Dès la première salle, au centre du labyrinthe, on entend la voix d’André Breton, auteur de Manifeste du surréalisme en 1924, reconstitué par «clonage vocal» grâce à l’intelligence artificielle à l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam). L’occasion d’expliquer l’origine de l’œuvre, et du mouvement.
“Paris est le berceau du surréalisme, dit Marie Sarré. Les jeunes qui faisaient le mouvement, âgés de 25 à 28 ans en 1924, n’étaient pas parisiens, mais le centre intellectuel était dans la capitale. André Breton, Louis Aragon, Philippe Soupault, Paul Éluard… Ils ont vécu la guerre, et en sont sortis avec un véritable dégoût pour les valeurs du progrès, de la civilisation, de la machine, qui ont conduit au désastre. Ils veulent se révolter contre ce rationalisme et ces idées modernes.“
“Ils rejoignent dans un premier temps le groupe Dada, né en Suisse et en Allemagne, et arrivé à Paris en 1919 avec la figure de Tristan Tzara. Ils fondent une revue « La littérature, une transition entre Dada et surréalisme ». Et en 1924, ils créent le « Bureau Central de Recherches Surréalistes », au 15 rue de Grenelle, avant la publication du manifeste», résume-t-elle.
Au-delà de la rue de Grenelle, de nombreux lieux de la capitale marquent l’histoire du surréalisme. “Dès 1919 à l’Hôtel des Grands Hommes, près du Panthéon, André Breton et Philippe Soupault écrivent les « Champs magnétiques », en écriture automatique, c’est-à-dire allant le plus vite possible sans faire appel à la raison. Il y a aussi la rue Blomet, avec l’atelier d’André Masson et Joan Miró. Et sans doute le plus important : 42 rue Fontaine, l’atelier d’André Breton, où se réunissaient les surréalistes. A proximité, se trouve le Cabaret de l’Enfer, où se rendaient les surréalistes et dont la porte est reconstituée à l’entrée de l’exposition, invitant les visiteurs à se perdre dans le labyrinthe. Il y a aussi tous les cafés dans lesquels se retrouvent les artistes, comme la Promenade de Vénus», énumère le commissaire.
Mais l’exposition est loin de se limiter aux origines du mouvement. “La dernière exposition sur le surréalisme au Centre Pompidou remonte à plus de 20 ans, traces Marie Sarré. Le mouvement est alors perçu comme une avant-garde des années 1920-1930, essentiellement masculine, européenne, voire parisienne. De nombreuses recherches universitaires ont depuis relu le surréalisme comme un mouvement international, qui accordait une place décisive aux femmes artistes, comme Leonora Carrington, Ithell Colquhoun ou Remedios Varo.“
“Le mouvement est né à Paris, mais il est très vite devenu un mouvement international, bien avant la mondialisation.explique-t-elle. Dès l’origine, lorsqu’elle s’est développée dans la capitale, elle s’est constamment enrichie d’apports extérieurs. Les artistes sont pour la plupart étrangers : René Magritte, belge, Salvador Dalí, espagnol, ou encore Max Ernst, allemand… Puis il se répand sur tous les continents, en Chine, au Japon et au Maghreb dans les années 1930, au Mexique et en Amérique latine dans les années 1940. Le surréalisme n’est pas un dogme esthétique, mais une philosophie, donc tout le monde peut y adhérer.“
Comment définir simplement ce qu’est le surréalisme ? “Lors d’une conférence en 1935, André Breton disait qu’il s’agit à la fois du désir de « changer la vie » d’un point de vue poétique – expression empruntée à Arthur Rimbaud ; et « transformer le monde » politiquement – une expression empruntée à Karl Marx. C’est être engagé, révolutionnaire, mais aussi réinjecter le merveilleux dans le réel et remettre en question le rationnel.», répond le commissaire.
Marie Sarré souligne également que le surréalisme reste «un mouvement très actuel, pionnier dans les questions qu’il pose, avec l’urgence d’inventer un nouveau rapport au monde« . “Ces artistes se rendent compte qu’il n’est plus possible d’avoir un rapport consumériste avec la nature notamment et développent une démarche quasi écologique.», dit-elle.
A noter qu’au-delà du Centre Pompidou, une balade dans la capitale est proposée avec des animations prévues dans des dizaines de galeries et librairies du « Paris surréaliste ». Alors que l’exposition s’achève le 13 janvier, l’établissement s’apprête en tout cas à fermer ses portes à partir de l’été 2025, et jusqu’au début 2030, pour travaux de rénovation.