Laurent Gaudé, « Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé » (Actes Sud)

Laurent Gaudé, « Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé » (Actes Sud)
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Un enterrement sur papier. Presque neuf ans déjà. Et la vie a repris son cours, et d’autres attentats, d’autres drames ont fait la Une des télévisions, les gros titres des journaux, déferlé sur les réseaux sociaux. Mais qu’est-il arrivé aux survivants des attentats terroristes du vendredi 13 novembre 2015 à Paris ? Ce soir où des fanatiques islamistes ont massacré au hasard les clients aux terrasses des bistrots et restaurants du quartier de la République, et décimé la foule assistant à un concert de rock au Bataclan. La musique, cette fois, ne pouvait rien adoucir. Et comment vivre après ça ?

Un écrivain, Laurent Gaudé, a voulu revenir sur les lieux du crime, comme on dit dans la police. Mais justement pas en tant qu’enquêteur, ni en tant que journaliste. Pas de nom de lieu, juste quelques prénoms : Quentin le pompier de 20 ans, Karim le jeune policier en patrouille avec son commissaire, Mathieu le rescapé qui réconforte Julie, en pleine rue, et la voit mourir dans son bras. “C’était la rencontre la plus importante de ma vie”, il a dit. Les autres resteront anonymes, comme ces jumeaux réunis pour fêter l’anniversaire du plus jeune de quelques minutes, et tués ensemble, ou cette mère qui, au-delà de la mort, s’excuse auprès de sa fille Lila et de son mari Gabriel de les avoir abandonnés. Nous devrons apprendre à vivre sans.

Et puis il y a aussi tous ces gens qui, à leur place, vont jouer un rôle dans le drame : les policiers, bientôt relayés par les commandos, exécutant les terroristes pour libérer les personnes prises en otage au premier étage du Bataclan, les médecin travailleur aguerri qui les accompagne et doit trier parmi les blessés ceux qui sont récupérables ou non (1, 2, ou 3, écrit au marqueur sur leur front), les infirmières épuisées rappelées en urgence absolue et qui ne ménageront pas leurs forces , ou encore, au final, le sinistré, celui qui devra nettoyer la foutue salle, tout rénover.

Terrasses n’est pas un livre facile à lire, même si son écriture est parfaitement claire et sobre. Cela n’a pas dû être facile non plus à écrire. Mais Laurent Gaudé a pris le temps, et le projet a dû s’imposer à lui comme une nécessité. Combinant sa pratique de romancier et celle de dramaturge, il compose un texte choral, en dix séquences comme autant de stations d’un calvaire, qui reconstitue chronologiquement les événements, d’avant en après. Les séquences se succèdent à la troisième personne et d’autres à la première, si bien que parfois on ne sait plus vraiment qui parle. Certains personnages rythment le récit, comme ces deux femmes qui dansent ensemble et échangent un long et ultime baiser. D’autres n’apparaissent qu’une seule fois. Laurent Gaudé tisse ses fils avec le savoir-faire d’un artisan aguerri et respectueux. Pas de pathos, une grande dignité, et cette envie de“assumer autant d’humanité que possible”, comme disait Gide. Ce souci, aussi, de témoigner à sa manière. Car s’il est normal que la vie ait repris, l’oubli reste impossible.

Laurent Gaude
Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé
Actes Sud
Tirage : 30 000 exemplaires.
Tarif : 14,50 € ; 144 p.
ISBN : 9782330189143

 
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