«Squatters en série», les «Bonnie et Clyde du squat», «squatters de luxe»… Depuis leur arrestation en janvier, Céline Lacour, 41 ans, et Michael Bertrand, 47 ans, ont acquis une petite célébrité médiatique. Le couple est soupçonné d’avoir occupé frauduleusement des demeures d’exception, voire des châteaux valant plusieurs millions d’euros, en escroquant propriétaires, artisans et salariés.
Parmi leur tournée de France, une visite dans les Ardennes entre 2019 et 2021. On connaissait l’affaire de l’ex-Tagar, à Margut, que la justice les soupçonne de l’avoir littéralement dévalisé. Mais plusieurs témoins directs affirment que le couple aurait visé d’autres propriétés dans les Ardennes et la Marne. Dans ces histoires, toujours le même modus operandi : se faire passer pour de riches entrepreneurs proches du show business. Les avocats du couple n’ont pas répondu à nos demandes.
Un haras à un million d’euros
Un simple mot déposé dans la boîte aux lettres. Ainsi commence la rencontre de Stéphane (pseudonyme) avec les Lacour-Bertrand qui se disent intéressés par la vente du Haras de Pévy. Nous sommes en 2020, le sexagénaire et ses deux associés cherchent à vendre leur centre équestre et leur écurie situés à une vingtaine de kilomètres de Reims. 22 hectares, 50 boxes, deux maisons d’environ 600 m²2, au prix de plus d’un million d’euros. “ Ils ont visité, immédiatement, ils ont fait une offre au prix », se souvient l’ancien propriétaire. ” Nous les avons reçus chez lui, il s’est présenté comme propriétaire d’une usine dans les Ardennes qui transformait des containers. Il a même affirmé avoir participé à l’invention d’un moteur automobile permettant d’utiliser un litre de diesel aux 100 km. »
Musicien et organisateur de la tournée « Résiste »
C’est pour le côté commercial. Mais voilà encore le côté pailleté de Michael Bertrand qui « se déclare musicien » : « Pourquoi pas ? D’autant plus qu’il avait plein d’anecdotes. Il a également déclaré avoir participé à l’organisation de la tournée Résiste (émission autour de la carrière de France Gall, NDLR). ” Elle ? ” Charmant, très souriant, mais c’est lui qui parlait. »
L’affaire semble en bonne voie sauf que les documents attestant de l’existence des fonds attendent depuis plusieurs semaines. ” Les seuls documents qu’ils nous ont envoyés étaient les papiers de leur société qui s’appelait Milmoon, je crois. Internet m’a été très utile, j’ai fait quelques recherches. Et je suis tombé sur des commentaires d’anciens salariés… On a tout de suite tout arrêté. Ce sont des gens vraiment intelligents, car tout semblait plausible. »
Dettes présumées impayées à Jandun
Selon les gendarmes des Yvelines qui l’ont « filé », le couple ne s’est guère attardé quelques mois au même endroit. Mais dans les Ardennes, les deux années de pandémie ont changé la donne. Et c’est à Jandun, village de 300 habitants planté en pâturages qu’ils s’installent et vont même… s’y marier. À partir de 2019, ils y louent la maison des parents de Jérôme Bruno. Ce dernier maintiendra rapidement » une relation cordiale » avec Michel Bertrand. Électricien indépendant, il sera également employé sur le site de l’ancienne usine Tagar. ” Il était franchement gentil. Il m’a expliqué son activité de conteneurs. Il voulait les transformer en bars à bière. Il parlait du processus de remplissage des tasses par le bas. Cela existe mais cela a été inventé en Pologne, pas par lui. Il voulait aussi faire des piscines avec les containers (…) En soi, ce n’est pas un truc de fou parce que ça se fait déjà ou ça pourrait se faire. En fait, il volait dans toutes les directions », se souvient l’artisan. Au fil des mois, les relations vont se tendre.
« Mes parents ont dû appeler un huissier pour les mettre en demeure puis faire un constat. Rien à faire “
Tout d’abord, sur l’aspect immobilier. La petite famille très sympa qui a dit bonjour aux voisins » aurait arrêté de payer son loyer. ” Pendant un an, tout allait bien. Ensuite, nous avons dû demander. Mes parents ont dû appeler un huissier pour les mettre en demeure et ensuite faire un constat. Rien à faire. Ils ont également tenté de porter plainte, mais la police a refusé de l’enregistrer. Le pire, c’est qu’un jour ça s’est échauffé, et c’est elle qui a porté plainte contre mon père en disant qu’il l’avait menacée ! » Une perte sèche pour les retraités qui ont dû attendre leur départ en août 2021 pour récupérer leurs biens.
A cette époque, le couple était déjà dans le collimateur des gendarmes ardennais qui enquêtaient après une plainte de salariés impayés à Margut. Ont-ils fui les Ardennes, sentant le vent tourner ? Pas du tout, a répondu Céline Lacour à la barre du tribunal : « MoSon fils avait été repéré par le Racing club 92 (club de rugby professionnel des Hauts-de-Seine). Nous avons préféré déménager « .
De son côté, l’artisan fait partie des parties civiles qui affirment ne pas avoir été rémunérées pour leurs prestations auprès de Margut. ” Avec les déplacements et les heures de travail, cela fait 45 000 euros ! Et comme je ne suis pas salarié, je n’ai pas droit aux prud’hommes. Ce qui me tue, c’est qu’ils ont été interrogés par la police, les autorités savaient… Et ils ont réussi à partir. »
Un compromis sur la discothèque Raillicourt
Un studio d’enregistrement. C’est le projet qu’aurait aimé monter Michael Bertrand au Moulin, l’ancienne discothèque de Raillicourt, village voisin de Jandun. Selon nos informations, Michael Bertrand a contacté les propriétaires en expliquant qu’il était dans le monde du « showbiz ». ” Il avait l’air d’avoir un long bras. », souffle un témoin. Rappelons qu’au cours de sa carrière, M. Bertrand a souvent souligné avoir été ingénieur du son, comme Jean-Marc Roze, propriétaire de l’usine Tagar et président du département de la Marne.
À ce fan de rock, il disait avoir travaillé avec les Rolling Stones ! Il n’hésite pas à signer un compromis de vente devant notaire en 2020. Sauf que les fonds n’arriveront jamais. Plusieurs excuses ont été avancées pour se soustraire : test Covid positif, fonds qui ne parviennent pas, notamment du Royaume-Uni où l’homme dit posséder plusieurs sociétés…
Même son de cloche avec le Luxembourg. Lorsque les propriétaires ont décidé de résilier le contrat, ils ont dû se déplacer physiquement pour extraire la signature du couple. L’affaire n’est pas allée plus loin, mais « plusieurs mois ont été perdus « .
A Margut, des salariés à l’étage
” Il nous a tous trompés ! » peste Anthony Naud. Cet électricien venait de terminer sa formation lorsqu’il est embauché sur le site de l’ancienne usine Tagar, à Margut. Sauf qu’il ne voyait guère la couleur des salaires. Aux prud’hommes, les salariés ont été reconnus victimes de travail dissimulé en première instance. ” Il était très sympa, il y avait un apéritif tous les jours, se souvient, avec amertume, Théo Boucaud. Il m’a vendu du rêve, j’ai quand même renoncé à un CDI. Il m’a dit “Combien voulez-vous, combien êtes-vous payé en Belgique ?» » Travaux de peinture, déménagement de matériel, électricité, revêtement… tout a été activé pendant trois mois dans l’usine de 13 000 m2 qui aurait dû accueillir l’unité de traitement des conteneurs.
En août, lorsqu’ils réclament leur salaire, le ton monte : « Il nous a crié : “Pensez-vous que l’argent arrivera ainsi d’Angleterre ?» Il a dit qu’il fallait passer par le Luxembourg parce que c’était moins cher. continue M. Boucand. Ornella Didier avait été embauchée pour faire le ménage, son premier métier. “ Belle expérience! J’étais payé 869 euros alors que je devais toucher 1 700 euros par mois. » Et tout cela n’a pas été sans conséquence : sans document de fin de contrat, il était impossible pour ces salariés d’accéder au chômage à Pôle emploi.