Alors que les premières études sur les ventes de Livres en France montrent une baisse du marché en 2024, Frédéric Duvaldirecteur général France d’Amazon, a accepté pour la première fois un entretien avec Livres hebdomadaires d’affirmer l’engagement de son cabinet à faciliter l’accès de tous à la lecture, à innover pour la diversité éditoriale et à respecter la réglementation tout en maintenant une expérience client optimale. Lors de cet échange, le patron d’Amazon France a partagé sa vision sur le marché du livre d’occasion, l’intelligence artificielle ou encore la relation avec les librairies.
Livres hebdomadaires : Le marché du livre recule de 3% en volume sur un an en 2024 mais reste en hausse en valeur par rapport à 2019, selon GfK. Comment analysez-vous ces données et percevez-vous ce déclin du marché chez Amazon ?
Frédéric Duval : En effet, en 2023 puis en 2024, les ventes de livres neufs en France ont diminué de 3% en volume. Cela reflète une baisse générale de l’activité de lecture et du nombre de lecteurs de nouveaux livres, estimés aujourd’hui à 23 millions, soit 10 % de moins en un an ! C’est un enjeu majeur qui doit nous unir tous, acteurs de la chaîne de valeur du livre, pour contrer cette tendance, et non nous diviser. Pour encourager la lecture, faciliter l’accès aux livres est essentiel. Cela implique davantage de bibliothèques, de librairies, de rayons livres dans les supermarchés, mais aussi de s’appuyer davantage sur les atouts du numérique et du commerce en ligne.
« L’activité de la librairie s’est développée »
Le e-commerce du livre est critiqué pour mettre à mal le réseau des librairies sur le territoire, avec l’expérience des Etats-Unis ou du Royaume-Uni étant de moins en moins approvisionnés en librairies et des marchés en ruine. Comment justifier que votre croissance ne se fasse pas au détriment des librairies physiques ?
L’offre en ligne et celle des librairies physiques sont en réalité complémentaires. Aujourd’hui, un livre sur deux vendu par Amazon en France est expédié dans les zones rurales et les villes de moins de 10 000 habitants, c’est-à-dire dans des zones qui sont le plus souvent dépourvues de librairie. Plus de 90 % des communes françaises ne disposent pas de librairie alors que Paris compte 20 % de librairies françaises pour 3 % de la population. Depuis notre arrivée en France en 2000, notre ambition est de mettre les lecteurs sur un pied d’égalité et de faciliter l’accès au livre à tous les Français, où qu’ils vivent. Concernant les librairies physiques, entre 2019 et 2023, il y a eu 574 créations de librairies en France. Cette dynamique, dont je me réjouis et qui précède la mise en œuvre de la loi Darcos, montre bien qu’il y a de la place pour tous les acteurs du livre.
Vous avez récemment annoncé le retour de la livraison gratuite dans certains points de retrait, ce qui a suscité une vive polémique et le ministre de la Culture a saisi le Médiateur du livre.
Les lecteurs bénéficient désormais de la livraison gratuite des livres dans plus de 2 500 points de collecte situés dans les magasins vendant des livres. Il s’agit en grande majorité de comptoirs et d’accueils de magasins, et plus de 70 % de ces points de collecte sont situés dans les petites villes et les zones rurales. Il s’agit d’une initiative bénéfique pour la lecture, qui respecte la loi. Par ailleurs, la collecte gratuite des livres achetés en ligne est une pratique qui existe déjà depuis longtemps chez d’autres acteurs majeurs du secteur.
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Est-ce une manière d’ajuster votre stratégie à des réglementations qui ne vous semblent pas pertinentes ?
C’est une façon de faciliter l’accès aux livres et il y a un besoin. Un an après la mise en place des frais de port obligatoires issus de la loi Darcos, une étude Ifop montrait par exemple que 4 acheteurs de livres sur 10 en France réduisaient leurs achats grâce à cette mesure ; avec un bénéfice très marginal pour les libraires : lorsque les lecteurs se rendent dans les points de vente physiques pour éviter les frais de port, ils privilégient massivement les grands magasins spécialisés, les hypermarchés et les supermarchés. La loi Darcos a donc raté sa cible.
Quant à la loi Lang, qui permettait à tous de vendre des livres au début des années 1980, nous ne la remettons pas en cause, bien au contraire. C’est bien que la loi protège les acteurs du secteur mais elle doit aussi protéger les lecteurs, car sans lecteurs, il n’y a plus de secteur !
« La solution pour les livres d’occasion ? Réduire l’écart de prix avec celui du neuf »
Si les libraires indépendants ne sont pas vos concurrents, qui sont-ils ?
Nous avons de nombreux concurrents dans différents segments de marché. Cela pourrait être la Fnac ou Leclerc, dans la distribution par exemple. Concernant les librairies, nous partageons la même passion même si nous ne faisons pas exactement le même métier !
Comment définissez-vous la place d’Amazon dans la chaîne du livre et quels métiers exercez-vous autour du livre ?
Chaque mois, Amazon.fr expédie 300 000 titres différents dans toute la France, ce qui permet une grande diversification de l’offre. Ce chiffre est à comparer aux capacités des librairies physiques, qui pour les plus grandes proposent jusqu’à 10 000 à 12 000 titres. Nous contribuons ainsi à rendre accessible toute la création littéraire sur tout le territoire. Depuis bientôt deux ans, nous avons également investi dans un service d’impression à la demande en France à destination des éditeurs, des petits éditeurs et des auto-éditions. Chez Amazon en France, nos 24 000 collaborateurs exercent 400 métiers différents. La majorité des équipes sont dédiées à nos activités logistiques. Dans l’industrie du livre par exemple, nous avons des acheteurs, voire des équipes, qui élaborent les commandes des éditeurs.
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Nous comprenons que vous vous fixez pour objectif de faire lire le plus de personnes possible. Les best-sellers du marché, que vous soutenez grandement selon certains, vont-ils dans le sens de l’augmentation du nombre de lecteurs comme vous le préconisez ?
Je n’invente rien en disant qu’il faut des best-sellers pour créer de l’enthousiasme, mais il est également important d’avoir de la diversité. Nous avons besoin de prix littéraires, d’un retour littéraire mais aussi de petits éditeurs et d’autoéditions qui permettent à de nouveaux auteurs, comme Agnès Martin-Lugand et bien d’autres qui y sont allés. L’offre en ligne et numérique, qui s’affranchit des contraintes de linéaire des magasins physiques, permet de faire vivre cette diversité en donnant accès à des titres plus spécialisés ou plus anciens, ainsi qu’en offrant la possibilité aux auteurs de se lancer et de trouver leur public grâce à l’autoédition.
Aujourd’hui, le livre d’occasion, dont le marché s’est stabilisé depuis deux ans à près de 20 %, est perçu comme une menace pour la création des éditeurs et des auteurs. Quelle est votre stratégie en matière de livres d’occasion et de rémunération des auteurs ?
Amazon ne vend pas directement de livres d’occasion, mais notre place de marché permet à des vendeurs tiers de proposer des livres d’occasion. Les livres d’occasion encouragent la lecture en proposant une alternative plus économique. Dans un contexte de baisse de la lecture, c’est essentiel. Selon l’Ifop, pour 84 % des lecteurs, cet achat plus économique leur permet de lire davantage. Ne faisons pas la même erreur qu’avec les frais de port obligatoires : taxer ces livres n’aurait qu’un impact négatif sur la lecture et sans surprise les deux tiers des Français, toujours selon l’Ifop, sont contre cette proposition.
« Nous sommes militants pour l’apaisement et le travail commun pour faciliter l’accès au livre »
Quel rôle joue l’intelligence artificielle (IA) dans la production et la distribution de livres chez Amazon ?
L’IA est utilisée depuis longtemps pour analyser les commentaires des clients, protéger nos magasins contre les abus et la fraude et plus largement pour améliorer l’expérience client. Pour les livres auto-édités, nous exigeons que les auteurs nous informent de l’utilisation de l’IA. Le non-respect de nos politiques peut entraîner la suppression de leurs livres.
Quelle est votre vision de l’avenir d’Amazon France, notamment dans le secteur du livre ?
Amazon a tissé un lien fort avec les Français depuis plus de 20 ans. Nous restons concentrés sur l’expérience client. Pour nous, cela signifie continuer à proposer un large choix, des prix compétitifs et des livraisons rapides. Dans le secteur du livre, nous continuons de promouvoir l’accès au livre et la diversité éditoriale. Par exemple, notre imprimerie à la demande à Brétigny-sur-Orge nous permet d’imprimer des ouvrages épuisés ou auto-édités, réduisant ainsi les déchets et favorisant l’accès à une littérature variée.
L’organisation interprofessionnelle a fait un grand pas vers la transparence avec le lancement du projet Fileas de partage des données de ventes. Cette transparence est invoquée par certains pour optimiser la répartition de la valeur marchande, alors que les chiffres des ventes en ligne restent agrégés à ceux des librairies de second rang. Qu’en penses-tu?
Nous sommes des militants d’apaisement et de travail commun pour faciliter l’accès au livre. Le ministère de la Culture a partagé ses chiffres montrant que plus de 28% de la distribution des livres se fait par GSS, près de 24% par les libraires, 22% par internet et 18% par les grandes surfaces… Amazon fait partie de la vente de livres. ‘Internet.