Le fumage du poisson, une menace pour les réserves forestières – Agence de presse sénégalaise

Du correspondant de l’APS, Modou Fall

Kafountine, 04 avril (APS) – Kafountine, dans le département de Bignona (sud), abrite l’un des quais de pêche les plus importants du Sénégal, mais avec la particularité que les femmes transformatrices de produits de la pêche utilisent une énorme quantité de bois pour le fumage. du poisson, menaçant les réserves forestières de cette commune et d’autres localités de la région de Ziguinchor où l’exploitation du bois est interdite depuis 1991.

Selon un document officiel, 60.560 tonnes de produits de la pêche ont été débarquées en 2023, au quai de pêche de Kafountine, pour une valeur commerciale de 23 milliards 860 millions de francs CFA. La pêche artisanale locale, avec une flotte de 1001 pirogues, emploie plus de dix mille personnes : pêcheurs, poissonniers, transformateurs de poisson.

Cette position importante dans le secteur de la pêche a fait de cette collectivité locale du district de Kataba 1 une destination privilégiée pour les différents acteurs évoluant dans le secteur de la pêche. Parmi elles, plus de 2 800 femmes gagnent durement leur vie sur le principal site de fumage de Kafountine, implanté sur plusieurs hectares, non loin du quai de pêche.

Mais bien qu’il s’agisse d’une des principales activités génératrices de revenus pour les femmes, le fumage du poisson est resté archaïque et rudimentaire à Kafountine avec une forte dépendance aux ressources ligneuses.

Généralement, le fumage traditionnel consiste à saler, sécher et fumer le poisson dans des fours alimentés au bois, à une température comprise entre 60 et 120°C.

A Kafountine, la dépendance du fumage du poisson aux ressources ligneuses a favorisé la coupe clandestine du bois dans les réserves forestières de Kafountine et d’autres localités de la région de Ziguinchor où l’exploitation du bois est interdite depuis 1991.

« Une étude réalisée par l’ONG Enda Energie révèle que les fours traditionnels utilisés pour fumer le poisson à Kafountine consomment au moins plus de 70 tonnes de bois par jour », indique David Diatta, le maire de la commune de Kafountine.

2840 mètres cubes de bois de chauffage transportés en 2023

Le site de fumage du poisson de Kafountine a reçu en 2023, quelque 2.840 mètres cubes de bois de chauffe pour assurer le bon fonctionnement des fours traditionnels, indique l’inspecteur régional des eaux et forêts de Ziguinchor, le lieutenant-colonel El Hadji Malick Dione.

« En 2023, nous avons transporté 2 840 mètres cubes de bois de chauffage jusqu’à Kafountine pour répondre aux besoins de fumage », a-t-il précisé. Ces mètres cubes de bois avaient été saisis par le sous-secteur des eaux et forêts de Diouloulou, dans le département de Bignona.

L’inspecteur régional des eaux et forêts appelle à revoir les méthodes archaïques de fumage du poisson à Kafountine. « Ils consomment beaucoup de bois. Il serait donc beaucoup plus approprié pour nous de changer d’approche en essayant de mettre en place d’anciens fours traditionnels, des poêles ‘jambar’, moins dépendants du bois», a-t-il recommandé.

Le lieutenant-colonel El Hadji Malick Dione rappelle qu’à l’époque, les gens allaient chercher leur bois de chauffage dans la forêt de Kafountine. « Maintenant que la ressource se raréfie dans cette forêt, a-t-il poursuivi, les gens s’éloignent de plus en plus, vers Kataba 1 et Djignaki, pour chercher du bois pour satisfaire la demande pressante de la forêt. secteur local de transformation du poisson.

Ce matin, au grand fumoir de Kafountine, de la fumée s’échappe des fours traditionnels, signe d’une grande activité. Ces fours appartiennent en grande partie à des femmes transformatrices de produits de la pêche du Sénégal et des pays de la sous-région comme la Guinée, le Burkina Faso, le Mali et le Ghana, entre autres.

Plus de 500 mille francs pour l’achat de bois de chauffage

Agée d’une cinquantaine d’années, Siré Diabang, vice-présidente d’un groupement d’intérêt économique (GIE), fait partie des milliers de femmes qui gagnent leur vie sur le principal site de fumage de poisson de Kafountine.

« Nous dépensons, dans le cadre de nos activités de fumage, jusqu’à 500 mille francs CFA pour acheter du bois de chauffage. Fumer est un travail très minutieux qui demande beaucoup de courage », souligne-t-elle.

« Très tôt le matin, nous allons au quai de pêche pour acheter du poisson frais. Nous retournons ensuite sur le site de fumage pour retirer les écailles et nettoyer le poisson à l’eau, avant de lancer le processus de salage, séchage et fumage », explique-t-elle. Elle est satisfaite de la quantité de poisson fumé quotidiennement par leur GIE.

La transformatrice précise que son groupe parvient à fumer 100 kilos de poisson « kong » (jawfish ou poisson-chat) et une tonne de « yabooy » (sardinelle) par jour. Ce volume dépend toutefois de « la disponibilité des ressources halieutiques sur le marché », précise-t-elle.

Elle indique que les femmes travaillent uniquement pour subvenir à leurs besoins et évitent de mendier dans la rue.

Méthodes archaïques

Le principal site de transformation des produits de la pêche à Kafountine est équipé de fours traditionnels conçus à partir de fûts et de grills métalliques. Créé en 1996, ce site résiste encore à la modernité.

Plusieurs couloirs ont été aménagés pour faciliter la mobilité des clients et des visiteurs au sein des installations. Ici, les femmes travaillent sans aucune protection pour trier, nettoyer, couper, plier et égoutter le poisson, avant de le fumer.

D’origine guinéenne, Tady Aïdara, aidée de son équipe, travaille dans ce décor envahi par une épaisse couche de fumée et des odeurs de poisson.

« A la recherche d’un emploi, j’ai quitté mon pays pour Kafountine où je travaille dans la transformation des produits de la pêche pour gagner ma vie et investir dans ma maison », explique la jeune femme.

Vêtue d’un grand boubou, la tête couverte d’un foulard multicolore et visiblement fatiguée, Tady Aïdara rapporte avoir rencontré des centaines de Guinéens travaillant dans le fumage du poisson à Kafountine.

Dans son showroom juste à l’entrée du fumoir, Ardiana Coly, une transformatrice, a l’air occupée. Un pagne bien serré autour de la taille et un sac en bandoulière, elle présente ses produits transformés à base de poisson. Des produits bien emballés qui attirent au premier regard.

« Ici, il y a du poisson fumé, du +guedji+, des crevettes séchées, des moules braisées fumées, du +kong+ braises fulées, +encore+, du toupha sec et du +yokhoss fumé à sec+’, énumère-t-elle. Elle déclare qu’avec la bénédiction de Dieu, elle parvient à commercialiser ses produits de la mer transformés sur tout le territoire national.

Elle déplore cependant les « conditions de travail difficiles » des transformateurs à Kafountine. Ces derniers travaillent quotidiennement sous un soleil brûlant, dans la fumée et la chaleur de fours archaïques, n’ayant pour principale Source d’énergie que le bois, devenu de plus en plus très cher sur le marché, déplore Mme Coly, qui dit travailler dans ce métier depuis dix-neuf ans.

A Kafountine, l’essentiel du système de fumage du poisson est constitué de fours traditionnels, hormis quelques fours modernes acquis auprès de partenaires.

Nana Abna, originaire du Ghana, raconte exercer cette activité depuis une vingtaine d’années avec plusieurs de ses compatriotes. Le Ghanéen appelle à améliorer les conditions de travail et les techniques archaïques de fumage du poisson en modernisant le principal site de transformation de Kafountine.

Plus de 2 800 femmes originaires de plusieurs pays africains

Kafountine accueille au moins plus de 2.800 femmes organisées en groupements d’intérêt économique (GIE) pour faire prospérer leurs activités et améliorer leurs conditions de vie à travers la production et la commercialisation de produits fumés, informe le coordonnateur du Conseil Local de la Pêche Artisanale (CLPA) de Kafountine, Abdoulaye Demba.

Il appelle l’Etat à moderniser ce site de production pour mettre fin à l’attaque des réserves forestières et à la dégradation de la santé des femmes transformatrices. “Nous appelons donc les pouvoirs publics à moderniser le site de fumage avec des fours semi-modernes qui émettront moins de fumée et consommeront moins de bois afin de protéger l’environnement”, dit-il.

Le coordinateur du Conseil local de la pêche artisanale de Kafountine souligne que pour transformer une tonne de poisson, il faut au moins une tonne de bois.

Abdoulaye Diédhiou, chef du service régional des pêches et de surveillance à Ziguinchor, rappelle que la préoccupation de tout technicien de la pêche est « la modernisation des techniques de transformation des produits de la pêche ».

« À Kafountine, nous avons un projet financé par la Banque mondiale qui prévoit la construction d’une unité de fumage moderne avec des fours fonctionnant sans beaucoup de bois ni beaucoup d’émissions de dioxyde de carbone », souligne-t-il. Il s’agit d’une technique de « fumage à chaud et à froid », ajoute-t-il.

Plaidoyer pour des fours semi-modernes

Afin de freiner la déforestation, le maire de Kafountine, David Diatta, affirme miser sur des foyers améliorés pour réduire la quantité de bois utilisée quotidiennement dans les fours traditionnels du site de fumage du poisson de sa ville.

Il annonce que sa municipalité envisage d’installer, avec des partenaires, des foyers améliorés sur le quai de pêche, dans le but de réduire la quantité de bois utilisée quotidiennement par les femmes transformatrices de produits de la pêche.

« Notre ambition est de faire de Kafountine une commune bas carbone. Nous voyons également comment transformer les impacts du changement climatique en opportunités », dit-il.

Il explique que la politique environnementale de sa commune vise à favoriser la consommation d’énergie propre en vue de réduire les quantités de bois et de dioxyde de carbone rejetées à Kafountine.

« Nous voulons verdir Kafountine à travers des activités de reforestation mais aussi en favorisant la consommation d’énergie propre », promet David Diatta.

L’inspection régionale des eaux et forêts de Ziguinchor envisage de créer, avec des transporteurs de bois et des transformatrices de Kafountine, « un bois villageois » privilégiant les espèces recherchées pour le fumage du poisson, selon l’inspecteur régional El Hadj Malick Dione.

Le service des eaux et forêts, note-t-il, est confronté à des défis dans la région de Ziguinchor, notamment le trafic de bois et la dégradation des réserves forestières, causée par une exploitation forestière excessive.

Il salue le soutien de l’armée aux côtés du service forestier pour semer la peur parmi les bûcherons et les trafiquants.

M. Dione salue également la détermination des agents des Eaux et Forêts à mettre fin au trafic de bois dans la région, à travers la traque des contrevenants.

Selon lui, il arrive que des opérateurs illégaux coupent et transportent frauduleusement du bois jusqu’à la commune de Kafountine.

« C’est un problème que nous essayons de résoudre avec l’armée. Nous travaillons pour enrayer ce problème extrêmement complexe. Nous essayons également de traquer ces coupeurs illégaux pour les mettre hors d’état de nuire et faisons tout pour limiter ce problème majeur », rassure le lieutenant-colonel El Hadji Malick Dione.

MNF/AB/ASB/ASG

 
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