Créer un Smic net à 1 600 €, « une mesure meurtrière pour la librairie »

Créer un Smic net à 1 600 €, « une mesure meurtrière pour la librairie »
Créer un Smic net à 1 600 €, « une mesure meurtrière pour la librairie »

Comment le monde du livre pourrait-il ne pas s’unir contre le Rassemblement national ? Il suffit de consulter l’émission portée par Jordan Bardella pour constater que le mot culture n’existe qu’à côté de l’agri — et rien de plus dans les 22 mesures présentées par Marine Le Pen.

La tige et la corde sont fournies

Sauf que, nous dit un libraire, le nouveau Front populaire porte « une mesure complètement meurtrière pour notre économie et notre secteur, qu’il nous est impossible de cacher« . Que nous aimions les lettres ne nous empêche en rien de regarder les chiffres, nous explique une de ses collègues : « Dans notre économie à flux tendu, sans compensation, le salaire minimum de 1 600 € net est une catastrophe. »

Les données du Syndicat national de la librairie sont claires : le salaire moyen d’un libraire est de 1 720 € net mensuel – soit 2 205 € brut. Le salaire minimum brut pour 2024 a été porté à 1 766,92 €, soit 1 398,70 € net. S’il devait s’établir à 1 600 € net (ou 2 050 € brut), quelles seraient les conséquences pour le secteur ? “On peut poser la question autrement : quel pourcentage de librairies fermeraient en France avec une telle revalorisation ? », souligne un observateur.

Des entreprises précaires… précaires ?

L’étude du cabinet Xerfi, dévoilée lors des Rencontres nationales de la librairie à Strasbourg, montre comment ces commerces essentiels seraient tous «fragilisé par le contexte inflationniste« . Les analystes estiment également que «sans réductions de dépenses», les petites librairies afficheront des pertes nettes par rapport à… l’année dernière.

De nombreux chefs d’entreprise auraient fermé boutique vu ce que je vais vous présenter», a alerté Jérémy Robiolle, directeur du développement de Xerfi.

Car le reste des conclusions, issues de ces projections, ne sont guère plus encourageantes : les librairies de taille moyenne afficheraient des résultats négatifs dès 2024 (-0,4%) suivies par les grandes l’année suivante (-0,3%). . Et ces tarifs augmenteraient d’une année sur l’autre : en 2025, les petites librairies afficheraient une perte nette de -3,3%.

Je vérifie ma trésorerie au jour le jour», confirme un libraire de la banlieue parisienne. “Bien sûr, il est anormal qu’un libraire puisse être payé au Smic compte tenu de son niveau de formation. Mais je n’ai pas augmenté mon chiffre d’affaires et mes marges… et bien l’étude Xerfi le montre parfaitement : ils sont au cœur des problèmes. »

Bonne nouvelle sans enthousiasme

Le Pass Culture, présenté comme une manne divine, reste également à relativiser. Avec 50 % du budget alloué consacré au livre, 120 millions d’euros auraient été ajoutés aux comptes des librairies. Mais en relativisant ces données, avec près de 4 000 librairies référencées dans l’application, cela représenterait 30 000 € par établissement et par an.

Sur un chiffre d’affaires moyen de 600 000 €, le Pass Culture équivaudrait à 5% du chiffre d’affaires – en réalité, 2,5% ont confirmé le Pass Culture SA lors du RNL. Si le Pass Culture a bénéficié, ce sont surtout les éditeurs – et les genres romance et manga, donc… l’achat de droits, pas même de littérature francophone, pour conserver un peu d’ouverture.

Alors oui, pour les libraires, une goutte d’eau dans l’océan, mais qui en l’état est toujours bonne à prendre, comme toute autre forme d’aide. “Avec le label LIR, j’ai bénéficié de 3 000 € l’année dernière», explique un libraire parisien. “Ce n’est pas grand-chose, bien sûr, mais je prendrai tout ce que je peux.»

Marcher sur la corde raide

Quand les marges sont infimes, et les charges (loyer, électricité…) identiques à celles d’autres entreprises, dont les résultats ne peuvent qu’être plus confortables, »vous devez constamment garder un œil sur vos comptes. Entre septembre et mars/avril, on a une trésorerie qui résiste au choc, mais à partir de mai, juin et avec la période estivale entre vacances et absence de clients, je souffre, oui« .

Et elle n’est pas la seule. Marges réduites à néant, coûts équivalents… cette augmentation du Smic devient le hache qui écrase le moral. D’autant que la librairie perd des parts de marché : «La légende selon laquelle 1 livre sur 2 est vendu dans une librairie indépendante ne résiste pas à un examen minutieux», souligne un éditeur.

Ventes de livres : les librairies en baisse

En effet, en observant les données fournies par Edistat, on se rend compte qu’en 2019, les librairies (hors grandes surfaces alimentaires et magasins spécialisés) détenaient 37% de part de marché en volume et 40% en valeur. En 2014, ils étaient de 65 % pour les ventes et de 74 % pour le chiffre d’affaires.

Pour 2023, la librairie est passée à 34% en volume, pour 37% en valeur et dans ce premier semestre 2024, qui a encore quelques semaines à boucler, le volume reste le même, mais en valeur, on descend à 36 %. Tout cela pour le bénéfice indéniable des grands magasins spécialisés (Fnac, Cultura…)

La librairie ne sera pas la seule concernée par ce SMIC : si l’on prend le GSS, un conseiller commercial est rarement payé plus que le SMIC horaire», nuance un éditeur. Et non sans un certain cynisme, un observateur nous glisse : «Le seul levier pour la librairie sera d’augmenter la productivité, par exemple en robotisant. Et qui le fait le mieux ? Amazone. Conclusion, avec cette mesure, le nouveau Front populaire va renforcer le cybermarchand.» Ou plus simplement scier la branche sur laquelle est assise la librairie ?

Sans mesures de protection de nos entreprises, sans réaction du Centre national du livre, ce sera très, très compliqué pour notre profession. Et nous espérons que le SLF sera à l’avant-garde sur cette question si elle se présente.», conclut un libraire parisien. “C’est une mesure louable, à tous points de vue, personne ne le contestera. Mais dans l’état actuel des choses, pour beaucoup d’entre nous, il ne reste plus qu’à faire ses valises.« .

Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0

 
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