Par
Editorial Flers
Publié le
3 janvier 2025 à 18h11
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samedi 21 décembre 2024de retour d’un stage en Espagne, Guillaume Martin-Guyonnet est venu à la rencontre de ses lecteurs et sympathisants accompagné deOlivier Haralambon.
Le point commun de ces deux hommes est qu’ils sont à la fois écrivains et philosophes et qu’ils ont tous deux eu une carrière de cycliste professionnel. Carrière toujours d’actualité pour le local Guillaume Martin-Guyonnet, qui, à l’âge de 31 ansdébute sa saison sportive 2025 avec une nouvelle équipe sportive : Groupama-FDJ.
Vincent Revers, qui modérait cette rencontre, a abordé plusieurs thématiques avec les deux invités, qui ont également répondu aux multiples questions des nombreux participants. Entretien croisé.
Ce double rôle de cycliste et d’écrivain fait-il encore réagir ?
« Si nous sommes deux dans la salle, c’est que ce n’est pas si rare. C’est cette question qui est étrange, les gens qui la posent mettent les gens dans des cases et il faut lutter contre ces préjugés » répond Guillaume Martin-Guyonnet.
Pour Olivier Haralambon, « c’est plutôt une histoire de curiosité, une étrangeté culturelle ancrée dans notre civilisation, dans laquelle la tête et les jambes sont séparées alors même qu’elles travaillent ensemble, il faut un corps pour penser. J’ai d’abord été cycliste avant de devenir écrivain et philosophe, je n’ai pas fait les deux en même temps comme Guillaume.
La souffrance physique représente 90% de mon temps.
L’écriture affecte-t-elle les performances du cycliste ?
Pour Olivier Haralambon, « le mode de vie de cycliste professionnel ne me convenait pas tout à fait : le manque de remise en question intellectuelle me manquait, je cherchais un meilleur bien-être, car il n’y a pas que du bien-être dans le vélo. J’avais du mal à supporter cette vie particulière parmi les coureurs, toujours en mouvement, j’étais mécontent de cette vie particulière qui m’était imposée et qui ne me convenait pas. Je n’y ai pas trouvé mon équilibre.
Pour l’actuel cycliste professionnel, « la souffrance physique représente 90 % de mon temps, entre les entraînements, la recherche de sensations, une météo qui n’est pas celle qu’on espère. Mais les 10 % rattrapent le reste, avec une forme de plénitude. L’activité d’écriture a des points communs avec le cyclisme : elle est laborieuse à 90 %, c’est aussi une épreuve d’endurance, car écrire nécessite d’y consacrer du temps. On ne voit pas les résultats tout de suite, on est dans le doute, il faut prendre ses distances avec ce qu’on a écrit. Je retrouve le même malaise, je m’accroche à cette part de 10 % que j’ai dans les deux activités.
Comment le corps résiste-t-il à l’écriture ?
« Techniquement parlant, je n’écris jamais longtemps d’affilée, parce que je m’ennuie. A vélo, j’arrive à être régulier, je consacre 6 à 7 heures par jour à mes balades à vélo, mais avec ma nature hyperactive, j’ai besoin d’enchaîner les activités. Avant de devenir professionnel, pendant mes études, je suis passé du cyclisme aux études, ce qui fait que je ne m’en lasse jamais : j’avais la vie sociale du peloton, mais je n’étais pas tout le temps dans le monde du cyclisme, j’avais aussi le monde scolaire et universitaire et vice versa », déclare l’athlète.
Il ajoute : « Je n’ai pas de routine d’écriture, car l’activité vélo ne me permet pas vraiment de le faire et je n’aimerais pas ça non plus, mon métier est celui d’un cycliste et j’écris après le vélo. En général, je m’entraîne le matin et en début d’après-midi. Il me reste quelques heures dans la journée, quand j’en ai envie. J’écris beaucoup dans les transports avec tous mes déplacements. J’écris au retour des courses, surtout quand ça s’est mal passé, pour évacuer la déception et me valider, me tourner vers quelque chose de positif, une sorte d’illusion que j’ai pour moi-même.
Pour Olivier, « écrire, c’est comme faire du vélo, il faut viser à la fois le volontariat et la régularité. Il faut accepter de s’en tenir à une stratégie volontaire qui ne se déroule pas de la même manière tous les jours. C’est un fantasme d’écrire, personne n’est jamais satisfait de ce qu’il écrit, il y a beaucoup de bricolage, d’entraînement, comme en cyclisme.
La réflexion a-t-elle une influence sur la performance ?
« Quand le sprint est lancé à plus de 70 km/h, il ne faut pas réfléchir ni peser le pour et le contre, c’est trop tard. Il y a beaucoup de décisions qui font appel à une forme d’intelligence, mais pas à l’intellect, c’est plutôt un instinct », estime Guillaume Martin-Guyonnet.
Pour Olivier Haralambon, « tout est toujours physique : comme l’apprentissage d’un instrument de musique, il faut répéter des gestes pour abandonner cette part de réflexion, confier à son corps un certain nombre de réflexes. C’est une intelligence perceptive, qui relève d’une dimension intuitive.
Quel est l’impact des oreillettes ?
Pour le cycliste professionnel, « les consignes données via les écouteurs dépendent du directeur sportif, s’il respecte ou non la part d’improvisation du cycliste. Parce qu’il ne voit pas ce que je vois au milieu d’un peloton. Cette volonté de contrôler les choses est due aux enjeux, les dirigeants veulent être derrière eux, surtout dans les grandes équipes. Avec les oreillettes, il est plus facile de contrôler une échappée, de donner aux écarts en temps réel de revenir plus facilement. Cela réduit la prise de risque, c’est triste pour le spectacle, les résultats sont prévisibles d’avance. Mettre en avant l’argument de sécurité en faveur de l’utilisation d’écouteurs n’est pas le bon, car ils sont dangereux lorsque l’on descend une pente à grande vitesse.»
Est-ce que c’est mal vu d’avoir ces deux activités de la part du peloton, du directeur ? De saisir deux cases différentes ?
« Ces questions sont plus celles des journalistes que celles du peloton, il n’y a pas de regards étranges de la part des coéquipiers ou du peloton. On rencontre un mélange des genres avec des gens de tous horizons, on ne se juge pas, chacun a sa propre activité en dehors du vélo, un de mes coéquipiers joue au biniou en bagad » assure Guillaume.
Pour Olivier, cycliste professionnel de 1987 à 1996, « la sociologie du peloton a évolué, la société a évolué, avant que le cyclisme ne soit un sport populaire, pour les ouvriers et les agriculteurs, aujourd’hui le cyclisme touche davantage les classes moyennes, avec plus de diversité dans tous les sens. .»
La jeune génération analyse beaucoup les chiffres avec des capteurs de puissance et est peu attentive à son ressenti, ceci est lié à la société numérique.
Les endomorphines sécrétées pendant l’exercice aident-elles à l’écriture ?
« C’est la notion d’activité qui compte, le mental est très actif après une activité physique, c’est une manière de mûrir. Ce qui vous empêche de penser, c’est la dépression. Pourtant, l’inconfort de l’écriture est une manière de le surmonter, de le transfigurer, ou de le sublimer. De nombreux auteurs souffrants ont produit de très beaux écrits. Certaines histoires naissent lorsqu’un événement s’est mal passé, cela inspire et donne du sens à l’événement. Une histoire de fiction redonne du sens à sa vie, en faire un récit offre l’opportunité de se réapproprier des choses qui nous ont échappé », explique Olivier Haralambon.
Pour Guillaume, « dans leur roman, les écrivains font des analyses à distance de ce qu’ils ne savent pas vivre. C’est aussi le point de départ de mon dernier roman. Les gens qui rêvent que je voulais appeler Heureux les imbéciles. Les écrivains donnent un sens à des choses qui n’en ont pas.
Comment le peloton a-t-il évolué en dix ans ?
Pour le cycliste professionnel, « le peloton a pas mal changé depuis 4-5 ans, avec une génération de jeunes coureurs de 19-20 ans, très performants par rapport à mes débuts il y a 10 ans où la moyenne d’âge était plus élevée. Certaines équipes ont une vraie politique envers les jeunes. Celui de Groupama-FDJ a une moyenne d’âge de 23-24 ans, ça me fait me sentir vieux, je fais partie des anciens. Si vous devenez professionnel à 19-20 ans, vous arrêtez vos études, vous ne pouvez rien faire d’autre à côté. La jeune génération analyse beaucoup les chiffres avec des capteurs de puissance et n’est pas très attentive à son ressenti, c’est lié à la société numérique.
Ce jeune âge n’est-il pas propice à la construction de coureurs qui auront moins d’esprit critique ?
« Ces jeunes sont physiologiquement prêts, mais psychologiquement j’avais des doutes. Mais non, ils ont la tête sur les épaules, sont ambitieux, savent répondre aux journalistes et acceptent cette forme de pression. C’est cette forme d’assurance qu’il faut valoriser et qui témoigne d’une sorte de liberté d’esprit, mais qui laisse de moins en moins de place à l’improvisation.
Pour Olivier, « cela dépend des équipes, certaines sont plus conscientes de leur responsabilité dans la formation des êtres humains, comme en entreprise ».
J’aimerais aussi avoir plus de temps pour écrire.
Quelle est votre vision de cette recherche perpétuelle de performance, au-delà de la limite physique, du recours au dopage ?
« J’espère que le dopage n’est pas le seul moyen de dépasser ses limites, de devenir plus performant : entraînements plus précis, évolutions du matériel, de la nutrition. Il y a de nombreux aspects de la performance au-delà de la question du talent brut du cavalier », explique Guillaume.
Pour l’autre invité, « la performance, c’est percer sa forme, c’est une inconnue mystique métaphysique du dépassement, de l’idée du dépassement, du dépassement de la limite. Auparavant, les coureurs étaient fortement dopés et se mettaient en danger. Aujourd’hui, les connaissances physiologiques ont bien évolué, on peut savoir placer son effort, l’adapter au plus près de ses capacités, on a une connaissance de la performance qui rend les choses plus sûres.
Lors du dernier Tour de France, « l’inhalation de monoxyde de carbone a été utilisée par certaines équipes de coureurs, car tant que ce n’est pas interdit, c’est autorisé, et non classé comme dopant. Cela soulève une question éthique. Si nous l’interdisons, comment pouvons-nous le contrôler ? La perfusion de vitamines et de glucose à la fin d’une étape est une méthode interdite, mais comment la contrôler ? » questionne Guillaume.
Comment peut-on vivre au sein d’un peloton quand il y a des équipes à côté de nous qui trichent ?
« J’ai arrêté de me soucier de ce que font les autres, on ne peut pas faire autrement », déclare le professionnel.
Comment vous voyez-vous dans le futur ? L’écriture deviendra-t-elle votre activité principale ou restera-t-elle une passion ?
« Je suis hyperactif, j’ai un peu de mal à me projeter. La fin de ma carrière approche, j’aurai toujours plusieurs activités, j’ai le domaine Boderie de Sainte-Honorine-la-Chardonne à gérer et j’aimerais aussi me libérer davantage de temps pour écrire”, prédit le Normand.
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