Certains faits font régulièrement la une des journaux, comme lorsqu’un bébé qui pleurait a été enfermé pendant près d’une heure dans les toilettes d’une crèche d’Alleur en province de Liège ou lorsque la « crèche de l’horreur » d’Audenarde a été fermée pour de multiples maltraitances ( enfants forcés à manger, têtes plongées dans l’eau froide, brûlures). Une autre crèche flamande a récemment dû fermer ses portes après qu’un enfant ait été attaché à son lit… avec du ruban adhésif.
Les cas de négligence peuvent avoir des conséquences fatales. Ce fut le cas en mars dernier lorsqu’une fillette d’un an s’est étranglée avec le cordon d’un store dans une crèche liégeoise. Les médecins ne pouvaient rien faire pour la sauver. En Fédération Wallonie-Bruxelles, on dénombre en moyenne deux fermetures par an pour faits de maltraitance ou d’abandon. Les cas sont bien plus nombreux en Flandre où 27 crèches flamandes ont été fermées rien qu’en 2022.
« Nous étions deux pour gérer 30 bébés »
Du côté des éducateurs, le malaise est palpable. “J’ai travaillé pendant 6 ans dans une garderie publique. De sept puéricultrices, nous sommes passés à deux pour gérer 30 enfants alors que la norme prévoit une puéricultrice pour sept bébés. De nombreux anciens collègues, épuisés, ont arrêté de travailler. À la longue, les éducateurs sont à bout de nerfs. A force d’avoir affaire à des enfants parfois difficiles qui passent leur temps à pleurer, leurs têtes explosent.»explique Sophie, prénom d’emprunt. “Nous avons eu le renfort d’étudiants qui ne peuvent cependant pas rester seuls dans la section. Nous devons donc faire des heures supplémentaires pour effectuer des tâches administratives telles que remplir des dossiers, documenter les activités des enfants, préparer des rapports, etc.
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En conséquence, les éducatrices ne peuvent pas s’occuper correctement des enfants dont elles ont la garde. “Il est courant que tous les enfants ne soient pas changés régulièrement, même s’ils devraient l’être cinq à six fois par jour. Cela les laisse dans un inconfort et provoque une irritation. D’autres préoccupations incluent le fait de ne pas surveiller les enfants pendant qu’ils jouent, les laissant dans des situations dangereuses sans surveillance adéquate.explique-t-elle.
Des diplômés démotivés
Dans ce contexte, il est compliqué de susciter des vocations et les jeunes diplômés se réorientent vers d’autres métiers. “En plus de gérer les enfants, il faut préparer les menus, qui mange halal, casher, quelles sont les allergies ? Durant leur formation, les étudiants ont l’impression que c’est un métier facile mais la réalité du terrain est tout autre.ajoute Sophie.
La situation semble empirer avec des normes toujours plus strictes fixées par diverses organisations comme ONE ou Kind & Gezin. Les contraintes liées à la barrière de la langue ne facilitent rien. Ainsi, les crèches agréées par Kind&Gezin à Bruxelles doivent être organisées en néerlandais. Si la structure ne respecte pas la législation linguistique, elle pourra être fermée. Résultat : cinq crèches ont fermé depuis 2017 et de nombreuses structures se sont tournées vers la Communauté française, créant un vide encore plus grand pour les parents néerlandophones.
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Notre interlocuteur recommande aux jeunes parents de ne pas mettre leur bébé en crèche tant qu’il l’allaite exclusivement. “Je conseille aux parents de garder leurs petits à la maison le plus possible, cela permettrait d’éviter les cas de mort subite en garderie. Les parents doivent également faire preuve de bon sens. Nous ne mettons pas notre bébé dans une crèche s’il est exclusivement allaité car il demandera à manger toutes les deux heures mais nous ne pouvons rien faire. Les parents devraient être davantage sensibilisés à cet aspect. ajoute-t-elle.
Des jeunes parents en détresse
Dans ce contexte, beaucoup de parents peinent à trouver une garderie pour leur bambin. « Nous sommes constamment confrontés au désarroi des parents qui nous harcèlent, pleurent au téléphone » explique Sabine Lejeune, directrice générale de Cocoon, une structure d’accueil qui gère huit crèches et 305 lits en province de Liège. “L’ONÉ ne nous permet pas de flexibilité et nous ne pouvons tout simplement rien faire pour l’aider. Émotionnellement, c’est compliqué à gérer.
Du côté de l’ONE, on confirme que le recrutement des puéricultrices pose problème, notamment à Bruxelles. “Recruter le personnel des centres d’accueil ou le remplacer (en cas de maladie, séparation pour cause de grossesse, etc.) est une difficulté rencontrée par certaines crèches. Les conditions de travail ne sont pas toujours faciles : horaires longs, secteurs pas toujours desservis par les transports en commun, contrats à durée déterminée et parfois précaires, environnement féminin avec même de jeunes enfants, et le fait que travailler avec des jeunes est Source de grande satisfaction mais aussi de grande responsabilité», explique la porte-parole Sylvie Anzalone. “Il existe un grand écart entre la reconnaissance sociale et financière de ce métier et l’impact que ce beau métier a et aura sur les enfants et les familles. Cette seconde est très grande alors que la première n’est pas assez valorisée.
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Elle assure ainsi que la réforme en cours (voir ci-contre) doit permettre de professionnaliser le secteur et d’attirer de nouveaux candidats. “L’ONE contribue à la professionnalisation du secteur via notamment l’ouverture d’un nouveau baccalauréat petite enfance (depuis septembre 2023) ainsi qu’une campagne de valorisation des métiers liés à la petite enfance”, conclut-elle.