Le patrimoine antique de Gaza a trouvé protection en Suisse

Le patrimoine antique de Gaza a trouvé protection en Suisse
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« Le palais de Napoléon », détruit. Le site de l’antique Anthédon, ravagé. Le seul musée privé, incendié. Le patrimoine de Gaza paie un lourd tribut à la guerre, mais, curieusement, une partie de ses trésors reste en sécurité en Suisse.

Chaque jour, ayant accès à l’électricité et à Internet, l’archéologue palestinien Fadel al-Otol reçoit sur WhatsApp des photos montrant en temps quasi réel l’état des sites antiques. Adolescent, il étudie les pierres, avant de travailler pour des missions archéologiques européennes. Aujourd’hui, le quadragénaire, formé à Genève et au Louvre, est la tour de contrôle d’un vaste réseau d’archéologues à Gaza : une quarantaine de jeunes formés pour fouiller les sols, reconstituer le passé en 3D et préserver le patrimoine.

41 sites endommagés

Au lendemain de la campagne militaire lancée par Israël dans la bande de Gaza, en représailles à l’attaque du mouvement islamiste palestinien Hamas le 7 octobre, les sites archéologiques ont subi un coup dur, l’UNESCO affirmant avoir jusqu’à présent confirmé des dégâts sur 41 sites. basé sur des images satellites. L’équipe de M. Otol travaille sur le terrain.

« Tous les vestiges archéologiques du nord de Gaza ont été touchés. Le site de Blakhiya, l’ancienne cité grecque d’Anthédon, a été directement bombardé. Il y a un énorme trou. La partie du site que nous n’avions pas commencé à fouiller a été touchée », explique-t-il à propos de ce site situé à proximité de la caserne du Hamas.

Le palais qui abritait Bonaparte est détruit

« Dans la vieille ville de Gaza, le palais al-Basha est complètement détruit. Il y a eu des bombardements et des bulldozers sont passés dessus. Il y avait des centaines d’objets anciens et de magnifiques sarcophages”, a déclaré M. Otol, joint par téléphone, avant de partager des photos récentes des lieux en ruines. Ce palais en pierre de sable ocre avait été érigé à partir du XIIIe siècle et était connu des Palestiniens de Gaza pour avoir accueilli Bonaparte à la toute fin du XVIIIe siècle lors de la campagne d’Égypte.

« Nos plus belles trouvailles étaient exposées au Bacha. Quelqu’un a-t-il retiré des objets avant de faire exploser le bâtiment ? On en sait très peu» à ce stade, souligne Jean-Baptiste Humbert, de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Ebaf).

En Israël et dans les Territoires palestiniens, l’archéologie est un sujet hautement politique, de nombreuses découvertes ayant été utilisées pour justifier les affirmations des uns ou des autres. Si Israël dispose d’un arsenal d’archéologues qui font état d’un nombre impressionnant de trésors antiques, ce secteur est resté plus en jachère à Gaza, malgré un riche passé qui s’étend sur des millénaires et dont les vestiges étaient entreposés à l’entrepôt de l’Ebaf et au musée du palais al-Bacha. .

Des soldats israéliens posent avec des antiquités

Des soldats israéliens sont entrés dans l’entrepôt d’Ebaf dans la ville de Gaza, le directeur des Antiquités israéliennes, Eli Escusido, ayant publié sur Instagram une vidéo de soldats entourés de vases et de poteries antiques, suscitant de vives réactions de la part des Palestiniens accusant l’armée de piller le site. «Mes collègues ont pu revenir sur les lieux. Il y a eu un certain bouleversement. Les soldats ont ouvert des cartons. On ne sait pas s’ils ont pris quoi que ce soit”, a déclaré à l’AFP l’archéologue et chercheur à l’Ebaf, René Elter, affirmant toutefois n’avoir pas constaté de volonté de “pillage de l’Etat”.

« Chaque jour, lorsque Fadel m’appelle, j’ai peur qu’il me dise qu’un de nos collègues est décédé ou qu’il me dise qu’un certain site a été détruit », dit-il.

Seul mouillage offrant une protection naturelle entre le Sinaï et le Liban, Gaza fut pendant des siècles un carrefour de civilisations, un relais entre l’Afrique et l’Asie, une plaque tournante du commerce de l’encens, suscitant tour à tour les convoitises des Égyptiens, des Perses, des Grecs. , les Romains, les Ottomans… Ces dernières décennies, ce passé glorieux a été exploré par les ouvriers de Jawdat Khoudary, un collectionneur privé. Dans les années 1990, après les accords d’Oslo et la création de l’Autorité palestinienne, Gaza a connu un boom immobilier.

Cependant, lorsque les ouvriers creusent le sol, ils découvrent des objets anciens. Magnat local du BTP, M. Khoudary accumule des objets dans sa demeure, trésor qu’il ouvre sur place aux archéologues étrangers, dont le dominicain Jean-Baptiste Humbert, pilier des fouilles d’Anthédon.

Des amphores de Gaza découvertes à Genève

En 2004, frère Humbert invite à Gaza son collègue Marc-André Haldimann, alors conservateur du Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH), fasciné par les fouilles qui ont conduit à l’exhumation à la cathédrale Saint-Pierre de Genève d’anciennes amphores de Gaza, car au début du christianisme, rappelle-t-il, « c’était la vigne la plus proche de Jérusalem et donc représentant le mieux le sang du Christ ».

Arrivé à Gaza, dans les jardins de M. Khoudary, l’archéologue genevois n’en croyait pas ses yeux. “Nous nous sommes retrouvés devant 4.000 objets dont une allée de colonnes byzantines”, a-t-il raconté à l’AFP. Une idée se concrétise alors : organiser une grande exposition sur le passé de Gaza au MAH, puis construire un musée à Gaza pour que les Palestiniens puissent s’approprier leur propre patrimoine.

Fin 2006, environ 260 objets de la collection Khoudary ont quitté Gaza pour Genève. Et au printemps, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a inauguré l’exposition réunissant la collection Khoudary et des objets anciens présentés des années plus tôt à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris. L’exposition est une réussite. Mais la géopolitique change en cours de route. Juin 2007, le Hamas chasse l’Autorité palestinienne de Gaza. Et Israël impose son blocus.

Un trésor au Musée d’Art et d’Histoire de Genève

Résultat : les objets gazaouis ne peuvent plus rentrer chez eux et restent bloqués à Genève tandis que le projet de musée archéologique disparaît faute de relais politique à Gaza pour le mettre en œuvre. Mais M. Khoudary ne désespère pas. Il construit lui-même un espace d’exposition qui prendra la forme d’un hôtel-musée, al-Mathaf (« musée », en arabe), situé au bord de la Méditerranée, au nord de la ville de Gaza.

Or, l’offensive israélienne menée après l’attaque du 7 octobre commence précisément au nord de Gaza. « Al-Mathaf est resté sous contrôle israélien pendant des mois. Dès qu’ils sont partis, j’ai demandé aux gens de s’y rendre pour voir dans quel état se trouvait l’endroit. Et j’ai été choqué. Plusieurs objets manquaient et la salle a été incendiée”, a déclaré à l’AFP M. Khoudary, qui a quitté Gaza pour l’Egypte.

Un hôtel-musée détruit

Et sa maison à Sheikh Radwane, un quartier du nord de la ville de Gaza, théâtre de violents affrontements, a été détruite : « les Israéliens ont rasé le jardin avec des bulldozers. Je ne sais pas si des objets ont été enterrés par les bulldozers ou si les colonnes de marbre ont été brisées ou pillées. Je n’arrive pas à trouver les mots ».

Interrogée, l’armée israélienne n’a pas commenté ces destructions spécifiques, mais a plutôt accusé le Hamas d’utiliser des hôpitaux, des écoles et des sites patrimoniaux à des fins militaires. “Israël respecte ses engagements envers le droit international, notamment en garantissant une protection particulière au patrimoine”, a-t-elle ajouté dans un communiqué.

Si une partie de la collection locale de M. Khoudary est perdue, celle de la Suisse reste intacte. Une demande en 2016 de restituer à l’Autorité palestinienne des objets encore à Genève n’a pu se concrétiser malgré les travaux de suivi, explique à l’AFP Béatrice Blandin, actuelle conservatrice au MAH. « Nous avons fait un inventaire, nous avons rédigé un protocole d’accord précisant les conditions de retour. Nous avons restauré quelques pièces en bronze légèrement corrodées et nous avons tout remballé et mis dans une caisse. Il y avait 106 cartons qui étaient prêts à partir », explique-t-elle : « Il fallait juste nous assurer que le convoi ne serait pas bloqué puisqu’il devait traverser le territoire israélien. Nous attendions ce feu vert mais nous ne l’avons pas encore eu.

Projet pour une nouvelle exposition en Suisse

Loin de la guerre qui fait rage à Gaza, “les objets sont encore en bon état”, assure Mme Blandin, précisant que “des discussions étaient en cours” pour sortir ce patrimoine de l’ombre et organiser une nouvelle exposition en Suisse.

Au bout du fil, en Egypte, M. Khoudary est enthousiasmé par l’idée : « la plus importante collection d’objets sur l’histoire de Gaza se trouve à Genève. S’il y a une nouvelle exposition, elle permettra au monde entier de connaître notre histoire.

«C’est presque une ironie de l’histoire», ajoute M. Haldimann. “Une nouvelle exposition sur Gaza montrerait une fois de plus que Gaza est un endroit lumineux, que c’est tout sauf un trou noir”, a-t-il déclaré, se mobilisant pour permettre à son ami Fadel al-Otol de quitter Gaza pour rejoindre la Suisse.

(AFP)

 
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