Traces rouges du 7 octobre

Traces rouges du 7 octobre
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Tel Aviv,

Je reviens du Sud, nous avons traversé un des paysages les plus placides et joyeux que j’ai jamais traversé. Des fleurs sauvages, des touches de couleurs, un printemps timide et explosif, des cultures fruitières alignées, bourgeonnantes, luxuriantes mais bien peignées. Une nature cultivée avec sagesse et respect. À perte de vue, la main de l’homme a sculpté ce paysage apaisant, promesse d’une vie simple et paisible. Des kibboutz disséminés dans ces territoires paisibles, légèrement clôturés, plutôt délimités. Eh bien, plus maintenant, ils sont gardés militairement et on ne peut plus y entrer. C’était pourtant un idéal de civilité.

Comment croire, comment imaginer que depuis six heures vingt-neuf du matin, jusqu’à je ne sais combien d’heures plus tard, la barbarie y a éclaté ? Une cruauté jamais imaginée pour appliquer un plan de mort maximale à travers toute la douleur, la terreur, l’humiliation pensable et impensable ?
Des centaines de victimes torturées sont mortes sous les rires de leurs bourreaux dans ce site magnifique, magnifique comme un déni qui proclamerait : ici, cela ne peut pas arriver. Ici, on célèbre la vie, la paix, l’amitié universelle… ici, la joie !
C’est pourtant là que pendant des heures, nous vous avons mutilé, torturé, assassiné avec minutie…
Chaque visiteur a dû ressentir cela, même cette forêt d’eucalyptus qui entoure le lieu de la fête, le théâtre des crimes les plus horribles, crimes perpétrés en masse à la fin de la nuit lorsque les jeunes dansaient pour la paix.

C’est encore avec des fleurs et des arbres que l’on honore ici ces morts. Impossible de dénoncer l’incroyable qui a été commis sur cette terre, qui a dû rapidement faire disparaître les flots de sang qui l’ont arrosée pendant des heures et des heures le 7 octobre 2023.
Puis une nouvelle forêt d’eucalyptus pousse, chaque arbre portant le nom d’un torturé, elle fera de l’ombre à ces lieux de mort, ombragera le désert. Car ici, rien qu’en respirant, on se sent au seuil du désert ; À mesure que le soleil se lève en ce jour de mars, l’air devient plus chaud, plus sec, plus poétique. On marche parmi eux, leurs photos sont plantées sur des petits bâtons de bois, on marche entre tous ces visages, les otages encore, les déjà morts, les torturés, le tout, entourés de milliers de petites pierres souvent peintes en jaune, couleur universelle des otages.
Un espace déjà fané a été planté de jonquilles, je reconnais les feuilles. Fleurs ? c’est déjà fini, le printemps était précoce cette année, il y avait autant de jonquilles que d’otages dont nous restons sans nouvelles.
Depuis ce jour d’horreur, leurs visages nous sont devenus familiers. En les voyant, ils sont devenus proches de nous… Assassinés, toujours otages, vivants ou… Nous les reconnaissons. Leurs portraits nous accueillent depuis l’aéroport : à Ben Gourion, il faut sortir pour les saluer tous. Ici, le cœur se serre de les revoir sur placeoù cela s’est produit, où cela a commencé, cette atrocité qui ne finit jamais.

Des galets blancs et noirs entourent chaque mausolée photographique, accompagnés de mots d’amour et de désespoir tracés en hébreu… Inutile de lire l’hébreu, le chagrin et l’amour se déchiffrent facilement, dans leur orthographe universelle.

Des chiens sauvages se sont installés sous les arbres à proximité. Ce ne sont clairement plus des chiens errants : depuis cinq mois, ils sont devenus les gardiens des esprits des morts. Une chienne a récemment accouché et nous observe sans gentillesse mais sans menace non plus. Cette meute reste à distance mais nous observe, incitant les vivants qui passent à réfléchir.
J’ai scruté les visages des visiteurs, des passants ou des membres de la famille meurtris et immobilisés. Sans ostentation, sans vouloir se cacher, leurs larmes coulent sur leurs visages alors qu’ils avancent lentement dans ce labyrinthe du malheur.
Impossible de se parler. On avance, on tourne en rond, on identifie les espèces d’arbres nouvellement plantés pour offrir de l’ombre au chagrin et abriter cette terre trempée du sang des torturés, violés, torturés, martyrisés… avec une telle complaisance que les bourreaux se sont filmés pendant ils mendiaient.

Beaucoup d’eucalyptus, sous le violent soleil du désert, qui demain parfumeront l’air pur, et dont l’ombre sera légère et douce pour les années à venir. Non, je crois qu’il faudra des siècles pour apaiser ce mélange sans précédent de chagrin et de colère qui me remplit à des hauteurs sans précédent ; mais qui les partage ici, en Occident ?

“C’étaient des jeunes, des enfants” me murmure ma plus jeune fille, celle qui aurait pu aller à Nova rave ! Des enfants qui ne pensaient qu’à aimer, danser, communier pendant 24 heures de musique et de joie. Leur génération entière en sera marquée. Et nous, qui pleurons comme s’ils étaient nos enfants, notre famille, que devrions-nous dire à leurs parents, à leurs amis ?
Ici en Israël, ce petit pays, tout le monde connaît quelqu’un qui pleure un mort, un otage, une personne torturée… Personne ne s’en remet. Est-il même possible de « s’en remettre » ? Je ne crois pas. Nous devrons vivre avec jusqu’à la fin des temps. De notre époque à nous qui sommes contemporains mais aussi des temps historiques. Ici s’est produit ce qui n’aurait jamais dû arriver, ce qui n’aurait pas pu arriver et qui change notre regard sur le monde. Certainement.
Pour la première fois de ma vie, la beauté des lieux ne me consolait pas mais au contraire accentuait, intensifiait à la fois ma colère et mon chagrin. Je me sentais profané par mon amour pour la nature. Ma foi dans la beauté a été ébranlée. Faire cela ici double le crime. Il augmente encore chaque jour.

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