En Suisse, HSBC veut « augmenter ses actifs sous gestion de 40 milliards en cinq ans »

Gabriel Castello fêtera cet été ses deux ans à la tête de HSBC Private Bank en Suisse. Originaire d’Espagne, il a effectué l’essentiel de sa carrière dans le private banking et connaît bien le pays pour avoir travaillé près de 13 ans chez UBS.

Dans sa première interview depuis sa prise de fonction, le CEO en charge de la Suisse ainsi que du Moyen-Orient et d’une partie de l’Europe présente un plan de croissance sur cinq ans dont l’objectif est de doubler les actifs sous gestion. Marquée à la fin des années 2000 par l’affaire Falciani, l’un des plus gros vols de données bancaires, la filiale du colosse anglo-hongkongais a réduit ses effectifs et le volume de ses activités. Elle est à nouveau prête à se développer, annonce Gabriel Castello, qui dévoile quelques chiffres, alors que son établissement, consolidé dans le groupe HSBC, communique peu. L’année dernière, le géant bancaire basé à Londres et Hong Kong a publié un bénéfice net en hausse de 56,4% à 22,4 milliards de dollars.

Trois fois PDG

Pourquoi avoir rejoint HSBC, groupe fondamentalement anglo-saxon, après avoir fait carrière dans des banques espagnoles et suisses ?

J’ai été contacté sans m’y attendre. Et j’ai refusé au début. HSBC avait rencontré divers problèmes et scandales et surtout, vue de l’extérieur, la banque ne me donnait pas l’impression de faire de la gestion de fortune un cœur de métier.

Mon interlocuteur m’a répondu qu’il me comprenait, mais que j’avais tort. Il a fait valoir que HSBC est une banque véritablement mondiale, tout comme ses clients qui peuvent travailler à la fois avec la Suisse, le Royaume-Uni et Hong Kong. Et qu’il souhaitait que je les rejoigne pour développer la banque privée et en faire une activité stratégique du groupe. Après nos échanges, j’ai considéré cette volonté comme crédible. C’est la première raison pour laquelle j’ai accepté.

Et le deuxième?

C’est plus personnel. Toute ma carrière, j’avais regardé vers l’ouest. J’ai travaillé avec les États-Unis, l’Amérique latine, l’Espagne, la France et l’Europe. Dans cette position, je continue de regarder vers l’ouest, mais je peux aussi tourner mon regard vers l’est, là où le monde penche.

En quoi la culture est-elle différente de celle d’UBS ?

Les deux banques sont très bien structurées et disposent chacune d’une gamme de produits remarquables. La différence vient de leur origine. UBS est une banque de détail qui est devenue au fil du temps un acteur mondial de la gestion de fortune. Il reste géré par des processus préétablis dans lesquels les clients adhèrent. C’est une machine très bien huilée qui fonctionne exceptionnellement bien. En revanche, si le processus ne répond pas à la situation du client, la banque réagit de manière lente et bureaucratique.

Chez HSBC, c’est complètement différent, malgré sa taille et ses plus de 200 000 salariés. Bien sûr, il y a aussi des démarches à suivre, mais la banque a d’abord été créée pour financer le commerce international. Autrement dit, elle est organisée pour prêter continuellement de l’argent aux entrepreneurs. Dans ce cadre, une marge de manœuvre est laissée à l’être humain pour qu’il puisse décider. C’est très anglo-saxon de ce point de vue. J’ai eu la chance d’être CEO de trois banques différentes, UBS, Caixa et HSBC. C’est dans ce dernier domaine que le réalisateur a le plus de latitude.

Deux marchés prioritaires

Parlons de HSBC Private Bank Suisse et de sa clientèle majoritairement transfrontalière. Quels sont vos marchés cibles ?

Notre stratégie repose sur deux piliers, le Moyen-Orient et l’Europe élargie. Pour le premier, il s’agit de clients originaires d’Arabie Saoudite, des Émirats Arabes Unis, du Qatar et du Koweït. Pour le second, nos marchés clés sont la Grèce, Israël et le Royaume-Uni.

Pas la clientèle française, pourtant importante pour les banques privées actives à Genève ?

Cette clientèle est servie par l’entité HSBC basée au Luxembourg. Les Allemands par ça en Allemagne. Les règles de gestion transfrontalière (« crossboarder ») entre la Suisse et l’Union européenne sont très restrictives. La banque a fait ce choix depuis longtemps.

Notre objectif est de travailler avec les deux tiers des milliardaires dans les régions que nous couvrons

Gabriel Castello

Ida Liu, la responsable de la banque privée du groupe américain Citi, déclarait dans nos colonnes en début d’année avoir comme client près d’un milliardaire sur trois dans le monde. Et toi?

Notre objectif est de travailler avec les deux tiers des milliardaires dans les régions que nous couvrons. Pourtant, grâce à la collaboration avec la banque d’investissement, nous n’en sommes pas loin. Cela dit, dans notre métier, nous avons tendance à nous concentrer sur les « particuliers fortunés » (ndlr : particuliers disposant de très grosses fortunes). Nous travaillons donc avec des milliardaires, mais pas seulement. Les relations avec nos clients démarrent à partir de 5 millions de francs et nous ciblons ceux de plus de 30 millions.

Nous avons un plan de croissance que le groupe soutient

Gabriel Castello

Il y a dix ans, HSBC comptait 1350 collaborateurs en Suisse, contre 800 aujourd’hui. Dans quelle dynamique se situe la banque ?

L’année dernière, nous avons embauché 90 personnes, ce qui est beaucoup pour nous. Pour moi, c’était aussi une façon de voir si le groupe était sérieux lorsqu’il se disait prêt à investir. La preuve est faite. La mentalité a changé. Quand je suis arrivé, l’image que le groupe avait de la Suisse, c’était qu’à chaque fois qu’ils étaient appelés, c’était à cause d’un problème. Nous avons aujourd’hui un plan de croissance que le groupe soutient.

Où sont les actifs sous gestion, supérieurs à 150 milliards de francs au milieu des années 2000, c’est-à-dire avant la fin du secret bancaire et avant l’affaire Falciani ?

Après cette affaire, la banque a renoncé à desservir certaines régions, comme l’Amérique latine ou l’Europe continentale. On ne peut donc pas comparer ce montant avec les 85 milliards de francs que nous gérons aujourd’hui. (ndlr : à titre de comparaison, ceux de l’UBS s’élèvent à 3.850 milliards, de Pictet à 633 milliards, et de l’UBP à 140 milliards). Notre ambition est d’augmenter ce chiffre de 40 milliards dans les cinq prochaines années.

C’est ambitieux…

Nous pouvons y parvenir grâce à la solidité de la banque. Les clients ont besoin de trois choses. Tout d’abord, travailler avec des professionnels capables de comprendre votre métier : la banque d’investissement nous aide énormément. Ensuite, permettons à nos investissements de générer des rendements supplémentaires, et nous avons le bilan pour le faire. Enfin, trouver un partenaire crédible en Asie.

Pendant un certain temps, la banque privée en Suisse a eu pour objectif de protéger la franchise et de préparer une nouvelle phase de développement. Ce moment est venu. En toute honnêteté, je suis très reconnaissant envers mes prédécesseurs, car leur travail a été très ingrat. C’est compliqué au quotidien de motiver les équipes et de fidéliser les clients. Mais grâce à leur travail, nous pouvons désormais grandir.

Votre établissement est-il rentable ?

Oui, et même assez rentable. En 2023, nous avons enregistré davantage d’entrées nettes d’argent qu’au cours des quatre années précédentes combinées. Je ne peux malheureusement pas vous donner plus de détails.

Il faut continuer à renforcer la Finma et lui donner les moyens d’accomplir son travail

Gabriel Castello

Une place financière transformée

Votre relation avec le Credit Suisse était solide. L’ancienne banque numéro deux absorbée l’an dernier par UBS était le correspondant de HSBC pour le franc, et HSBC son correspondant pour la livre sterling et le dollar de Hong Kong, par exemple. Qui la remplace ?

La banque continue d’entretenir de très bonnes relations avec l’UBS. Il y a eu des réunions au plus haut niveau pour explorer de nouvelles voies de développement.

Il faut arrêter avec l’image renvoyée par les films de James Bond où l’on voit un banquier suisse porter une valise, les choses ont changé

Gabriel Castello

Lorsque le Crédit Suisse s’est effondré, vos clients ont-ils craint un effet de contagion ?

Je n’ai jamais vu un client dire qu’il craignait pour les autres banques suisses. Après la surprise liée à l’annonce et les questions pour comprendre la situation, les clients ont reconnu que la Suisse avait réagi très rapidement et résolu le problème en un week-end. Le pays continue d’être une référence mondiale, ses institutions fonctionnent et sa monnaie reste très forte.

Aujourd’hui, où est la concurrence de Genève ? Est-ce Dubaï qui a attiré le commerce du pétrole russe, désormais sous sanctions, historiquement traité au bout du lac ?

Dubaï est en plein essor, tout comme Singapour. La Suisse a clairement défini les règles du jeu et les affaires qui peuvent ou ne peuvent pas être menées. Cela rassure ceux qui investissent car ils savent à quoi s’attendre à long terme. De plus, lorsque vous gérez bien les risques, vous attirez les bons modèles économiques. Je peux donc comprendre que certaines activités quittent Genève.

Vous avez rejoint le conseil d’administration de l’Association suisse des banquiers. Que faut-il faire pour améliorer la place financière suisse?

La première chose à faire est de continuer à renforcer la Finma (ndlr : l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) et lui donner les moyens d’accomplir son travail. La seconde est de mieux expliquer ce qu’est la place financière. Les grands investisseurs institutionnels le savent. Ils connaissent la qualité exceptionnelle des professionnels actifs ici. En revanche, l’image internationale auprès du public non professionnel pourrait être renforcée. Il faut arrêter avec l’image renvoyée par les films de James Bond où l’on voit un banquier suisse porter une valise, les choses ont changé. Je suis dans cette industrie depuis 35 ans et je peux vous assurer que le pays possède tous les atouts pour demeurer le leader en matière de gestion de patrimoine. Je ne suis pas suisse, donc je parle sans parti pris !

Quelques dates dans l’histoire du groupe

1865. Création de The Hong Kong and Shanghai Banking Corporation (HSBC) en mars à Hong Kong et à Shanghai un mois plus tard.

1941. Le siège social a déménagé à Londres.

1980. Expansion aux Etats-Unis grâce au rachat de la banque américaine Marine Midland, qui contrôlait la Banque Guyerzeller en Suisse depuis 1974.

1999. Poursuite de l’expansion aux États-Unis avec l’acquisition de Republic Bank of New York, également présente en Suisse.

2008. Fusion des deux filiales suisses. Les noms HSBC Guyerzeller et HSBC Republic disparaissent au profit de HSBC Private Bank (Suisse), dont le siège social est à Genève. 1euh En août, Alexandre Zeller prend la direction. En décembre, l’informaticien français Hervé Falciani a quitté Genève avec des copies de quelque 100 000 comptes bancaires appartenant à près de 80 000 personnes de plus de 180 nationalités, marquant le début de l’affaire dite des « Swiss Leaks ».

2012. Nomination de Franco Morra, ancien collaborateur de l’UBS, à la tête de HSBC Private Bank (Suisse). Cela réduira le nombre de marchés clés de 150 à 20.

2015. Condamnation par contumace d’Hervé Falciani à cinq ans de prison par le Tribunal fédéral, qui l’a déclaré coupable de service de renseignement économique. Par ailleurs, le parquet de Genève clôt la procédure contre la banque après un accord sur le paiement de 40 millions de francs pour erreurs de gestion passées.

2018. Arrivée d’Alexander Classen à la tête de l’établissement.

2022. Nomination de Gabriel Castello comme nouveau CEO, tandis que son prédécesseur devient président de la banque privée zurichoise EFG.

Article mis à jour le 27 mars 2024 à 10h30 La banque a précisé son objectif de croissance.

 
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