Dans le cahier du rédacteur adjoint

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La profession, les médias, la rédaction La presseEt toi.


Publié à 1h32

Mis à jour à 5h00

Emmanuel Macron pensait l’avoir enterré, et pourtant le clivage gauche-droite est bien vivant en France. La situation est encore plus polarisée et plus extrême qu’elle ne l’a été depuis longtemps.

Pour preuve, les élections européennes qui ont confirmé l’importance que prennent aujourd’hui les partis situés à droite de la droite.

A une autre époque, on parlait des partis marginaux, en évoquant la nécessité de les contenir derrière un « cordon sanitaire », tant ils étaient sulfureux.

Mais voilà, le Rassemblement National (Marine Le Pen) et le parti de la Reconquête ! (Éric Zemmour) a récolté près de 40 % des voix aux élections européennes.

Les sondages sur les prochaines élections législatives en France montrent qu’il ne s’agit ni d’un coup de chance ni d’un accident, prédisant un score similaire pour ces deux partis.

Et la présidence du G7 en Italie ces derniers jours, assumée par une première ministre classée du côté de la droite radicale, Giorgia Meloni, confirme que nous n’avons plus affaire à des partis marginaux.

En tant que médias, cela doit nous obliger à réfléchir : comment devrions-nous qualifier ces partis ? En les qualifiant d’« extrême droite » ? Ou bien portons-nous ainsi un jugement de valeur sur ces groupes politiques ?

Preuve que le sujet mérite attention : l’utilisation de l’expression « extrême droite » dans les médias français suit des clivages idéologiques.

Le Figaro il ne l’utilise que lorsqu’il le faut, et encore une fois, il le fait entre guillemets. Même chose pour Christian Rioux chez Devoir et Mathieu Bock-Côté à Journal de Montréal (ce qui n’empêche pas tous ces braves gens d’utiliser « l’extrême gauche » pour taxer ceux qu’ils critiquent, mais bon…).

Le journaliste de Indiquer Charles Sapin ne l’utilise pas dans son excellent livre Récoltes de colère : dynamiques nationalistes en Europe (publié le 10 juillet, à lire absolument).

Alors que Le nouvel Obs n’hésitez pas à l’utiliser, et ça Libérer couvre ses textes d’expression, une manière de montrer le mépris qu’il éprouve pour cette frange politique.

Bref, il n’y a pas de consensus sur l’expression. Alors que faire?

La question est d’autant plus intéressante qu’on ne peut pas simplement utiliser la définition d’un dictionnaire, ou celle des experts. Là encore, ça part dans tous les sens.

L’extrême droite peut être utilisée comme une insulte, comme synonyme de fascisme, ou pour désigner celui qui aurait le moindre doute sur les seuils d’immigration.

Il existe également 50 nuances de droite, même à l’extrême : le parti de Marine Le Pen a une tendance national-populiste, tandis que celui de Giorgia Meloni est plus proche du national-conservatisme, par exemple.

Il faut donc tenter une définition la plus unificatrice, la plus neutre possible, sans aucun jugement.

Que recouvre l’expression « extrême droite » ? A La presse, nous classons les partis à droite du droit traditionnel. Ce sont des partis populistes, dans le sens où ils défendent un peuple opposé à des institutions et des élites qu’ils considèrent comme déconnectées, voire prédatrices. Et ce sont des partis protectionnistes et nationalistes, dans la mesure où ils centrent leur discours sur la nation comme pivot de l’action politique. Ils prennent ainsi la défense d’une communauté nationale qu’ils estiment menacée, tant par une immigration incontrôlée que par des abus criminels.

PHOTO GUGLIELMO MANGIAPANE, ARCHIVES REUTERS

Giorgia Meloni, Première ministre italienne, au sommet du G7 samedi

Autant de cases qui cochent, à des degrés divers, le Rassemblement national en France, le Fratelli d’Italia de Meloni, l’AfD en Allemagne et le Fidesz de Viktor Orbán en Hongrie.

Alors, est-ce mal d’écrire « extrême droite » ?

Non, pas vraiment.

Ce n’est pas parce que l’expression est récupérée qu’elle devient de facto toxique. Et ce n’est certainement pas parce que les commentateurs craignent que l’expression nuise à un camp qu’il faille l’interdire.

Si des étiquettes comme fascisme et nazisme font référence à une période historique douloureuse, en véhiculant des positions totalitaires, militaristes et impérialistes, « l’extrême droite » est un concept plus ancien, qui a traversé l’histoire en désignant des réalités certes différentes en 200 ans, mais néanmoins très réel. De la même manière, la gauche d’aujourd’hui n’est pas celle de 1789, et on a encore recours à l’étiquette.

De manière plus pratique, il n’existe pas de mots au sens plus clair et plus consensuel pour regrouper ces partis à droite de la droite. « Dure droite », « droite radicale », « droite nationaliste » peuvent être utilisées, mais aucune de ces expressions ne peut à elle seule remplacer « l’extrême droite » puisque l’interprétation que l’on en fait peut varier d’une personne à l’autre. l’autre (est-il plus à droite d’être radical ou d’être extrême ?).

Et donc, dire que le Rassemblement National et la Reconquête ! sont d’extrême droite, il s’agit simplement de les classer sur un continuum idéologique avéré. Il ne s’agit pas de les diaboliser, de les juger ou de les pointer du doigt, ce qui reviendrait à mépriser quatre Français sur dix.

Et donc, pour La presse ?

Nous restons à l’écart du « fascisme », du « néo-fascisme » et du « post-fascisme », sauf lorsqu’ils sont utilisés par des interviewés, des agences de presse ou lorsqu’ils s’appliquent à des groupes qui expriment clairement une tendance totalitaire et xénophobe.

Nous évitons également les qualificatifs comme « xénophobe » ou « raciste », qui servent à juger plutôt qu’à décrire. On ne les utilisera donc que dans des textes d’opinion, ou pour qualifier des groupes ou des personnes qui expriment la supériorité d’une race ou la haine assumée des étrangers.

Mais nous utilisons bel et bien l’extrême droite dans nos textes, comme les agences de presse et les grands médias internationaux (extrème droite).

L’expression rassemble aujourd’hui des groupes qui se situent simplement à droite de la droite, donc à l’extrémité du spectre idéologique. grand publicoù l’on retrouve la majorité de l’électorat.

On peut aussi utiliser « droite radicale » et « droite dure » comme synonymes, puisqu’ils désignent clairement cette droite prônant des positions plus radicales, voire plus dures, que la droite classique sur plusieurs sujets, et de manière tout à fait assumée. Et ce, que ces groupes se revendiquent d’extrême droite ou qu’ils rejettent cette expression pour des raisons politiques et stratégiques.

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