pourquoi plusieurs pays ont suspendu l’examen des demandes d’asile depuis la chute de Bachar al-Assad

pourquoi plusieurs pays ont suspendu l’examen des demandes d’asile depuis la chute de Bachar al-Assad
pourquoi plusieurs pays ont suspendu l’examen des demandes d’asile depuis la chute de Bachar al-Assad

Suite à la chute de Bachar al-Assad en Syrie, plusieurs États européens ont annoncé, lundi 9 décembre, la suspension de l’examen des demandes d’asile syriennes en cours dans leur pays. En Allemagne, pays qui compte plus de 700 000 réfugiés et demandeurs d’asile syriens, “un gel des décisions” sur les revendications actuelles a été décrété au vu de “l’incertitude actuelle” en Syrie, a expliqué la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser.

« Nous travaillons à la suspension des demandes d’asile en cours en provenance de Syrie, sur le même modèle que l’Allemagne »» a déclaré à son tour le ministère français de l’Intérieur. Le Royaume-Uni a suivi, tout comme le Danemark, la Norvège et l’Autriche. Des annonces fondées sur la grande volatilité de la situation syrienne, au moment où la coalition rebelle façonne les prémices de la transition à Damas. Ces positions, si rapidement après la fin de l’ère Assad, illustrent « une obsession de la migration en Europe »souligne Camille Le Coz, directrice associée du Migration Policy Institute Europe.

Dans l’ensemble de l’Union européenne, quelque 100 000 demandes syriennes de protection internationale sont en cours d’examen, selon l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (EUAA). L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), en charge des demandes d’asile, a reçu 2 500 demandes syriennes depuis janvier – dont 700 dossiers “toujours en cours de traitement”. “Il ne s’agit pas de dire que nous n’allons pas prendre de décision” a déclaré mardi son directeur, Julien Boucher, sur Franceinfo.

« Il faut prendre un peu de recul pour apprécier les conséquences de ce changement en Syrie, et ne pas prendre de décisions hâtives sur les demandes qui sont actuellement examinées. »

Julien Boucher, director of Ofpra

sur franceinfo

La chute du régime dimanche à Damas a redonné un souffle d’espoir à une population meurtrie par cinq décennies de dictature et 13 ans de guerre. La coalition rebelle, dirigée par le groupe islamiste Tahrir al-Sham (HTS), a nommé un Premier ministre de transition et promet « un Etat de droit ». La Syrie sera-t-elle bientôt libre et en paix ? L’incertitude règne dans un pays divisé où HTS procédait jusqu’à récemment à des exécutions, « arrestations arbitraires et détention illégale de civils », selon l’agence européenne pour l’asile (PDF disponible).

Face à de tels bouleversements, suspendre pour un - l’étude des demandes d’asile est une pratique assez courante, selon les experts interrogés par franceinfo. Marie-Laure Basilien-Gainche, professeur de droit à l’université Jean-Moulin Lyon 3, évoque un principe « légalement fondée ». Il est également mentionné dans une directive du Parlement européen et du Conseil de l’UE (PDF disponible) datant de 2013.

« Les autorités de protection [comme l’Ofpra] avoir la possibilité de suspendre l’examen, aussi longtemps que les conditions sont suffisamment instables pour rendre une décision impossible en l’état.

Marie-Laure Basilien-Gainche, spécialiste du droit des migrations et de l’UE

sur franceinfo

Une décision commune, mais qui pose question. « Les Syriens dont les demandes d’asile qui n’ont pas été traitées ou qui ont été suspendues ne doivent pas être laissées indéfiniment dans l’incertitude. s’est empressé de rappeler le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Michael O’Flaherty. Tant que cette situation persiste, ils doivent avoir accès à des conditions d’accueil adéquates et à des documents attestant de leur statut de demandeurs d’asile. En principe, “rien ne devrait changer” les droits des exilés concernés, souligne Camille Le Coz. La suspension sera cependant « prolonger leur incertitude, ce qui est une période très difficile. »

D’autant plus que “le le temporaire peut être très, très long », ajoute Marie-Laure Basilien-Gainche, ce qui peut poser des problèmes en termes de logement. En , les réfugiés peuvent être hébergés dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), en fonction de plusieurs critères et des places disponibles. Un droit valable jusqu’à la fin de l’examen de leur demande. « Si les Syriens attendent des mois, voire des années, d’autres ne seront pas hébergés. » prévient le spécialiste. A l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), Philippe Leclerc, directeur du bureau régional en Europe, voit dans les annonces de ces derniers jours “une décision normale, à condition qu’elle soit temporaire et n’entraîne pas l’impossibilité, pour tout Syrien, de demander l’asile. dans ces États membres.

Mais très vite, certains pays sont allés plus loin. Lancement d’un « programme de retour et d’expulsion »réexamen des statuts de réfugiés, suspension du regroupement familial… En Autriche, le ministre de l’Intérieur, le conservateur Gerhard Karner, a multiplié les annonces pour s’adapter la situation politique » en Syrie, rapporte le quotidien viennois La presse. De son côté, l’extrême droite suédoise a évoqué la “révocation” permis de séjour pour les réfugiés syriens. « Les gouvernements ont voulu envoyer un message, montrer qu’ils ne sont pas prêts à accueillir de nouveaux réfugiés syriens »analyzes Camille Le Coz.

Cette révision des politiques d’accueil à l’égard des Syriens n’est pas nouvelle. «C’est déjà le cas depuis plusieurs mois. Une dizaine d’États membres ont fait pression pour que les zones syriennes soient considérées comme sûres et pour le retour des réfugiés. » note Matthieu Tardis, chercheur et co-directeur de Synergies migrations. Dès le début de l’année, la présidente d’extrême droite du Conseil italien, Giorgia Meloni, a encouragé le dialogue avec le régime de Bachar al-Assad, selon Euronews.. En juillet, l’Autriche, la Grèce et la République tchèque ont signé un lettre communedemander à l’UE de «revoir votre stratégie » faciliter les retours volontaires en Syrie. Le Danemark a également été le premier pays de l’UE, en 2020, à réévaluer le statut de certains réfugiés, croyant que « la situation actuelle à Damas n’est plus de nature à justifier un permis de séjour ou sa prolongation ».

Autant de discours liés à la montée de l’extrême droite et de discours xénophobes en Europe. En Autriche, le parti FPÖ a remporté les dernières élections législatives et de nouvelles élections générales sont prévues le 23 février en Allemagne. A l’approche des élections, les conservateurs ont appelé au retour des réfugiés dans leur pays, à l’instar du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD). «Les politiques pensent qu’ils obtiendront plus de voix s’ils tiennent un discours qui se veut strict. Un discours qui ne prend pas en compte les réalités syriennes d’aujourd’huiregrets Philippe Leclerc.

« J’ai l’impression que cette poussée de l’extrême droite est la clé. Ils sont dans les coalitions gouvernementales, au Parlement… Leurs idées débordent au-delà de l’extrême droite. (…) Tout est désormais vu à travers le prisme de cette question migratoire.»

Matthieu Tardis, spécialiste des migrations

sur franceinfo

Pour Philippe Leclerc, affirmer que les retours en Syrie sont possibles est « absolument prématuré ». Toute cessation du statut de réfugié n’est possible qu’après des changements « fondamentaux » dans le pays d’origine, stipule la convention relative au statut des réfugiés. « Il faut de la stabilité, de la durabilité du changement [dans le pays d’origine] pour un rapatriement libre et volontaire, et dans des conditions de sécurité et de dignité », rappelle le directeur du bureau du HCR en Europe. « Cinq décennies de violence et de répression ne peuvent être effacées du jour au lendemain »a dénoncé Eve Geddie, directrice du bureau d’Amnesty International pour les institutions européennes.

Libérés du régime d’Assad, les Syriens exilés en Turquie et au Liban sont pourtant déjà rentrés. Le pays est-il prêt à les accueillir ? Actuellement, plus de 16 millions de Syriens ont besoin d’une aide humanitaire, selon l’LUI. La pauvreté touchait 69% de la population en 2022, selon le Banque mondiale. Philippe Leclerc, quant à lui, évoque un pays en “un état de délabrement”, et services fondamentaux « dans un état pitoyable ». « Si nous voulons faciliter ce retour durable des réfugiés, nous devrons aider la Syrie à se relever, dans tous les domaines. »

Matthieu Tardis réclame également “sur quoi s’appuyer” sur les diasporas syriennes en Europe, « contribuer à la reconstruction et à l’avenir de la Syrie ». Pour le chercheur, les discours de certains politiques sur les exilés syriens, depuis dimanche, “est inapproprié”. « C’est un message envoyé aux Européens, pas aux Syriens en Europe. Le message selon lequel l’immigration est une mauvaise chose. il dénonce.

 
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