Le Canada ne doit pas ignorer l’autoritarisme du premier ministre Modi

Le Canada et le Québec positionnent l’Inde comme un acteur clé de leur stratégie indo-pacifique. Québec envisage même d’ouvrir son propre bureau, celui-ci étant actuellement situé au sein du consulat canadien à Mumbai. Cela a également été suggéré dans un document de recommandations politiques produit par l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM).


Publié à 00h49

Mis à jour à 15h00

Catherine Viens

Professeur agrégé à l’Observatoire canadien des crises et de l’action humanitaire, Institut d’études internationales de Montréal (IEIM), UQAM

C’est la croissance économique de l’Inde et son titre de « plus grande démocratie » qui justifient l’enthousiasme et l’intérêt international.

Le 19 avril, le pays est entré en période électorale. Un exercice démocratique d’une ampleur inédite : jusqu’au 1euh En juin, 969 millions de personnes sont appelées aux urnes. Depuis 2014, le Bharatiya Janata Party (BJP) est à la tête du pays avec le Premier ministre Narendra Modi.

Le BJP est un parti nationaliste hindou d’extrême droite qui a radicalement changé le paysage politique indien au cours de ses deux mandats majoritaires (2014 et 2019).

L’un des changements importants apportés par le BJP concerne l’état de la démocratie indienne et la concentration de la richesse nationale entre les mains de quelques conglomérats. Cela a des répercussions sur le contexte électoral.

Contexte de violence

Le principal objectif politique du BJP est de faire de l’Inde un État hindou. C’est ce qu’il fait depuis 2014, en soutenant un discours pro-hindou, en adoptant des lois et des politiques discriminatoires à l’égard des minorités religieuses et en renforçant son contrôle sur les espaces démocratiques.

Un impact concret est l’augmentation de la violence entre communautés religieuses, avec une grande tolérance, voire le silence, de la part de l’État et des forces de police face aux actions violentes des groupes hindous. Cette violence pousse même de nombreuses personnes à demander l’asile au Canada.

Des mesures ont été prises par la Commission électorale pour garantir que le vote se déroule en toute sécurité, notamment par le déploiement de forces de police et d’observateurs. Cela sera suivi dans les semaines à venir.

Contrôle des informations

Le gouvernement Modi restreint le travail des ONG de défense des droits humains et le travail journalistique par le biais de réglementations financières et d’un recours excessif aux Loi sur la prévention des activités illégales. Au nom de la sécurité nationale, plusieurs personnes ont été arrêtées sans preuves et sont souvent détenues illégalement.

Dans un contexte électoral, cela présente des risques en termes d’accès à l’information et de liberté de la presse. Plusieurs journalistes craignent pour leur sécurité au début du scrutin.

Cette crainte s’explique aussi par la proximité du gouvernement Modi avec les groupes Adani et Reliance Industries, qui exercent ensemble un oligopole dans le paysage médiatique indien.

La question des fonds électoraux

La principale opposition du BJP est l’Alliance inclusive pour le développement national indien, dirigée par le Parti du Congrès et regroupant 41 partis. Il faudra observer dans les prochaines semaines si cette coalition se présentera comme un front unique ou si elle sera plutôt fragmentée.

L’un des principaux enjeux pour l’opposition concerne les fonds électoraux qui sont phénoménaux du côté du BJP, lui permettant d’acheter massivement des espaces publicitaires pour saturer l’espace public.

Derrière cette lacune se cache un système de financement privé des partis mis en place en 2017 par le BJP et récemment déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême. Grâce à ce système, le parti de Modi a reçu près de 750 millions de dollars.

Au cours de la campagne, le BJP a agi pour mettre des obstacles sur le chemin de l’opposition. Le Parti du Congrès, par exemple, a vu ses comptes bancaires gelés plus tôt cette année. Le ministre en chef de Delhi, élu sous la bannière du parti Aam Aadmi et principal opposant à Modi, Arvind Kejriwal, a été arrêté pour une affaire d’octroi de licences d’alcool privées près d’un mois avant le début des élections.

À qui profite cette puissance économique ?

L’Inde connaît une croissance économique, attendue autour de 7% pour cet exercice.

Une partie de l’explication réside dans la tendance du gouvernement Modi à agir de manière décisive, sans consulter le Parlement, et en concentrant les richesses au sein de quelques conglomérats. Par exemple, le groupe Adani est celui qui en profite le plus : il construit des ports, des autoroutes, des ponts, des parcs solaires et exploite des mines. Gautam Adani est devenu l’homme le plus riche d’Inde en 2022 et a atteint la troisième personne la plus riche du monde la même année.

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PHOTO M. SCOTT BRAUER, ARCHIVES DU NEW YORK TIMES

Gautam Adani, président du groupe Adani en octobre 2022

Cette croissance économique est loin de profiter à tout le monde, les inégalités sont extrêmes et croissantes. Même si le pays a réduit le taux d’extrême pauvreté, près de la moitié de sa population de 1,4 milliard d’habitants vit toujours en dessous du seuil de pauvreté, tandis que 10 % de la population possède 77 % de la richesse nationale totale. Les besoins sont particulièrement criants en termes de création d’emplois. On estime qu’environ 70 millions d’emplois devront être créés d’ici 10 ans.

L’Inde est le 11e partenaire commercial du Québec et du 13e partenaire du Canada. La diaspora indienne représente 5 % de la population canadienne. Ces derniers sont très sensibles au contexte politique indien, la plupart entretenant des liens familiaux dans le pays. Il faudra rester à l’affût de l’impact de cette élection sur le territoire canadien.

Le Canada et le Québec souhaitent accroître leurs échanges commerciaux avec l’Inde, et pour cause. Il ne faut cependant pas le faire aveuglément et sans tenir compte des changements politiques qui font que l’Inde ne présente plus les caractéristiques de « la plus grande démocratie du monde ».

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