La Croix : En 2024, votre association a célébré le 50ème anniversaire de la réintroduction du castor dans la Loire. Il y a donc (encore) de bonnes nouvelles en matière de protection de la nature ?
Rémi Luglia : Ils sont rares mais effectivement, le castor représente une belle réussite ! Il y en avait quelques dizaines en France au début du XXe siècle, il avait été quasiment éradiqué… On en compte aujourd’hui environ 25 000 répartis sur 18 000 km de rivières.
Ceci est d’autant plus remarquable que l’histoire de la cohabitation avec cet animal a longtemps été tragique. Le castor est présent depuis des millions d’années en Europe. Mais dans l’Antiquité puis au Moyen Âge, il était de plus en plus chassé pour sa fourrure, sa chair et le castoréum, l’huile qu’elle sécrète et qui est très prisée des parfumeurs. Au XIXème siècle, les persécutions s’accentuent car on l’accuse d’être nuisible : franchissement des digues, inondation des cultures… Ce sont des naturalistes qui obtiennent sa protection en 1909. Une première pour un animal sauvage en France !
Encore fallait-il le réintroduire. Ce qui s’est passé?
R.L. : Bien qu’il revienne progressivement, il a disparu de certains bassins, comme la Loire, et il lui est difficile de revenir seul. Sa réintroduction est due au souhait de quelques passionnés : en 1974, ils introduisent près de Blois 13 individus, prélevés dans le Rhône. Cette opération a permis de repeupler toute la Loire.
Le castor abat des arbres le long des cours d’eau, ce qui crée une mosaïque d’habitats pour les insectes, les libellules et les amphibiens qui reviennent massivement dans les zones où ils sont présents. Enfin, il restaure en bon état les écosystèmes endommagés par l’homme.
Les effets bénéfiques sont nombreux : les barrages qu’elle construit ralentissent l’écoulement des eaux, ce qui limite les inondations tout en permettant aux espèces de circuler. Ces barrages font également office de stations d’épuration naturelles, améliorant ainsi la qualité de l’eau. Plus largement, son action contribue à la création de nouvelles zones humides qui nous rendent plus résilients aux sécheresses.
Et vous, dans tout ça ? Quelle relation entretenez-vous avec cet animal ?
R.L. : J’ai une grande admiration pour le castor. C’est un mammifère très adaptable, que l’on retrouve même au cœur des villes comme Lyon, Tours, Blois… Il a su se faire une place dans un monde largement modifié par l’homme.
Je suis également émerveillé par sa capacité à organiser son espace de vie : adultes et jeunes travaillent pour remplir constamment la cabane en bois et maintenir les barrages en bon état. Ce qui est fascinant, c’est qu’elle modifie certes son environnement, mais au bénéfice de tous les êtres vivants. Et puis, ils vivent en famille, sous forme de petits clans très soudés : c’est un animal très social !
Et pourtant, son retour ne plaît pas à tout le monde…
R.L. : Je suis d’accord : tout n’est pas rose. La présence de castors peut nuire à la foresterie et à l’arboriculture et inonder les champs à proximité des cours d’eau. Il faut accepter de laisser à cet animal de l’espace, souvent à dix à vingt mètres du rivage. Son retour nécessite anticipation et accompagnement pour ne pas laisser les acteurs économiques seuls face au problème. Mais in fine, il faut aussi surmonter une question culturelle : il est difficile pour nos sociétés d’accepter qu’un animal sauvage nous oblige à nous adapter.
Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?
R.L. : J’aime dire que le castor est un passeur de la nature : c’est un animal qui suscite une réelle sympathie, et qui peut nous amener à considérer différemment la place que l’on accorde à la nature. Beaucoup y voient quelque chose qui doit être totalement maîtrisé, limité à un domaine prédéterminé. Pourtant, le vivant n’est pas une quantité négligeable : toutes les espèces ont leur légitimité et le droit d’exister. La cohabitation demande parfois des efforts, mais nous avons le devoir de protéger les espèces fragiles.
(1) Auteur de Vivez comme un castor. Histoire de cohabitation et de réconciliationÉditions Quaé, 160 p., 22 €.
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Son inspiration. Une citation
« La nature a besoin de protection et c’est [notre] rôle [d’]empêcher les égoïsmes individuels et collectifs de dilapider un héritage de beauté qui appartient à tous. »
Louis Mangin (1852-1937), botaniste et ancien directeur du Muséum national d’Histoire naturelle, 2 juin 1923.