moins en partie, par la vente de boissons non alcoolisées ». -produits alcoolisés et nourriture.

Bref, ce ne serait pas la fin du monde. Les Québécois ne sont pas plus bêtes que les autres, ils s’adapteraient aussi. Même la France, éternelle amoureuse du vin, a fixé la limite autorisée à 0,05. J’aimerais croire que le Québec est une société distincte, mais à ce stade-ci…

Il est vrai que dans la région, il peut être difficile – et c’est peu dire – d’utiliser les transports en commun après être sorti au restaurant. Mais cela ne signifie pas que les habitants de la région soient majoritairement opposés à l’idée de relever la limite à 0,05.

Au contraire, 57% d’entre eux sont favorables à la mesure. Dans la région de Montréal, le taux d’appui grimpe à 66 % tandis que dans la région de Québec, il se situe à 50 %, selon un sondage SOM-Les Coops de l’information réalisé l’an dernier.3.

Ainsi, partout au Québec, 61 % des Québécois souhaitent que le gouvernement écoute enfin la science et agisse. L’acceptabilité sociale est là, bien ancrée. Il n’y a plus de votes à perdre, seulement des vies à sauver.

1. Lire l’article « Abaisser la limite d’alcool à 0,05 : les multiples allers-retours du Québec »

2. Lisez l’enquête Devoir «Le Québec ignore les avis des experts sur la conduite en état d’ébriété»

3. Lisez l’article de Droite «Les Québécois souhaitent une réduction du taux d’alcoolémie à 0,05»

 
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