reconnaissance de la Palestine, la Belgique se distancie de l’Espagne

Hadja Lahbib : « Reconnaître symboliquement la Palestine sans faire progresser les droits des Palestiniens est un non ! »

Nous avons pu « voler » pendant une heure jusqu’à Hadja Lahbib (MR) entre une mission au Moyen-Orient, le 75e anniversaire de l’Otan et une nouvelle mission au Rwanda et au Congo, qui a débuté juste après notre entretien. Encore une semaine très intense pour notre ministre des Affaires étrangères…

Le ministre MR subit la pression du PS et d’Ecolo, pourtant partenaires du gouvernement. -Actualités photo




Par Interview : Didier Swysen

Publié le 06/04/2024 à 04h00

Vous vivez des semaines intenses. Comment décririez-vous le moment que nous vivons aujourd’hui en Europe et dans le monde ?

Ministre des Affaires étrangères en 2024, c’est intense, effectivement. Et en même temps, nous sentons que nous sommes à la croisée des chemins, que nous vivons un moment de vérité. Pour moi, le moment de vérité est d’appliquer partout les mêmes valeurs, le droit international, en reconnaissant que les droits de l’homme sont universels et que ce qui vaut pour une partie de la planète vaut pour l’autre. C’est pour cela que je me bats et je pense que la Belgique, en toute humilité, peut se vanter d’avoir cette position pionnière en matière de position équilibrée, équidistante et forte. Pour preuve, je peux citer les trois résolutions que nous avons votées aujourd’hui et qui sont aussi le fruit de nos efforts, ces derniers jours, pour convaincre les autres pays (nous y sommes parvenus avec sept des huit pays de l’Union européenne qui siègent au Conseil des droits de l’homme). Nous avons co-sponsorisé les deux premières actions intentées par les Palestiniens, l’une qui reconnaît le droit des Palestiniens à avoir accès à la justice, nationale ou internationale, pour défendre leurs droits les plus fondamentaux ; l’autre qui dénonce une colonisation israélienne qui ne respecte pas l’intégrité de leur territoire. J’ai visité des colonies israéliennes en Cisjordanie qui contribuent à chasser les Palestiniens de leurs foyers. Les familles ne peuvent plus rentrer chez elles, même si elles y vivent depuis 40 ans. La troisième résolution est le droit à l’autodétermination.

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La Belgique a-t-elle vraiment une voix qui compte dans le concert des nations ? Sommes-nous écoutés ?

Oui ! La population n’en est sans doute pas suffisamment consciente, mais nous pouvons vraiment être fiers de notre diplomatie. En général, nous sommes écoutés et nous atteignons nos objectifs, puisque nous avons réussi à obtenir une déclaration de 26 puis 27 États membres de l’Union demandant un cessez-le-feu et demandant à Israël de ne pas procéder à une incursion militaire à Rafah. J’ai négocié durement, ça a duré dix heures. Et aujourd’hui, j’ai le respect de l’Allemagne et de l’Espagne.

Depuis le début de l’intervention israélienne à Gaza, votre opinion a-t-elle évolué par rapport à ce que vous y voyez aujourd’hui ?

C’est la situation qui évolue. J’ai dit dès le premier jour, après les exactions du Hamas du 7 octobre, qu’Israël avait le droit de protéger ses civils, sa population et de se défendre conformément au droit international humanitaire, dans le respect des règles du droit international. . Il faut lutter contre le terrorisme, il faut libérer les otages, mais même en guerre, il y a des règles à respecter. Mes propos n’ont pas changé aujourd’hui. J’ai terminé en appelant à un cessez-le-feu immédiat, car la réponse, à nos yeux, est disproportionnée. Défendre sa population ne signifie pas qu’on ait le droit de tuer d’autres civils, de contribuer à la situation humanitaire que nous vivons, avec la menace de famine et de contrevenir au droit international humanitaire.

Si la Belgique prend seule des sanctions économiques contre Israël, elle sanctionne sa propre économie

Hadja Lahbibministre des Affaires étrangères

Lorsque vous discutez avec les autorités israéliennes, avez-vous l’impression d’être écouté ou est-ce qu’on arrive enfin à un dialogue de sourds ?

Ce qui est clair, c’est que nous sommes face à deux populations qui se trouvent dans un état post-traumatique ; les deux parties se sentent menacées par l’existence de l’autre. Cela est très clair parmi les Israéliens et les Palestiniens que j’ai rencontrés. On va avoir, c’est dramatique, une génération qui va être traumatisée et il va falloir reconstruire la confiance. L’urgence est d’obtenir un cessez-le-feu. Et c’est ce que j’ai encore demandé hier au secrétaire d’Etat américain, car personne n’est dupe des vrais leviers, ce sont les Américains qui les ont en main. Je lui ai clairement demandé d’utiliser tous les leviers. Et il m’a rassuré, il m’a promis qu’il y aurait du changement d’ici 24 heures (l’ouverture de nouveaux couloirs humanitaires, NDLR) et des progrès significatifs d’ici la semaine prochaine (un nouvel échange d’otages contre des prisonniers, NDLR). J’attends ces résultats. Pour nous, c’est clair : il nous faut un cessez-le-feu immédiat (même si je sais que les Américains ne vont pas jusque-là), la libération de tous les otages, un accès humanitaire total, trois points indivisibles et un quatrième, fondamental : le retour à la table des négociations pour relancer un processus qui devrait conduire à la création de deux États.

La solution à deux États, vous dites que certains Palestiniens n’en veulent plus ?

Certains Palestiniens m’ont dit, lors de mes visites, qu’ils n’y croient plus, qu’ils veulent un État unique, israélien, mais avec les mêmes droits pour les Palestiniens et les Israéliens, parce que s’ils n’ont pas les mêmes droits, les Les Israéliens seront alors accusés d’apartheid et ils seront contraints de déménager… C’est intéressant à entendre. Ils me disent que si l’on veut qu’il soit reconnu comme un État palestinien, mais un État bantoustan qui continue d’être dévoré par des colonies illégales, sans aucun droit, sans aucune autonomie énergétique ni financière, avec une corruption galopante et un gouvernement affaibli qui ne est plus crédible aux yeux de la jeunesse palestinienne, ils n’en veulent pas.

Le PS et l’Écolo, vos partenaires de gauche au gouvernement, font pression pour une reconnaissance immédiate de la Palestine : continuez-vous à soutenir que ce n’est pas le bon moment ?

Dans l’immédiat, ce serait une reconnaissance de plus qui n’aura aucun impact sur la vie quotidienne des Palestiniens. Qui sait encore que la Hongrie, avant l’arrivée d’Orban, a reconnu l’État palestinien ? Je ne veux pas d’une reconnaissance symbolique qui ne fera pas progresser les droits des Palestiniens et qui ne fera en réalité que résoudre les tensions internes à la Belgique. Je le répète : la Belgique reconnaîtra l’État palestinien, c’est le sens de l’histoire, mais il s’agit de connaître le moment opportun. Je comprends que, vu de l’extérieur, on se demande ce qu’il faudrait de plus. Lorsque je parle à mes interlocuteurs, y compris dans les pays arabes, certains me disent que ce n’est pas le moment, qu’il faut obtenir des droits. De quel territoire parle-t-on ? Nous devons à tout prix obtenir la reconnaissance d’Israël, sinon Israël le prendra comme une menace supplémentaire à son existence, cela alimentera le discours de l’extrême droite et contribuera à de nouvelles colonies, etc. Aujourd’hui, 140 États ont reconnu l’État palestinien. , qu’est-ce que ça change concrètement ? La reconnaissance est un levier précieux que l’on n’activera qu’une seule fois. Le bon moment est celui où ce levier sera suffisamment puissant pour amener une véritable reconnaissance de l’État palestinien dans ses limites géographiques, dans les droits qui leur seront accordés, le droit de circuler, de voyager librement, etc. veulent un slogan qui n’aura aucun impact sur l’avenir de la Palestine.

Et votre position est toujours celle du gouvernement, malgré la pression des partis de gauche ?

C’est aussi la position défendue par Alexander De Croo, notre Premier ministre et sans concertation entre nous. Je comprends que cela puisse paraître extrêmement frustrant… Vous savez, je reste convaincu que nous étions très proches d’un réel changement avant le 7 octobre, il a fallu saluer cette initiative lancée par l’Arabie saoudite, la Ligue arabe, l’Union européenne où l’Arabie saoudite s’est engagée à normaliser ses relations avec Israël en échange de progrès sur les droits des Palestiniens et de la reconnaissance de l’État palestinien. Je crois sincèrement que le Hamas n’avait aucun intérêt à faire la paix, car son discours de destruction d’Israël serait compromis par un tel accord.

N’est-il pas encore temps de prendre des sanctions comme le boycott des produits israéliens ?

Nous sommes dans un marché unique et ouvert. Ces décisions doivent être prises à l’unanimité, sinon elles n’ont aucun effet puisqu’il s’agit simplement d’un déplacement du marché et cela revient finalement à sanctionner notre propre économie, à se tirer une balle dans le pied : les marchandises qui doivent arriver à Anvers seront débarquées à Rotterdam. . Là, je dis non !

Pouvons-nous vous répondre que nous avons pris plus rapidement des sanctions contre la Russie ?

Mais là, il y a eu l’unanimité. Cela dit, dans le secteur du diamant, nous avons également été perçus comme un mauvais élève, car nous n’avons pas pris de sanctions tout de suite. C’était la même chose : trouver une solution qui ne se contente pas de faire bouger le marché. Ce n’était ni de l’hypocrisie, ni de la lâcheté, mais aller plus vite aurait nui à notre économie, et non à celle de la Russie. L’objectif d’une sanction est d’affaiblir la personne sanctionnée et non nous.

 
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