Un frein qui peut conduire au marché noir

“C’est putain tout mon parcours. Au lieu de m’aider, ça me fait du mal», raconte Steve Brisebois, qui fait des allers-retours entre la prison et la rue depuis 2017. Souffrant de douleurs chroniques depuis une chute d’une quarantaine de pieds survenue il y a 15 ans, il a obtenu des ordonnances pour les opiacés « pour pouvoir fonctionner », résume-t-il. « Si je n’ai pas d’analgésiques, je ne peux pas marcher le matin. »

Zoé Arcand

Collaboration spéciale

Lors de la dernière visite de Steve Brisebois à l’Établissement de détention provincial de Saint-Jérôme (EDSJ), le personnel de l’infirmerie aurait changé ses médicaments, soupçonnant une réaction allergique. D’un cocktail de fentanyl, d’oxycodone et de codéine, notamment, il est passé à l’hydromorphone, un dérivé synthétique de la morphine. «Ils m’ont fait un grand ménage», raconte Steve.

Mais tout a changé depuis son retour à la liberté en septembre dernier : aucun médecin généraliste, infirmier praticien ou pharmacien n’a souhaité renouveler cette prescription au long cours.

Pendant trois mois, je suis allée aux urgences pour faire renouveler mes opiacés parce que je n’avais pas de médecin et là, j’étais coincée dans la rue.

Steve Brisebois, ex-détenu

Parfois incapable de mettre la main sur ses analgésiques, Steve raconte avoir été contraint de se soigner lui-même en se les procurant au marché noir.

Un problème récurrent

Steve n’est pas le seul à souffrir de lacunes dans la continuité des soins de santé à sa sortie de prison. L’enjeu donne du fil à retordre à un organisme de la région et à ses usagers en situation de précarité résidentielle, comme Éric Grégoire et Alain Laliberté, qui vivent des histoires similaires.

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PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Alain Laliberté

Eux aussi passent régulièrement de la rue à la prison. Lorsqu’ils ont quitté l’EDSJ cet hiver, à quelques semaines d’intervalle, aucun des deux n’avait de médicaments. “Ça arrive tout le temps”, déplore le premier, qui aurait passé plusieurs jours sans antiplaquettaires, prescrits en détention après y avoir subi une crise cardiaque.

Le second doit prendre des antidépresseurs, qu’il finit toujours par mettre la main hors des murs de la prison, assure-t-il. Cela dit, il passe plusieurs jours sans y avoir accès lorsque son ordonnance est renouvelée pendant son séjour en prison, précise Rachel Lapierre, présidente du Livre Humanitaire et infirmière.

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PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Rachel Lapierre, présidente du Livre Humanitaire et infirmière

Si la prison l’a prescrit, il reste à la prison. C’est comme si c’était un pays dans un pays.

Rachel Lapierre, présidente de l’organisme humanitaire Le Book et infirmière

« Ce ne sont pas seulement les gens qui restent à Saint-Jérôme qui ont un problème, c’est tous ceux qui passent par la prison [de Saint-Jérôme] », s’inquiète Rachel Lapierre, qui voit le problème s’amplifier depuis trois ans.

« Il arrive très souvent qu’une personne sortant de détention passe plusieurs jours dans sa communauté sans avoir ses médicaments », confirme le directeur général de l’Association des services de réadaptation sociale du Québec (ASRSQ), David Henri.

Les professionnels de santé renouvellent parfois les prescriptions des ex-détenus au pied levé, « pour les aider », explique Rachel Lapierre. Les ex-détenus concernés doivent continuellement recommencer leurs démarches pour mettre la main sur leurs médicaments alors qu’ils se retrouvent dans « un état mental perturbé » et en sevrage, s’attriste M. Henri.

Plusieurs ex-détenus se retrouvent ainsi à la rue, errant dans la ville ou en sortant, souligne M.moi Pierre. Ils ne parviennent pas toujours à gérer les délais entre leur sortie de prison et l’obtention de leurs médicaments.

Les ex-détenus ont donc souvent recours aux urgences, « dont le mandat n’est pas d’évaluer une situation d’urgence sans avoir un dossier », déplore l’expert en toxicomanie, chercheur au CHUM et professeur au département de médecine. de famille et d’urgence de l’Université de Montréal Julie Bruneau.

Les personnes traduites en justice – souvent stigmatisées – se retrouvent « dans un système où elles n’ont pas accès à la première ligne », fustige-t-elle. Et ce, même s’ils ont le même droit aux soins de santé que le reste de la population.

Tout cela se produit dans un contexte de crise de l’itinérance qui persiste dans la région de Saint-Jérôme, où les personnes sans abri sont victimes d’un manque grave de services et d’une maltraitance systémique et organisationnelle, selon un rapport du Centre d’aide et d’accompagnement aux plaintes (CAAP). ) dans les Laurentides, ce que rapportait la radio locale CIME en septembre dernier.

À cette époque, Saint-Jérôme ne comptait que six lits d’urgence, alors que le Livre Humanitaire dénombrait une centaine de personnes en précarité résidentielle dans cette ville des Laurentides. Depuis 2022, les camps y sont systématiquement démantelés. La Clinique de justice itinérante de Montréal a récemment déposé une plainte contre la Ville de Saint-Jérôme pour contester ces démantèlements qui contreviennent selon elle aux droits fondamentaux des sans-abri, qui se retrouvent sans solution alternative.

Un obstacle à la réhabilitation

Il en va de la santé ainsi que du cheminement vers la réinsertion des principaux concernés, explique M. Henri, également criminologue.

Pendant cette période, ils ne cherchent pas de logement, ils ne cherchent pas de travail et surtout, pendant cette période, la tentation de s’auto-médicamenter peut être grande.

David Henri, directeur général de l’Association des services de réadaptation sociale du Québec (ASRSQ)

Et il n’est pas sans risque de s’aventurer sur le marché noir avec la crise des opioïdes qui fait des ravages à travers le pays. En 2023, dans la MRC de la Rivière-du-Nord, où se situe Saint-Jérôme, 4,77 % des décès ont la « cause probable » d’une surdose, comparativement à 3,7 % en 2019.

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DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Ne pouvant mettre la main sur leurs médicaments, les ex-détenus se tournent vers le marché noir.

David Henri est convaincu que l’enjeu pèse sur le système de santé et sur les épaules des associations d’aide aux ex-détenus. Les partenaires communautaires sont des « alliés essentiels des Services correctionnels dans l’encadrement et le suivi des délinquants », assure le ministère de la Sécurité publique (MSP).

«Il y a des prisons et des pénitenciers qui font un meilleur travail que d’autres», estime Julie Bruneau, soulignant que tous les établissements pénitentiaires ne gèrent pas les sorties de la même façon.

 
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