« André Chaix a touché quelque chose de profondément intime en moi »

« André Chaix a touché quelque chose de profondément intime en moi »
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Pendant des mois, il n’y prêta aucune attention. Pourtant, il était là, devant lui, ce nom gravé dans la pierre de la façade de sa maison de La Paillette, dans la Drôme. Ce n’est que lors du premier confinement qu’Hervé Le Tellier s’est rendu compte que cet André Chaix était un jeune homme né en 1924, décédé en 1944, dont le nom figure également sur le monument aux morts de la commune.

L’auteur est alors en train de relire « L’Anomalie », mais garde au fond de lui l’idée que « peut-être devrions-nous nous intéresser à ce Chaix ». En novembre 2020, le ciel lui est tombé sur la tête en recevant le Goncourt. Et voit les ventes de son roman s’envoler. Aujourd’hui, « L’Anomalie » est le Goncourt le plus vendu, avec 1,7 million d’exemplaires écoulés.

Que le lecteur soit immédiatement prévenu : Hervé Le Tellier ne donnera jamais de suite à son improbable succès. De livre en livre, l’auteur de 66 ans cherche toujours à inventer des formes et des histoires, changeant de thèmes et de chemises. C’est ainsi qu’il y a un peu plus d’un an, il a recommencé à enquêter sur ce fameux « nom sur le mur ». « Je n’ai pas eu à mener une longue enquête, sourit l’intéressé, j’ai contacté une association qui m’a remis une petite boîte sur laquelle il y avait juste une étiquette mal scotchée indiquant « André ». » Sous les yeux du romancier, André Chaix prend vie. A travers des photos sépia ou noir et blanc, il découvre un jeune adulte follement amoureux de Simone – une information qu’il obtient en lisant les rares lettres qui ont traversé les décennies.

J’avais tout le matériel nécessaire. Il ne me restait plus qu’à le mettre en ordre.

Hervé Le Tellier

André Chaix est donc né à La Paillette en 1924, ses parents tenaient la boulangerie du village, qui existe toujours, et s’intéressent en grandissant à la céramique. Trop jeune pour être enrôlé en 1939, il rejoint le maquis en 1942 et meurt lors de la fuite des Allemands le 22 août 1944, à quelques kilomètres de son village. Son frère et ses parents lui survivent, mais le décès de sa mère en 1993 clôt le chapitre de la famille Chaix.

Dans ses recherches, Hervé Le Tellier a appris que Marcel, le frère cadet, n’avait pas eu d’enfants, il n’avait trouvé ni oncles ni tantes, mais avait pu rencontrer la fille de Simone. Toute sa vie, le seul et unique amour d’André a gardé les lettres et les photos de son premier amant. Et, même si elle a construit sa vie sans lui – elle aussi avait 20 ans lorsqu’il a été tué –, elle aura gardé avec elle les souvenirs de cet amour brisé. « En trois jours, j’avais tous ces éléments sous les yeux, poursuit l’écrivain. J’avais tout le matériel nécessaire. Il ne me restait plus qu’à le mettre en ordre. »

Le reste après cette annonce

Quand on évoque la mort d’un jeune résistant à 20 ans, il est très difficile de ne pas évoquer la question du fascisme.

Hervé Le Tellier

« The Name on the Wall » est tout sauf un simple hommage à un inconnu. En 176 pages, Hervé Le Tellier en profite pour dresser un inventaire glaçant de notre société, faisant des parallèles avec la montée du nazisme, son arrivée au pouvoir et les crimes commis à notre époque contemporaine. Très à gauche, Le Tellier n’oublie pas de rappeler que les fondateurs du Front national français sont ceux qui ont combattu en aux côtés des Waffen-SS. «Quand on évoque la mort d’un jeune résistant à 20 ans, il est très difficile de ne pas évoquer la question du fascisme. Je n’ai pas conçu ce livre comme un livre politique. Mais en réalité, il ne pouvait ignorer la question de l’engagement. »

Par digressions, Le Tellier s’empare d’éléments de la courte vie d’André Chaix pour mieux les contextualiser, pour dire à ses lecteurs que « les idées fascistes n’ont pas disparu », pour rappeler que certains se sont battus il y a quatre ans – vingt ans pour des idéaux et pour la liberté. «Je ne sais pas pourquoi André Chaix est entré dans la Résistance», note Hervé Le Tellier. Il n’a pas dû connaître l’atrocité des camps de concentration en 1942. Mais j’imagine qu’il avait une vision de la France, libertaire ou communiste, peu importe. »

J’ai commencé à écrire, et chaque fois qu’une question surgissait, je ne la cachais pas sous le tapis

Hervé Le Tellier

Sous des airs biographiques, Le Tellier propose un récit qui montre aussi ses convictions. « Ma colère et ma rage face aux atrocités commises par les nazis ne se sont jamais calmées. Je suis farouchement contre la haine des autres. Il est inacceptable de considérer qu’il existe des races et des êtres inférieurs. » Au passage, Le Tellier s’amuse à renvoyer de Gaulle à son militarisme primaire, lui qui qualifiait la Résistance de « mascarade » de sa désorganisation.

« Certes, les maquisards n’avaient pas la rigueur de l’armée française. Au final, 400 000 hommes participèrent à la Libération en 1944. » Le Tellier rejette l’idée d’une littérature de combat, lui qui, en tant que président de l’Oulipo, aime la littérature de contrainte. « Mais, pour ce livre, je n’ai pas utilisé de contrainte. J’ai commencé à écrire, et chaque fois qu’une question surgissait, je ne la balayais pas sous le tapis. »

Je pense que c’est bien de prendre la vie de manière ironique en général.

Hervé Le Tellier

Il existe également un autre livre dans « The Name on the Wall », beaucoup plus intimiste. Au fil des pages, Hervé Le Tellier – qui a déjà raconté son enfance entre un père absent et une mère compliquée – dresse un autoportrait étonnant : celui d’un homme qui continue à chercher un père et des racines. Celui qui, en quête d’un logement, a confié aux agents immobiliers qu’il souhaitait acquérir « une maison natale ». « Je ne voulais pas d’un lieu de vacances, mais d’un endroit où je pourrais inventer ma propre histoire, sachant qu’elle était fictive et ironique. Mais je pense que c’est bien de prendre la vie, en général, ironiquement. »

L’écrivain se confronte également au deuil d’une femme aimée depuis longtemps, Piette, déjà apparue dans deux de ses précédents romans, s’est suicidée à l’âge de… 20 ans. « En travaillant sur le deuil de Simone, je me suis rendu compte que, très jeune, elle avait eu un homme avec qui elle avait pu imaginer une vie possible. Cela faisait évidemment écho à ce que j’avais vécu avec Piette. Si je me suis intéressé à André Chaix, c’est parce qu’il a touché quelque chose de profondément intime en moi. » Piette ne fera cependant pas l’objet d’un livre. Hervé Le Tellier est bien trop modeste pour faire face à une histoire trop évidente.

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« Le nom au mur » d’Hervé Le Tellier, éd. Gallimard, 176 pages, 19,80 euros.

©DR

 
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