Les bibliothèques de Sherbrooke font pitié

S’il ne fait aucun doute que les bibliothèques de Saint-Élie, Rock Forest, Brompton et Lennoxville sont exploitées par des personnes dévouées, une visite des lieux permet également de comprendre à quel point les bibliothèques sont sous-financées. à Sherbrooke est importante et chronique. Modeste serait une façon polie de les décrire.

Même si elle possède un certain charme dû à son patrimoine, difficile de croire que Lennoxville se trouve à côté d’une université. Celle de Saint-Élie est à peine plus grande que celle d’une école primaire, la même à Brompton. Celui de Rock Forest manque clairement d’espace, tout est bondé, peu de place pour lire ou respirer.

Dans une étude, Sherbrooke apparaît comme la ville où les usagers ont le moins d’espace de bibliothèque pour lire, tout bien considéré. Soulignons également que Sherbrooke n’investit que 25 $ par habitant pour ses bibliothèques, alors que des villes similaires comme Lévis ou Saguenay investissent 35 $ et Trois-Rivières, 45 $. Dans les bibliothèques actuelles, environ 40 % de la superficie est réservée aux espaces publics, à Sherbrooke, elle est de l’ordre de 23 % seulement. Sherbrooke connaît également un déficit d’heures d’ouverture, presque deux fois moins qu’elle le devrait.

La bibliothèque de Saint-Élie a des places pour s’asseoir, mais pas d’espace tranquille pour lire. (Maxime Picard/La Tribune)

En effet, sur une échelle de 1 à 5, où 5 est la note la plus élevée, l’Estrie n’a obtenu qu’une note de 2, au Portrait national 2023 des bibliothèques publiques du Québec. Et oui, plusieurs bibliothèques québécoises ont une note de 5, mais pas en Estrie.

Mais au moins, peut-on le dire, ces quartiers sherbrookois ont une succursale. Contrairement à Fleurimont, où vit 27 % de la population, soit 49 000 personnes.

Le sujet déchire le conseil municipal. En théorie, tout le monde est favorable à une bibliothèque à Fleurimont, mais la vertu est brisée par le projet sur la table, celui de transformer l’église Sainte-Famille en bibliothèque. Quarante millions de dollars, c’est trop cher selon certains membres du conseil. Il faudrait un projet plus modeste.

Même si elle nécessiterait également des investissements, la bibliothèque Éva-Senécal, au centre-ville, est celle qui se rapproche le plus des normes actuelles. (Maxime Picard/La Tribune)

L’idée de collaborer avec les bibliothèques scolaires a été avancée, mais très franchement, c’est un argument qui ne peut venir que de quelqu’un qui n’a pas beaucoup utilisé les bibliothèques dans sa vie.

Déjà, les bibliothèques scolaires sont également souvent sous-financées. Et c’est à ce moment-là qu’ils ont l’espace pour exister. De plus en plus, les bibliothèques scolaires sont réquisitionnées pour servir de salles de répétition, de salles de classe ou de cafétérias.

Mais même dans des situations idéales, il s’agit généralement de bibliothèques modestes qui remplissent un rôle précis, dans un contexte particulier auprès d’une clientèle ciblée. Une bibliothèque d’école primaire, par exemple, ne peut pas répondre aux besoins d’un lectorat adolescent ou adulte. Il n’a pas non plus le volume, le nombre d’exemplaires, ni le personnel suffisant pour desservir tout un quartier.

Située dans un bâtiment mal adapté, la bibliothèque Bertrand-Delisle de Rock Forest manque de lumière et d’espace. (Maxime Picard/La Tribune)

À la bibliothèque Bertrand-Delisle, à Rock Forest, une centaine de personnes y passent chaque jour de la semaine et deux fois plus la fin de semaine, pour un total de 46 000 personnes par année. Familles, personnes âgées, adultes, la clientèle empruntant les 30 000 livres mis à disposition est très variée. Une bibliothèque scolaire ne peut pas répondre à ces besoins. Elle pourra peut-être compléter l’offre, au mieux, mais elle a déjà sa propre mission.

Ça change des vies

Je n’ai pas grandi dans une famille qui lisait. Il n’y avait pas de bibliothèque chez mes parents. J’étais le seul à être enthousiasmé par les salons du livre – que je visitais avec l’école ou seul, selon l’âge.

Surtout, j’ai emprunté beaucoup de livres à la bibliothèque. Beaucoup. Des bandes dessinées, des romans, des nouvelles, des encyclopédies, des magazines trop chers pour mon budget, comme Sciences & Vie ou National géographique. Chaque semaine, j’empruntais une douzaine de documents.

J’ai rapidement parcouru la bibliothèque de mon école. J’ai même fini par faire le tour de ma bibliothèque de banlieue. À 13 ans, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire un trajet d’une heure en autobus pour accéder au grand choix de la grande bibliothèque du centre-ville de Québec, Gabrielle-Roy. Bibliothèque qui vient d’ailleurs d’être rénovée pour 43 millions de dollars.

Les rénovations de la bibliothèque Gabrielle-Roy à Québec ont misé sur une fenestration omniprésente pour apporter de la lumière naturelle aux espaces publics.

Les rénovations de la bibliothèque Gabrielle-Roy à Québec ont misé sur une fenestration omniprésente pour apporter de la lumière naturelle aux espaces publics. (Archives Le Soleil)

C’était très excitant pour moi d’avoir accès à beaucoup de nouveaux choix, artistes et collections que je n’avais jamais vus dans ma bibliothèque locale. Il me faudrait plusieurs colonnes pour expliquer à quel point les bibliothèques ont été importantes dans ma vie comme elles l’ont été dans la vie de nombreuses personnes. C’était un lieu d’épanouissement, d’apprentissage, de découvertes, de refuge, d’évolution.

Trop cher

La pire chose que la Ville de Sherbrooke puisse faire serait de construire à Fleurimont une bibliothèque semblable à celles des autres arrondissements. Ce serait insultant, mais surtout archaïque. Les bibliothèques d’aujourd’hui ne ressemblent plus à celles du siècle précédent.

Si le bâtiment patrimonial rend les lieux agréables, la bibliothèque de Lennoxville manque d'espace pour s'adapter aux besoins d'aujourd'hui.

Si le bâtiment patrimonial rend les lieux agréables, la bibliothèque de Lennoxville manque d’espace pour s’adapter aux besoins d’aujourd’hui. (Maxime Picard/La Tribune)

L’église appartient déjà à la Ville. Si ce projet n’aboutit pas, il conduira à un autre bâtiment patrimonial abandonné. Démolir le bâtiment actuel aurait un coût. Ceux qui pensent que raser un immeuble est forcément économique devraient vérifier avant d’aller de l’avant.

Au Saguenay, la démolition de l’église Saint-Joachim a frôlé le million de dollars. À La Tuque, la démolition d’une église a été estimée à un million. La démolition de l’église Sainte-Famille pourrait coûter deux à trois millions. Et c’est juste pour poser les choses. Cela ne redémarre rien. Cela peut facilement devenir un gaspillage d’argent si cela ne correspond pas à un plan.

Comme je le disais dans une chronique précédente, compte tenu de la localisation de l’église Sainte-Famille, face à une école et au milieu d’un quartier résidentiel, les options de réaménagement sont limitées. Un projet immobilier rencontrerait trop d’obstacles, il n’y a pas vraiment d’options commerciales, il est difficile d’en faire autre chose qu’un lieu communautaire sans que la Ville y perde. Comme une bibliothèque.

L'église Sainte-Famille est située dans un quartier résidentiel, face à une école primaire et à proximité du Cégep de Sherbrooke.

L’église Sainte-Famille est située dans un quartier résidentiel, face à une école primaire et à proximité du Cégep de Sherbrooke. (Maxime Picard/Archives La Tribune)

Ce qui est un peu agaçant, c’est le double standard entre le tapis rouge parfois déroulé pour des projets industriels ou immobiliers et la méfiance souvent présente à l’égard de la culture. La culture apparaît toujours comme une matière secondaire.

Cependant, s’il existe une infrastructure qui contribue à l’éducation et à l’économie du savoir, ce sont bien les bibliothèques. S’il est un lieu qui contribue à la diffusion de la culture, ce sont bien les bibliothèques. S’il existe un centre qui facilite l’intégration sociale, ce sont bien les bibliothèques. S’il est un lieu qui nourrit l’imaginaire des jeunes, qui nourrit les rêves et stimule les projets de demain, ce sont bien les bibliothèques.

C’est vrai, la Ville de Sherbrooke a plusieurs investissements majeurs devant elle, dans plusieurs infrastructures. L’entonnoir est serré. Mais la culture ne peut être sacrifiée, elle doit aussi trouver sa place parmi d’autres enjeux.

Je me permets cette comparaison facile, mais investir dans une bibliothèque est un retour bien plus garanti que celui d’un grand projet comme Northvolt. Sa performance ne dépend pas des fluctuations du marché, il suffit de la construire et de l’entretenir. Tel un jardin, il devient alors une ressource renouvelable de richesse collective.

Pour répondre à cette chronique, écrivez-nous à [email protected]. Certaines réponses pourront être publiées dans notre rubrique Opinions.

 
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