Rencontre avec Stéphane Degout • Eugène Onéguine au Capitole – .

« Demandons-nous quels démons hantent Onéguine » Stéphane Degout

Thésée superlatif au Capitole lors de l’entrée au répertoire de l’illustre maison toulousaine d’Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau en 2009, bouleversant Wozzeck encore au Capitole en 2021, Stéphane Dégout revient sur la scène du Capitole avec le rôle-titre du chef-d’œuvre de Piotr Ilitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine. Encore un personnage torturé dont nous avons demandé au plus magnifique baryton français de sa génération de nous peindre le portrait.

Rencontre.

Stéphane Degout © Jean-Baptiste Millot

Classictoulouse : Cet Eugène Onéguine aurait dû voir le jour il y a 3 ans mais le Covid en a décidé autrement. Entre-temps, vous avez endossé le rôle à Bruxelles en janvier 2023 dans une production de Laurent Pelly. Mais revenons à l’histoire. Quelle a été votre réaction lorsque Christophe Ghristi vous a proposé ce rôle pour le Capitole ?

Stéphane Degout : Déjà à l’époque où Christophe Ghristi était à l’Opéra de Paris, nous discutions ensemble de mon répertoire. Les rôles de Wozzeck et Onéguine figuraient sur la liste des tâches que je souhaitais aborder dans les années à venir. Dès son arrivée au Capitole, il m’a interrogé sur ces sujets. Christophe Ghristi est quelqu’un de très fidèle aux artistes. C’est un interlocuteur artistique précieux et solide en qui j’ai toute confiance.

Stéphane Degout © Jean Baptiste Millot

Avec Onéguine vous faites vos premiers pas dans le répertoire et la langue russe. Que vous a révélé cette expérience ?

Je devais aller à Eletski en La dame de pique de Tchaïkovski en 2020 à Bruxelles et puis, toujours pour les mêmes raisons, nous n’avons même pas commencé les répétitions. Alors oui, vous avez raison, ce sont mes débuts dans le répertoire russe. Pour répondre plus complètement à votre question, j’ai découvert la langue russe avec Onéguine et surtout la musique de cette langue. Bien sûr, au début, la langue est un obstacle car l’apprentissage du rôle demande un travail phénoménal. Franchissez cette étape d’apprentissage, cette langue procure un confort de chant incroyable. C’est difficile à expliquer mais cet idiome est très à l’intérieur de la bouche et donne une position vocale immédiatement idéale pour chanter. L’écriture est également, il faut le souligner, très simple. Ici, il n’est pas question de bel canto au sens italien du terme avec des vocalises, des trilles et tout ce que cela implique. Les clés de fa sont vraiment dans un ambitus relativement standard, confortable pourrait-on dire. Même si Tchaïkovski a glissé un G dans ma partition au dernier acte !

Comment avez-vous abordé l’étude de ce rôle ?

J’avais la musique en tête car tout au long de ma jeunesse et de mes études j’ai beaucoup écouté cette œuvre. J’ai lu Pouchkine dans deux traductions différentes. Ensuite, j’ai dû me familiariser avec le texte en russe, une étape majeure bien sûr. La production à Bruxelles a été une première étape qui m’a permis de m’approprier ce rôle, ou du moins de commencer à me l’approprier. je dois remercier Nino Pavlenishvili qui, tant à Bruxelles qu’à Toulouse, m’offre un coaching « russe » de très grande qualité.

Des artistes d’époques plus ou moins anciennes vous ont-ils inspiré ?

Oui bien sûr. J’écoute souvent plusieurs enregistrements sans me contenter d’un seul car je ne veux pas de « modèle ». Mais dès que je commence à chanter le rôle, je n’écoute plus personne car j’ai alors besoin d’être libre dans ma tête. Pour en revenir aux enregistrements, j’avoue avoir été impressionné par Youri Mazurok (ndlr : ce baryton a chanté le rôle au Théâtre du Capitole en novembre 1980). La clarté de sa diction est exemplaire et m’a beaucoup aidé.

La passion intempestive d’Onéguine pour Tatiana en fait presque un anti-héros. Que vous dit-il personnellement ?

Le personnage écrit par Pouchkine a 23 ans et cela me plaît beaucoup. J’en ai deux fois plus, mais ce qu’il faut comprendre, c’est que la fameuse crise de la quarantaine, à cette époque, les hommes l’avaient à 20 ans. Dans le romantisme français, il suffit de lire Musset, c’est pareil. Tatiana, Olga et Lenski sont toutes très jeunes. Cela ne les empêche pas d’avoir déjà vécu un voyage sentimental très profond et absolument pas superficiel. La question de l’âge ne se pose pas dans la mise en scène Florent Siaud. Demandons-nous plutôt ce qu’il y a à l’intérieur d’Onéguine, est-il totalement blasé, son âme est-elle sombre, a-t-il raté le coche, est-il victime d’une échelle de temps qui n’est pas la bonne ? pour lui ? Il y a plein de sentiers à explorer, c’est sûr.

Connaissez-vous des personnages complexes comme Hamlet, Pelléas, Wozzeck par exemple ? Onéguine rentre-t-il dans cette galerie de portraits ?

Tout à fait, sauf peut-être que Pelléas est un personnage un peu plus doux que les autres, surtout comparé à Golaud. Cela ne vous surprendra pas si je souligne ici que tous ces rôles qui peuplent en partie mon répertoire sont issus de la littérature. Shakespeare, Maeterlinck, Pouchkine, Büchner ont écrit ces personnages avant que les compositeurs ne s’en emparent.

Wozzeck
Wozzeck au Théâtre du Capitole – Mise en scène Michel Fau -Dimitri Doré (L’Enfant) et Stéphane Degout (Wozzeck)

La partition vous réserve un acte final particulièrement tendu et intensément dramatique, nécessitant, on l’imagine, une excellente gestion de l’énergie.

En effet, dès le premier acte je fais une apparition. Il y a ensuite la réponse orale à la lettre de Tatiana. Dans le deuxième acte, il y a la scène du bal chez les Larina et le duel. Tout se précipite pour moi dans le dernier acte. Onéguine revient de trois ans d’exil mais est toujours poursuivi par ses démons et notamment celui d’avoir tué son meilleur ami. Le duo final avec Tatiana est une véritable explosion de passion et de sentiments. C’est clairement le summum du rôle. Je voudrais dire combien il est important de noter qu’il chante alors sur la même mélodie que celle qui animait la scène de la lettre de Tatiana. Il répète même des mots contenus dans cette lettre, lettre qu’il a dû lire et relire. Du côté de Tchaïkovski, le procédé est brillant. Personnellement, je pense qu’Onéguine s’est abstenu de répondre favorablement à cette lettre car, après avoir hérité du copieux héritage de son oncle, il s’est volontairement isolé en s’éloignant de la vie superficielle de Saint-Pétersbourg. Il n’est pas interdit de penser qu’il a vécu auparavant des aventures sentimentales malheureuses qui lui ont fermé la porte à une nouvelle rencontre. Dans ce troisième acte, tout cela lui explose au visage et il est obligé de céder.

Stéphane Degout © Jean-Baptiste Millot 3
Stéphane Degout © Jean-Baptiste Millot

Avez-vous des rôles à venir ?

Ce n’est pas tout à fait un vrai jeu de rôle même si je l’aborde comme tel, c’est Wolfram de Tannhäuser dans un an. Amfortas dans Parsifal viendra d’ici trois ans. Il y aura aussi des œuvres françaises du premier tiers du XXe siècle, rarement données mais littéralement somptueuses, avec des personnages fascinants issus également de la littérature.

Wolfram, Amfortas…

Oui, j’ai accepté ces rôles car leur écriture s’apparente à celle d’une chanson. Le trait est magnifique et surtout moins brutal que dans certaines autres partitions wagnériennes de ma gamme, comme Telramund et le Hollandais.

Quels sont vos prochains spectacles ?

Des concerts, puis Hamlet à Salzbourg cet été, Wozzeck puis à Lyon. A Londres, je participe à la première mondiale d’un opéra, Fête, tiré du film éponyme de Thomas Vinterberg sorti en 1998. Je chante le rôle de Michael, le frère de Christian. C’est un vrai défi. Je ne fais pas beaucoup de création mais cela m’excite beaucoup. Ce sera pour février 2025. Il s’agit d’un opéra de Mark Anthony Turnage, un compositeur anglais certes exigeant mais qui sait écrire remarquablement pour la voix.

Propos recueillis par Robert Pénavayre
une colonne ClassicToulouse

> Eugène Onéguine, le chef-d’œuvre du romantisme russe

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