En partageant des histoires avec leurs parents, les enfants progressent dans leur apprentissage de la lecture et enrichissent leur imaginaire. Mais les médias utilisés influencent-ils leur perception ? Quelle est la différence entre utiliser un livre audio et un livre papier ? Quelques réflexions à l’heure où les nouvelles technologies multiplient les méthodes disponibles.
Il existe différentes manières de raconter une histoire à un enfant. S’improviser conteur, sans autre support que sa propre voix, en est une, lire un livre illustré en est une autre. Avec le numérique, la gamme de livres audio disponibles se diversifie. Et avec l’arrivée de l’IA, les possibilités se multiplient.
Chacune de ces modalités a ses charmes et ses effets. Mais comment l’enfant appréhende-t-il réellement ces différents formats ? Comment le vecteur du récit influence-t-il son attention, sa compréhension ou son imaginaire ? Comment ces approches variées peuvent-elles façonner son rapport au langage et à la narration elle-même ? La recherche nous offre quelques pistes pour y voir plus clair.
Raconter « simplement » : la magie de l’oralité
Imaginez un adulte parlant pour raconter une histoire sans aucun support visuel, en utilisant uniquement sa voix, son regard, ses gestes. L’enfant, captivé, écoute et crée ses propres images dans sa tête. Ici, tout passe par l’intonation, le rythme et l’expressivité du conteur.
C’est un véritable spectacle oral, une transmission vivante qui peut s’adapter en - réel : le conteur voit si l’enfant le suit, s’il est intrigué ou perplexe, et peut réexpliquer ou souligner certains détails. D’une part, cela stimule l’imagination : pas d’images imposées, l’enfant invente ses propres décors. D’un autre côté, même sans support visuel, l’adaptation constante du conteur aux réactions de l’enfant peut soutenir, voire améliorer, la compréhension de l’histoire.
Selon les résultats d’une étude publiée par Rebecca Isbell et ses collègues dans Journal d’éducation de la petite enfance en 2004, les enfants de 3 à 5 ans exposés à des histoires purement orales démontraient une meilleure compréhension que ceux ayant entendu les mêmes histoires lues dans un livre. Cette interaction directe, flexible et réactive place l’enfant au cœur du dialogue narratif, levant plus facilement les ambiguïtés et renforçant la pertinence de l’oralité dans le processus d’apprentissage.
Lecture partagée : un riche moment de complicité
Le grand classique reste la lecture d’un livre illustré. On ouvre l’album, on découvre les personnages dessinés, leurs expressions, les paysages colorés. Les illustrations captent principalement l’attention des enfants lors de lectures partagées. Cette orientation visuelle peut jouer un rôle clé dans la compréhension globale de l’histoire, en fournissant des repères visuels qui complètent le texte.
Cette méthode de partage est particulièrement efficace pour enrichir le vocabulaire, éveiller les enfants à la lecture et les aider à développer des repères visuels et textuels, comme l’explique remarquablement Maryanne Wolf, spécialiste du développement de l’enfant dans Proust et le calmar. Avec le livre papier, on peut revenir en arrière, commenter un détail, pointer du doigt un personnage, bref créer une interaction très concrète.
Lire la suite : Lire des histoires aux enfants, pourquoi c’est important
Certes, l’image fixe limite un peu l’imagination, mais elle constitue un support précieux pour l’apprentissage des mots et la compréhension du récit, notamment pour les plus jeunes. De plus, le livre, en tant qu’objet familier, renforce ce sentiment de proximité et de partage.
Écouter un livre audio : plongez-vous dans la voix et les sons
Après la lecture partagée, un autre format gagne en popularité : les livres audio. Ceux-ci permettent à l’enfant de s’immerger dans un monde sonore : une voix souvent professionnelle, parfois accompagnée de musique ou de bruitages.
L’expérience est immersive et peut devenir très agréable : on peut fermer les yeux, imaginer les scènes, laisser vagabonder son esprit. Cependant, contrairement à la situation où le conteur ou le parent est présent, l’enregistrement ne permet pas d’être interrompu pour poser une question. Cela demande donc plus d’autonomie et de capacité de concentration.
Des études indiquent que les livres audio peuvent encourager les enfants, en particulier ceux ayant des difficultés en lecture, à explorer de nouvelles histoires et à développer leurs capacités d’écoute attentive. Pour les plus jeunes, l’accompagnement d’un adulte est souvent nécessaire, ne serait-ce que pour réexpliquer un mot inconnu. Ce format purement auditif permet également d’affiner la sensibilité de l’enfant aux nuances de la voix et du langage.
L’IA, un nouveau conteur à votre portée ?
Depuis peu, l’intelligence artificielle est entrée dans la danse. Des outils comme ChatGPT peuvent, à la demande, inventer une histoire complète, changer son style, adapter le niveau de langue, répondre aux questions de l’enfant, reformuler des passages complexes ou expliquer instantanément un mot inconnu. On peut ainsi créer une histoire personnalisée dont l’enfant devient le héros, ou demander à l’IA de « réécrire » une scène en y ajoutant plus de suspense, d’humour ou de poésie.
Cette flexibilité sans précédent vous permet d’interagir facilement avec une source narrative modulaire. Par exemple, une étude récente de Ying Xu et ses collègues (2022) et publiée dans la revue Développement de l’enfant a montré que les agents conversationnels peuvent reproduire les bénéfices de la « lecture dialogique » réalisée avec un adulte, une approche interactive où l’enfant est invité à répondre à des questions sur l’histoire, ce qui renforce son engagement et sa compréhension. Ces agents, en posant des questions ouvertes et en fournissant des commentaires personnalisés, ont contribué à améliorer l’engagement des enfants et leur compréhension narrative.
Cette recherche met en évidence le potentiel des agents intelligents à jouer un rôle éducatif complémentaire, en particulier lorsque l’interaction humaine n’est pas disponible. Leur capacité à imiter la lecture dialogique confirme l’importance de l’interaction dans le processus narratif.
Cependant, l’IA n’a pas encore la sensibilité ni la finesse d’un conteur humain qui connaît bien l’enfant et sait interpréter ses réactions non verbales (expressions faciales, posture, attention fluctuante). Elle ne « comprend » pas vraiment l’histoire ni les émotions qu’elle suscite. Elle ne peut pas spontanément adapter son histoire selon l’humeur du moment ni choisir la morale la plus appropriée au contexte familial ou culturel.
À l’avenir, l’amélioration des modèles d’IA et leur capacité croissante à intégrer des données sensorielles ou contextuelles pourraient affiner cette expérience. L’IA pourrait ainsi mieux comprendre les préférences individuelles de l’enfant (thèmes, difficultés linguistiques, style préféré), proposer des histoires plus nuancées, voire travailler en complémentarité avec d’autres médias (images générées par l’IA, bruitages adaptés, etc.). Si cette technologie ne remplace ni le conteur humain ni la lecture traditionnelle, elle peut néanmoins devenir un outil supplémentaire, disponible à tout moment, pour enrichir l’univers narratif de l’enfant, éveiller sa curiosité et soutenir son apprentissage.
Quels effets sur l’enfant ?
Chacun de ces modes offre un certain nombre d’avantages uniques. La narration orale encourage l’interaction et la créativité. La lecture d’un livre illustré soutient l’apprentissage des langues, prépare à la lecture et renforce le lien avec les parents. Le livre audio développe la concentration auditive, tandis que l’IA offre une flexibilité et une disponibilité sans précédent.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Aucun de ces formats n’éclipse les autres. Ils sont complémentaires. L’important est de varier les plaisirs et d’adapter le choix à l’âge et aux goûts de l’enfant. Après la séance, discuter de l’histoire est essentiel : qu’est-ce qu’il a aimé ? Qu’a-t-il compris ? Quels mots étaient nouveaux ? Les approches interactives comme la lecture dialogique, décrites par les chercheurs Grover J. Whitehurst et Christopher J. Lonigan, montrent que l’échange actif entre l’adulte et l’enfant facilite l’appropriation du récit et le développement des compétences langagières.
Exposer les enfants aux histoires, quelles que soient les approches utilisées, bénéficie à long terme au développement de leur langage, de leur attention et de leur imaginaire et joue également un rôle essentiel dans la transmission des références culturelles et familiales.