« Il y a eu une complaisance parmi les chercheurs occidentaux à l’égard des Frères musulmans »

La politologue et directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement Sarah Ben Néfissa et l’historien Pierre Vermeren se sont penchés sur l’expérience du pouvoir des Frères musulmans, qui ont gouverné l’Égypte pendant un an, de juin 2012 à juillet 2013, et ont dominé le jeu politique tunisien. de 2011 à 2021. Leur travail Les Frères musulmans à l’épreuve du pouvoir. Égypte, Tunisie (2011-2021) (Odile Jacob, 288 pages, 24,90 euros) rassemble les contributions de plusieurs chercheurs locaux.

Vous écrivez que les Frères musulmans, les salafistes et les jihadistes partagent un objectif commun : l’instauration d’un État islamique…

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Sarah Ben Néfissa, en 2022. FP

Sarah Ben Néfissa : Ces trois mouvements ont la même imagination, mais la manière de la réaliser diffère. En Egypte [avant le soulèvement du 25 janvier 2011], les Frères musulmans ont participé aux élections [en tant que candidats indépendants] Pendant des années. Les salafistes ont participé pour la première fois aux élections législatives fin 2011-début 2012, avant de soutenir le coup d’État militaire de 2013 contre la confrérie au pouvoir.

En Tunisie, quelques mois seulement après sa légalisation, Ennahda [Parti de la renaissance, issu de la mouvance frériste] doit sa victoire aux élections constituantes d’octobre 2011 à la diffusion du salafisme saoudien depuis les années 1990, à travers les chaînes satellitaires, qui constituaient un terreau idéologique favorable. Enfin, il ne faut pas oublier que le père spirituel du djihadisme contemporain, Saïd Qotb, n’est autre que le principal théoricien des Frères musulmans.

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Pierre Vermeren, en 2015.

Pierre Vermeren, en 2015. COMMUNS CRÉATIFS

Pierre Vermeren : Le choix des urnes était un choix tactique plus que stratégique. Le discours et les pratiques au pouvoir [des Frères musulmans] montrent que leur objectif à long terme n’a pas changé. Il s’agit de réislamiser des sociétés « insuffisamment musulmanes » parce qu’elles imitent l’Occident qui sanctifie l’État au détriment de Dieu. Leurs discours publics ne peuvent masquer leurs actions.

SBN : Ils ne se sont pas adaptés au modèle politique de l’État-nation. Ils ont clairement affirmé que la réforme religieuse de l’individu, de la famille et de la société précède celle de l’État. Or, lorsque nous participons aux élections, c’est pour gérer un appareil d’État, pas pour en changer la nature. L’État est pour eux illégitime, car il divise les croyants en dehors des lois religieuses.

Dans un premier temps, les Frères musulmans apparaissaient comme les grands gagnants du « Printemps arabe ». Ont-ils kidnappé la révolution ?

PV : Ils l’ont de facto détourné, puisqu’ils n’en étaient pas les initiateurs. En Égypte, la montée des mouvements de protestation a précédé 2011. Aucun d’entre eux n’a reçu le soutien des Frères musulmans. Au Caire, ce sont les jeunes qui ont lancé la révolution ; les Frères musulmans ont pris le train en marche et ont cherché une alliance avec l’armée avant le départ du président Hosni Moubarak [au pouvoir de 1981 à 2011]. En Tunisie, le soulèvement est parti des syndicats de Gafsa, du sud-ouest et du centre [à Sidi Bouzid], rejoint par toutes les classes sociales. Les Frères profitent de leur image de principales victimes de Zine El-Abidine Ben Ali [au pouvoir de 1987 à 2011] récupérer un mouvement de contestation marqué par le dynamisme de la jeunesse, alors que leur objectif n’était pas de le satisfaire.

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