pour Amazon, la lecture en paie toujours le prix

6 mois après une première étude commandée à l’IFOP, Amazon récidive, avec de nouveaux chiffres consacrés aux achats de livres par les Français. Dans un contexte économique délicat, réguler les frais d’envoi des livres, d’un montant minimum de 3 € pour l’envoi, aurait des conséquences sur les pratiques de lecture et d’achat de la population.

Pour mener son étude, l’IFOP s’est tourné vers 12 005 Français âgés de 18 ans et plus, à l’aide d’un questionnaire auto-administré en ligne, diffusé en août dernier.

Un contexte défavorable

Sur un an, les prix à la consommation ont augmenté de 2,3% en juillet 2024, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques. Autrement dit, le contexte économique reste tendu, avec des conséquences importantes sur la culture en général et sur le livre en particulier. Selon les réponses recueillies par l’IFOP, 47 % des Français estiment que leur pouvoir d’achat a diminué, tandis que 53 % le jugent stable ou en hausse.

Dans le détail, les catégories de revenus moyens et faibles seraient les plus touchées, et les ménages situés en zone rurale ou rurale autonome [loin d’un pôle central ou hors d’une aire de plus de 50.000 habitants, NdR].

79% des Français qui ressentent une baisse de pouvoir d’achat envisagent de réduire leurs dépenses culturelles, contre 73% en février 2024. En effet, la fréquence d’achat de livres semble avoir subi le coup : si 73% des Français déclarent achètent de nouveaux livres (contre 74% en février 2024), seulement 16% le font au moins une fois par mois (contre 24% en février 2024).

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La proportion des achats hebdomadaires aurait diminué de moitié en quelques mois (de 6 à 3 %), tandis que les achats mensuels seraient légèrement moins touchés (de 18 à 12 %). Les achats ponctuels, au cours de l’année, seraient préservés, lors des achats “une à deux fois par an » augmenter significativement (de 19 à 30 %). Les lecteurs français ne se privent pas totalement : 27 % n’achètent pas de livres neufs, contre 26 % quelques mois auparavant.

Une mesure impopulaire ?

Depuis octobre 2023, la commande d’un nouveau livre sur internet nécessite le paiement de frais de port d’un montant minimum de 3 €, lorsque le montant total du panier est inférieur à 35 € (sans compter les prix des ouvrages). Cette mesure visait à rétablir la concurrence entre les grandes plateformes de vente en ligne, dont Amazon, et les librairies indépendantes. En effet, si les premiers pouvaient proposer des frais de port compétitifs, à 0,1€, les seconds se voyaient contraints de payer une facture plus élevée aux clients.

Sans surprise, les réponses des participants n’ont pas beaucoup changé : 62% considèrent que ce montant minimum de frais de port affecte leur pouvoir d’achat, contre 38% qui soutiennent le contraire. Les tranches d’âge entre 18 et 49 ans seraient les plus touchées, et les catégories inférieures et pauvres du côté socio-économique.

44% des personnes interrogées estiment que l’introduction de frais de port minimum de 3 € aurait entraîné une réduction des achats de livres et une réduction de leur pratique de lecture. De nouvelles pratiques de consommation se multiplient, comme l’achat dans des points de vente physiques (64% le font plus fréquemment), le prêt de livres entre amis et famille (56%) ou encore l’emprunt dans une bibliothèque (51%).

La librairie résistante

La question centrale à laquelle tente de répondre l’étude IFOP commandée par Amazon est la suivante : les frais de port obligatoires à 3 € ont-ils redirigé une partie de la clientèle vers la librairie, comme le souhaitait le législateur ? 26% des sondés indiquent se tourner vers les librairies indépendantes, comme lors de la précédente étude sur le sujet, en avril dernier.

Les hypermarchés et supermarchés, quant à eux, sont en fort repli, avec 25% des sondés les fréquentant, contre 41% quelques mois plus tôt. Les grandes enseignes de produits culturels, comme la Fnac et Cultura, arrivent en tête, avec 36 %, contre 22 % en avril dernier.

Une répartition qui correspond peu ou prou à la répartition actuelle du marché du livre : selon le ministère de la Culture, les grands magasins culturels en couvrent 28,4% en 2023, devant les librairies, avec 23,3%, et les sites Internet (22,2%). Les grandes surfaces non spécialisées sont à 18,1%.

Amazon met en avant, dans sa communication, un recours massif aux hyper/supermarchés, aux grandes enseignes culturelles et aux maisons de presse pour l’achat de livres (70%), contre 26% pour les librairies indépendantes.

Mais la répartition sur le territoire ainsi que le nombre d’enseignes pèsent sans doute sur ce choix : en 2023, il y avait 2 300 hypermarchés et 5 875 supermarchés en France, selon la Fédération du commerce et de la distribution, 227 Fnac, 108 Cultura et une trentaine d’entreprises. Les marques Gibert Joseph, ainsi que 530 maisons de presse. Soit un total de 9 000 points de vente, pour environ 3 700 librairies indépendantes… Amazon deviendrait-il le meilleur défenseur des librairies, plaidant pour davantage d’ouvertures ?

«Payez plus ou lisez moins»

Dans la communication qui accompagne l’étude IFOP, Amazon souligne une nouvelle fois les effets jugés délétères des frais minimaux de port sur l’accès au livre et à la lecture. “Dans un pays où plus de 90 % des communes ne disposent pas de librairie, imposer des frais de port obligatoires sur les livres revient à taxer la lecture, obligeant de nombreux Français à choisir entre payer plus ou lire moins. La lecture est une grande cause nationale qui doit mobiliser tous les acteurs, et les politiques culturelles publiques doivent plutôt s’appuyer sur les atouts de l’offre en ligne pour favoriser un large accès à toutes les cultures, partout en France.», déclare Frédéric Duval, directeur général d’Amazon.fr.

Interrogée, la filiale française de la multinationale n’a pas souhaité partager de chiffres concernant la vente de livres, ni même indiquer une trajectoire de résultats en la matière, insistant plutôt sur les effets de la loi sur les pratiques de lecture des Français. . Le cabinet incite également les pouvoirs publics à privilégier d’autres mesures de soutien aux librairies, comme la mise en place d’un tarif postal dédié.

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Du côté du Syndicat de la librairie française, la loi Darcos, dont l’adoption a été largement soutenue, reste évidemment défendue. “Cette étude, bien qu’orientée sur de nombreux points, confirme qu’une majorité de lecteurs se sont davantage tournés vers les points de vente physiques, notamment les librairies indépendantes, ce qui était l’objectif de la loi.», assure Guillaume Husson, délégué général de l’organisation.

Les seuls chiffres sur le sujet restent cependant ceux d’Amazon et de l’IFOP : le ministère de la Culture a promis une évaluation des effets de la législation, mais deux après son entrée en vigueur, donc fin 2025. La Librairie Française L’Union promet néanmoins ».analyser de plus près l’impact de la loi Darcos» à partir des données de l’Observatoire de la Librairie, des librairies et d’autres canaux de vente, hors Amazon.

Les résultats seront publiés une fois la collecte auprès de tous les participants terminée. “Pour l’instant, les premiers bilans font état d’une légère baisse des expéditions de livres au domicile des clients, compensée par une augmentation plus significative des“cliqué et supprimé”, explique Guillaume Husson.

La lutte d’Amazon contre le tarif d’expédition minimum n’est pas nouvelle. La multinationale s’était exprimée, par la voix de son directeur général Frédéric Duval, dans un article publié en 2021. Celui-ci assurait que les habitants des zones rurales seraient particulièrement pénalisés par la mesure, citant déjà des données de l’IFOP.

Rappelons que la multinationale américaine avait saisi le Conseil d’État en juin 2023 pour « excès de pouvoir », mais l’institution n’a toujours pas donné son avis sur le sujet, se contentant de saisir la Cour de justice de l’Union européenne. Amazon s’est également appuyé sur l’avis circonstancié de la Commission européenne, qui remonte à février 2023 : elle a dénoncé une dérogation injustifiée à la législation applicable, l’absence de démonstration de l’adéquation et de la proportionnalité de la mesure proposée, ainsi que le fait qu’aucune des options alternatives ont été évaluées…

Opportunité, prochaine bataille

Alors que se profile une éventuelle taxe sur les ventes de livres d’occasion, suggérée par Emmanuel Macron en avril dernier afin de soutenir la filière du livre, Amazon et l’IFOP anticipent avec une série de questions sur le sujet – Amazon propose sur sa plateforme de livres d’occasion , via sa place de marché et des vendeurs tiers.

On découvre ainsi, sans trop de surprise, que 92 % des acheteurs de livres d’occasion les privilégient pour «économiser de l’argent», mais aussi pour acheter plus de livres et ainsi lire davantage. Entre neuf et occasion, 81 % des sondés choisissent la seconde, et 80 % assurent que l’occasion les intéresse aussi pour ses vertus écologiques.

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74% recherchent d’abord un titre d’occasion avant d’éventuellement l’acheter neuf. 71 % ont recours au réseau physique (librairie, vide-greniers, bouquinistes…), contre 55 % qui se tournent majoritairement vers internet.

Là aussi, l’idée d’une taxe est plutôt mal accueillie, puisque 33% des sondés se disent favorables, contre 67% qui y sont opposés. Dans le détail, si cette mesure était mise en œuvre, les bibliothèques, les médiathèques et les proches deviendraient de plus grands fournisseurs de livres, pour 68% des personnes interrogées. 49% assurent que leurs achats de livres d’occasion diminueraient en conséquence, tout comme leur pratique de lecture.

Photographie : illustration, Province de la Colombie-Britannique, CC BY-NC-ND 2.0

 
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