Son sourire cache des défauts. Des défauts qu’elle a décidé d’explorer. Alors partagez. Et c’est dans un livre aussi riche que dense, aussi intime que nécessaire, que Melvine Deba détruit méthodiquement le mythe de l’athlète invincible animé d’une motivation sans faille qui ne connaît ni doute ni lassitude. Afin de ramener le sportif à son essence première : son humanité.
Curieux, avide de découvertes et de rencontres, l’ailier droit du Chambray Touraine Handball signe avec Un espace de vulnérabilité partagée un travail sur l’acceptation de soi, l’écoute, la compréhension. Elle dévoile ce secret qu’elle a si longtemps caché, cet inceste dont elle a été victime étant enfant, ses peurs et ses moments de doute, mais aussi ses victoires – pas toujours gagnées sur le terrain -, ses forces et ses des rêves.
Ses paroles résonnent, font écho et trouvent un sens en chacun. Ce livre est une expérience unique, sincère, sensible, profonde, intense. Comme son auteur.
Melvine, quand est née l’idée d’écrire ce livre ?
« Je pense qu’on ne sait pas exactement quand naît l’idée d’une création. En 2020, après ma rééducation suite à ma rupture du ligament croisé du genou, j’ai pris un an d’arrêt de carrière. A cette époque, j’ai rencontré un coach littéraire (Pauline Kasprzak, auteur de la préface du livre)avec qui j’ai fait des ateliers d’écriture. J’ai donc pensé que j’aimerais écrire un livre. Mais à ce moment-là de ma vie, je n’allais pas bien, je n’étais pas dans un cycle de création mais dans un cycle de soin et de réparation. L’écriture n’était pas le moment. Je tenais juste un journal. L’idée d’écrire un livre a alors complètement disparu.
Et puis, un an avant les Jeux Olympiques de Paris, j’ai discuté avec ma rédactrice, Aurélie Bresson (également présidente de la Fondation Alice Milliat et directrice des médias Les sportives), et elle m’a dit qu’elle aimerait beaucoup aborder le sujet de la santé mentale chez les sportifs de haut niveau. Je lui ai parlé de mon journal, je lui ai fait le lire et elle l’a trouvé très prometteur. Alors, si l’envie d’écrire remonte à quatre ans, ce livre est plutôt une coïncidence. »
Pourquoi avoir choisi ce format, vous qui avez également créé le podcast Handpapers, qui parle du handball féminin ?
« C’est la forme qui s’est imposée à moi car elle était la plus juste par rapport à ce que je voulais dire. J’ai entendu une citation que j’ai trouvée très pertinente et dont je ne connais pas l’auteur : « Écrire, c’est continuer à ne pas dire. » Et ce dont je parle dans le livre, quelque part, c’est dit, mais j’évite quand même l’oralité parce qu’elle est trop difficile à aborder.
L’enjeu dans ce type d’écriture est de laisser tomber complètement le masque, de promettre l’authenticité dans tout ce qui est dit.
Melvin Deb
Comment s’est déroulé le travail de montage une fois le projet lancé ?
« J’ai décidé de contacter Pauline, la coach littéraire, qui m’a inclus dans un de ses programmes d’accompagnement à l’écriture, de la relecture du premier manuscrit jusqu’à la correction finale du texte. C’est ce qu’elle appelle le chemin d’un auteur. Je trouve ça très beau. Elle a posé un premier diagnostic du manuscrit, avec ses points forts et ses points faibles. Il existe de nombreux textes qui ont été réécrits dix fois, d’autres qui ont disparu mais qui ont aidé et nourri la construction du livre. Pour commencer, je devais savoir à qui je m’adressais ; quelle était la place du narrateur – est-ce que je dis que je ? – ; à quel temps j’ai parlé ; qu’est-ce que j’écrivais : était-ce une autobiographie, un journal intime, un texte poétique ?
Ensuite, il a fallu apprendre les codes du genre. Le parti pris choisi pour mon texte est de faire quelque chose d’hybride, d’assez pluriel, car cela vérifie une partie de ma personnalité, qui est très curieuse, qui aime aborder plusieurs choses à la fois. Je voulais que les lecteurs entrent dans ma tête. C’est pourquoi les textes sont assez courts et se succèdent, un peu à la manière d’un puzzle.
Ensuite, il a fallu structurer, car dans un texte aussi hybride, il faut un fil conducteur que les lecteurs puissent suivre. Pour le trouver, la question clé était : quelle est ma promesse ? Que vais-je m’efforcer d’offrir avec ce livre ? C’est ainsi que j’ai trouvé ce titre, car ma promesse était de créer un espace de vulnérabilité partagée. L’enjeu dans ce type d’écriture est de laisser complètement tomber le masque, d’accepter de dire je, de parler au présent, de promettre l’authenticité dans tout ce qui est dit, même si je ne dis pas tout. C’est la promesse d’enlever l’armure. Et je l’ai trouvé beau. »
Le cœur de cet ouvrage est donc la santé mentale des sportifs. Un sujet de plus en plus abordé mais qui a longtemps été négligé. Selon vous, pourquoi a-t-on tendance à oublier que le sportif est avant tout un être humain, avec ses forces et ses faiblesses ?
« Je ne vais pas dire nous, mais moi. Pourquoi l’ai-je oublié ? Il y a plusieurs choses qui se croisent. Premièrement, j’ai grandi avec la mythologie de l’athlète qui réussit et gagne. Et quand il échoue, il retourne au travail, comme s’il n’y avait aucune émotion qui l’avait bouleversé, comme si, contrairement à tout le monde, il n’avait jamais voulu rester sur son canapé à ne rien faire.
Deuxièmement, parce que je ne me suis pas permis de me tromper, d’avoir des échecs. J’ai grandi, comme beaucoup d’enfants, avec le sentiment qu’il ne fallait pas échouer, qu’il fallait absolument réussir parce que c’était une manière de s’élever socialement. Avec le sentiment aussi que ma réussite serait ce qui soulagerait ma mère, pour qu’elle puisse arrêter de travailler. Parce que j’ai toujours vu le travail comme quelque chose de très pénible, qui permet juste d’échapper à une condition, tout en pouvant aussi apporter une forme de dignité. C’était impossible, pour moi, d’avoir des défauts, car il y avait ce défi de s’extraire d’une condition, sociale mais aussi raciale.
Ce qui posait une question centrale : quelle est ma valeur ? Parce que si on me dit que les gens qui ne sont pas riches valent moins, qu’être noir vaut moins, qu’est-ce qui me permet de m’élever ? Eh bien, c’est le succès. Ainsi, lorsque je fais quelque chose, je le fais avec la détermination de restaurer en moi un sentiment de dignité et de valeur. C’était un mensonge, mais à 18 ans, je ne le comprenais pas. Et donc, j’étais motivé par de mauvaises motivations et non par mon plaisir de jouer, mon amour pour ce sport. »
C’était mon plus gros défaut : je n’étais pas équilibré, parce que je jouais pour de mauvaises raisons.
Melvin Deb
Il y a aussi tout un discours, notamment médiatique, qui héroïse le sportif, qui l’élève au rang de surhumain, et qui tend à gommer ses défauts…
« Moi, avec cette blessure, j’ai été obligé de comprendre intimement ce que signifiait ne pas montrer ses défauts. Car oui, dans la construction médiatique du sport, il y a cette idée du « plus vite, plus haut, plus fort », le slogan des JO. Ce n’est pas une mauvaise chose de vouloir aller plus vite, plus haut, plus fort. Mais avec d’autres modèles. L’enjeu de ce livre était de proposer d’aller à la rencontre de nos défauts et de nos vulnérabilités, car elles sont un chemin pour grandir en humanité, dans la connaissance de soi, dans l’amour de soi. Et, dans cette énergie, une énergie d’amour pour nous-mêmes et pour ce que nous faisons, nous sommes alors capables d’aller plus vite, plus haut, plus fort. Ce n’est pas le discours qui pose problème, ce sont les moteurs. Parce qu’elle est sublime, une personne capable de se dépasser par la passion, à condition que ce soit dans un équilibre qui la rende heureuse. Et c’était mon plus gros défaut : je n’étais pas équilibré, parce que je jouais pour de mauvaises raisons. »
Le tournant, pour vous, c’est cette blessure, qui a conduit au burn-out, et tout ce que cette rupture a fait remonter à la surface. Ecrire un livre pour partager tout cela, était-ce aussi une manière de s’en affranchir ?
« J’ai davantage expérimenté la notion de libération en thérapie. Quand j’écris, c’est pour le plaisir de le faire et pour la rencontre avec l’autre à travers les mots. J’écris aussi parce que j’aime profondément lire, parce que les livres ont changé ma vie. L’une de mes auteurs préférées est Faïza Guène. Quand je le lis, je me dis ” Ouah “. Alors quand j’écris, je le fais avec l’intention de créer l’effet Faïza Guène. »
Vous parlez aussi de la beauté du sport, qui implique beaucoup de monde, et notamment vos coéquipiers…
« C’est quelque chose que j’ai découvert après ma blessure. Il y a deux moments dans le livre : d’abord, je suis extrêmement seul, il y a beaucoup de je, les autres joueurs sont presque des éléments décoratifs, ils n’interviennent pas en tant que personnes. Ensuite, je soulève la question de savoir où se situe ma valeur si elle ne réside pas dans ce que je fais. Je pars à la recherche de ce qui pourrait vraiment avoir de la valeur, quelque chose qui n’est pas vain. Et là, il y avait le lien au corps, le lien à la nature et le lien aux autres, celui du cœur.
Avant, mon équilibre reposait sur l’idée qu’il fallait réussir pour être heureux, prouver que je suis quelqu’un, que j’ai de la valeur. Mais ce fut en vain. Ma réussite aujourd’hui, c’est d’avoir de multiples passions – handball, écriture, création en tout genre – des relations et des liens authentiques avec mes amis, mes coéquipiers, ma famille. Je suis en bonne santé, je vis dans une démocratie à une époque où les femmes n’ont pas le droit de se parler dans certains pays. Peut-être que ma plus grande réussite serait de m’en réjouir. C’est là, ici, dans ce que j’ai tout de suite, que réside mon bonheur et non dans la course à la reconnaissance de ma valeur qu’on m’attribuerait en montant sur les podiums. »
« Un espace de vulnérabilité partagée, des questions existentielles dans la vie d’un sportif de haut niveau », par Melvine Deba ; Éditions « Les Sportives ». 118 pages, 11,95 €.