l’État face à la pression des groupes citoyens

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A Mamoudzou, dans le quartier du stade Cavani, des réfugiés enroulent nattes et matelas pour ne pas gêner le passage sur les trottoirs, le 20 avril 2024 à Mayotte. MAIWENN LE GOFF

« Ils ont tout jeté. Ils m’ont même pris de l’eau, de la nourriture et des médicaments. C’est un cauchemar. » De retour d’une consultation à la Croix-Rouge, Régine K., 43 ans, réfugiée congolaise arrivée à Mayotte à bord d’un kwassa-kwassa – embarcations légères – en août 2022, découvre, dans un mélange d’étonnement et de révolte, qu’il “Il ne reste rien” sur la partie du trottoir qu’elle occupait sur le boulevard face au stade Cavani, un quartier au sud de Mamoudzou, le chef-lieu du département. Ses valises malades, les deux nattes sur lesquelles elle dormait à même le sol, son petit brasero ont été chargés dans un camion benne. Même sort pour les quelque 500 migrants africains, principalement originaires de Somalie et de la région des Grands Lacs – République démocratique du Congo (RDC), Rwanda et Burundi notamment.

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Vendredi 26 avril tôt, la préfecture de Mayotte a lancé une opération avec la police pour les expulser. Ces demandeurs d’asile ou réfugiés s’y sont installés après le démantèlement du campement improvisé de l’arène sportive le 22 mars. Sans eau, dans des conditions d’hygiène exécrables, entassés leur linge sur des grillages, dormant sur un matelas en mousse pour les plus chanceux. Un bidonville à ciel ouvert écrasé par le soleil.

“La situation n’était plus tenable pour les habitants du quartier, les commerces et les restaurants, et inhumaine pour ces gens qui vivent à terre avec de jeunes enfants”, » raconte le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, qui a pris un arrêté interdisant l’occupation de la voie publique. Il y a aussi maladies circulantes comme le choléra et problèmes de sécurité. « Il fallait rendre ce quartier aux habitants de Cavani, a déclaré sur place le préfet François-Xavier Bieuville. Je n’ai aucun scrupule. »

“Des droits que nous n’avons pas”

Fin décembre 2023, la multiplication de petites cabanes fabriquées par des migrants, avec du bois de récupération et des bâches bleues, autour du stade avait cristallisé toute la colère des groupes citoyens dénonçant le résultat d’une immigration clandestine incontrôlée. Point de départ du blocus de l’île de fin janvier à début mars. Leur démantèlement n’aura fait que temporairement apaiser les tensions à Mayotte.

Alors que la ministre des Outre-mer, Marie Guévenoux, doit revenir sur l’île début mai, certains groupes n’excluent pas de nouvelles actions. « Nous voulons que ces gens quittent Mayotte, prévient Safina Soula, leader du collectif Les Citoyens de Mayotte 2018. L’État doit trouver des solutions. Ici, il n’y a pas assez d’hébergements ou de logements d’urgence. Ils ne peuvent pas avoir des droits que nous, Français, n’avons pas. »

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En déplacement sur l’île les 20 et 21 avril, Marine Le Pen a fait de l’installation de migrants africains dans la rue le symbole de ” chaos ” OMS « menace Mayotte d’un danger de mort », et l’incapacité du gouvernement pour « faire preuve d’autorité ». Dans les nuits de dimanche et de lundi qui ont suivi – sans qu’un lien de cause à effet ait pu être établi – les abris de fortune de plusieurs migrants se sont installés autour du bâtiment de l’association Solidarité Mayotte, qui a accompagné 2 896 demandeurs d’asile. d’asile en 2023, ont été incendiés.

Les bureaux de l’association, à un kilomètre du stade, ont également été endommagés par les flammes. Un nouvel épisode de tensions généré par « jeunes délinquants » Habitant le quartier qui est aussi constitué de bidonvilles, les réfugiés se plaignent, parlant de jets de pierres, de vols de téléphones, mais surtout de l’accès au bassin Massimoni, à côté de l’association, où ils vont puiser de l’eau et se laver. sous des invectives comme : « Africains, vous n’êtes pas chez vous ! »

«Nous survivrons à Mayotte»

« J’ai recueilli des gens en larmes, traumatisés, qui me disaient qu’ils avaient tout perdu, mais surtout les papiers indispensables pour faire avancer leur situation, témoigne Anthony Bulteau, coordinateur terrain à Mayotte pour Solidarités International, une ONG spécialisée dans les questions d’eau et qui distribue des kits d’hygiène aux familles précaires de l’île. Plusieurs m’ont dit : « Nous ne sommes pas des animaux. Nous avons survécu à la guerre, à la traversée maritime. Nous survivrons à Mayotte. C’est incroyable de faire cette comparaison. »

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Pour les migrants africains, l’opération policière a été vécue comme une autre forme d’agression. Sans solution, nombre d’entre eux restent sur les trottoirs. “Je n’ai nulle part où aller”, déplore Régine K., mère de six enfants. Tout comme ces jeunes Somaliens, regroupés pour “restons unis”, qui racontent comment leur pays est en proie à la guerre civile, aux gangs et trafics criminels, et au fondamentalisme.

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Abdullahi, 24 ans, a fui Mogadiscio il y a huit mois. « Mon père et mon petit frère sont morts dans l’explosion d’une bombe et ma mère a perdu une jambe. », témoigne-t-il avec retenue. Sur son kwassa-kwassa, 41 personnes étaient entassées. Deux d’entre eux sont tombés à l’eau à cause d’une mer agitée et n’ont pas été récupérés. Pourquoi Mayotte ? «Je ne savais pas que j’allais arriver ici. Mon désir était de fuir vers un pays sûr, une zone de réfugiés internationaux », répond ce jeune homme qui survit en travaillant pour les commerçants locaux, “une fois ou deux fois par semaine”. « J’arrive à gagner 7 à 10 euros. C’est déjà mieux que rien. J’en envoie à la famille. »

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Au petit matin, à Mamoudzou dans le quartier du stade Cavani, le 22 avril 2024, à Mayotte.

Au petit matin, à Mamoudzou dans le quartier du stade Cavani, le 22 avril 2024, à Mayotte. MAIWENN LE GOFF

Parlant du manque d’hygiène, les migrants de Cavani “se débrouiller”disent-ils modestement, dans un tuyau voisin. « Il y a beaucoup de malades, surtout des femmes, ajoute Abdullahi. Cette vie est bien plus difficile pour eux. » « Le plus compliqué, c’est de ne pas avoir d’intimité, de ne pas pouvoir dormir complètement la nuit, de protéger le peu de nos affaires personnelles et de vivre ainsi, dehors, dans le bruit », décrit, quant à elle, une jeune Somalienne, arrivée seule à Mayotte, il y a près de trois mois, car à Mogadiscio « la violence est partout et a tué [son] père “.

« Opération recensement »

Avant de tenter de retirer ces migrants des rues, la préfecture a procédé, mercredi 24 avril, à une « opération de recensement ». « Pour savoir qui ils sont, observe le préfet de Mayotte. Nous procéderons aux expulsions vers la frontière et au relogement des femmes et des enfants. Cela prendra du temps, il faut le reconnaître. » Face à une partie de l’opinion publique mahoraise réclamant des mesures fortes, l’Etat assure que des solutions ont été trouvées pour plus de 1.000 migrants installés dans le stade, dont 550 réfugiés transportés vers la France. Toutefois, de nouveaux départs ne sont pas envisagés. En raison de la polémique suscitée par l’installation de 300 migrants dans un “Château des Yvelines” et le risque, selon M. Bieuville, de “créer les conditions d’un courant d’air”.

Prônée par plusieurs associations, la construction d’un camp sécurisé est farouchement rejetée par les élus locaux pour les mêmes raisons. « Mayotte est un territoire « bidonville » avec 77% de personnes en situation de grande pauvreté, fait valoir le maire de Mamoudzou. Si on ajoute précarité sur précarité, on n’y arrivera pas. Mayotte ne peut pas être le collecteur de pauvreté. » Pour Ambdilwahedou Soumaïla, l’Etat doit restituer les frontières de Mayotte “hermétique”. “C’est la Source de tous nos problèmes” il insiste.

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Dans la rue, face au stade Cavani, partageant avec ses camarades quelques euros par jour pour acheter à manger, Abacar, 26 ans, garde espoir pour son « six frères et sœurs plus jeunes que moi restés en Somalie » et sa famille qui a contribué à payer son départ (environ 400 euros). « Mon rêve serait d’aller en France [en métropole] pour trouver un lieu de paix, confie celui qui était commerçant dans la région enclavée de Hiiraan, au centre de la Somalie. Même si Mayotte est régulièrement violente, ce n’est rien comparé à d’où nous venons. »

Jérôme Talpin (Mamoudzou, Mayotte, envoyé spécial)

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