Pourquoi nous, libraires, sommes en grève pour les nouveautés

Pourquoi nous, libraires, sommes en grève pour les nouveautés
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À l’heure du changement climatique et de l’épuisement des ressources et de la biodiversité, comment échanger des livres de manière éthique et qualitative ?

Trop souvent, enjeux économiques et enjeux climatiques sont présentés comme contradictoires. Mais est-ce si simple ? Et comment pouvons-nous concrètement aborder la question ?

Ouvrir une librairie indépendante, quelle aventure !

L’écosystème du livre est également confronté au supposé dilemme « croissance contre éthique climatique ». Car si le livre est associé à la culture, à la pensée et à la diffusion des savoirs, il est aussi un produit extrêmement matériel : publié, fabriqué, transporté, vendu, acheté, tantôt revendu, tantôt détruit. Selon le Syndicat national de l’édition en France, 13,2 % des livres envoyés en librairie seront finalement égrené. Et certains exemplaires n’iront même jamais en librairie si les ventes d’un titre ne suffisent pas : ces ouvrages finissent par être détruits, pour ne plus occuper de place dans les entrepôts. Cela porte à 20 % le volume de livres produits puis détruits sans avoir été lus. De nombreuses ressources sont mobilisées pour la production du livre et son transport (de l’imprimerie au distributeur, puis du distributeur au libraire et, pour un cinquième des ouvrages, retour de la librairie au distributeur). L’empreinte carbone des librairies comprend principalement la fabrication des livres et leur transport.

Stopper le flux d’achats quotidiens de nouvelles publications

Le secteur du livre est-il capable de relever le défi de faire des affaires à bras-le-corps sans participer excessivement au gaspillage des ressources (pilon, transport) et à la surenchère de nouvelles publications dont le flux incessant frise le dégoût ? et, souvent, à la reproduction de la même chose à l’infini ? Est-ce qu’il le veut ? Et comment continuer à stimuler la création, se laisser surprendre, laisser de la place à de nouvelles voix, tout en continuant à faire revivre des livres plus anciens qui méritent encore d’être lus ? Et comment assurer la viabilité des différents maillons de la chaîne du livre sans la pression liée à l’obligation de rémunérer également les investisseurs dont le seul enjeu est le profit ?

L’Association pour l’écologie du livre, créée en 2019, rassemble des acteurs et actrices de différents métiers du livre de la francophonie et se concentre sur ces questions. Début 2024, elle a proposé à ses libraires adhérents de réaliser une « trêve des nouveautés ». Il s’agit d’arrêter le flux des achats quotidiens de nouveautés dans le but de dénoncer la surproduction et le gaspillage des ressources, mais aussi de repenser la qualité de notre service et le sens de notre métier : pour les libraires que nous sommes, le rythme des nouveautés produits fabriqués est telle qu’elle affecte la possibilité de faire notre travail de sélection en profondeur. Chaque jour, une centaine d’ouvrages (tous secteurs confondus) sont publiés. Comment les prendre en compte avec toute l’attention qu’elles méritent ? Et tous ces travaux sont-ils indispensables ? Est-il vraiment nécessaire chaque année de redessiner la couverture d’un guide de voyage pour faire apparaître un millésime sur la couverture alors que le contenu du livre reste inchangé ? Est-il pertinent de publier un dix-huitième ouvrage sur l’hypersensibilité alors que dix-sept autres éditeurs ont déjà publié des ouvrages de qualité sur le sujet ? Quelle place accorder à chaque livre pour promouvoir une véritable bibliodiversité ?

Privilégier l’accueil, le conseil, la diversité

La garantie de tout avoir immédiatement, dès sa publication, est-elle une garantie de service de qualité ? Ou avons-nous, libraires, la vocation de sélectionner les livres et de privilégier l’accueil, le conseil, la lecture avec le plus de diversité possible, le temps pris avec chaque client, la résistance face au poids des stratégies marketing des plus grands éditeurs ?

Librel, la plateforme qui compte contrer Amazon

Faut-il avoir beaucoup de livres dans une librairie, quitte à les rendre à un moment donné ? Dans quels délais commander ? Faut-il augmenter les livraisons et les cartons d’emballage ? Où pouvons-nous regrouper nos commandes ? Est-il possible pour les lecteurs d’attendre quelques jours plutôt que quelques heures pour acquérir un livre ? Avec le risque de voir nos clients se diriger vers la vente en ligne si nous ne sommes pas assez rapides ?

Ralentir

Nous – quelques libraires belges indépendants qui participent à ce ralentissement – ​​pensons qu’expérimenter d’autres façons de faire et avoir l’audace de défier le flux incessant permettra de challenger le secteur et de faire avancer le débat sur l’écologie du livre. Durant ce printemps, nous essayons de réduire, voire de suspendre le flux des nouveautés qui arrivent dans nos librairies et de mettre l’accent sur le « moins mais mieux ». Nous commandons moins de nouveautés pour donner plus de place et d’attention aux livres déjà présents dans nos librairies. Nous en profitons pour mettre en avant des collections plus anciennes qui le méritent. Nous discutons avec nos clients, nos confrères et représentants de maisons d’édition pour réfléchir aux livres que nous souhaitons mettre en avant dans notre librairie, aux thématiques à développer dans nos rayons, et au type de business à co-construire.

La librairie indépendante en fête et solidaire

Cette démarche suscite des réactions aussi diverses que riches dans le monde du livre. Fatalistes : «Cela ne sert à rien, les grands éditeurs ne réduiront pas leur production”. Condescendant : «Nous avons toujours fait comme ça, et ça marche, pourquoi changer ?. Instructif : «Voici la politique écologique de notre maison d’édition”. Constructif : «Vous avez tout à fait raison, il faut que les choses changent !. Étourdi: “Mais nous sommes des vendeurs ! Il faut vendre à tout prix. Nous sommes une industrie, nous ne pouvons pas arrêter le flux”. Enthousiaste: “Mais oui, réfléchissons à comment faire mieux, parlons-en ensemble”.

Nous y voyons une fantastique opportunité d’être plus créatifs dans nos façons de faire des affaires, mais aussi de prendre le temps plus que jamais de considérer chaque livre non pas comme une marchandise, mais comme un objet précieux, unique, riche contenant un univers sur son propre. Comme ce qu’il est en somme : le berceau d’histoires vivantes.

 
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