Un dépistage organisé de l’infection à cytomégalovirus (CMV) est-il nécessaire pendant la grossesse ? Alors que la question fait débat, leAcadémie de médecine se prononce à nouveau en faveur d’un tel dispositif [1]contrairement au Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP)qui a exclu dans un récent avis[2] tout dépistage précoce systématique de l’infection à CMV en début de grossesse. Là Haute Autorité de Santé a, de son côté, été saisi de la question et devrait rendre un avis fin 2024 [3].
500 nouveau-nés par an développent des séquelles à moyen et long terme
L’infection à cytomégalovirus peut entraîner des conséquences graves chez le nouveau-né lorsqu’elle survient pendant la grossesse (surdité, retard psychomoteur). Ce type de conséquence serait de l’ordre de 1 à 6 pour 100 000 naissances. En France, actuellement, le dépistage systématique de l’infection à CMV pendant la grossesse n’est pas recommandé. Dans un récent rapport du HCSP [3]les raisons évoquées pour cette position sont d’une part l’absence d’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication pour les antiviraux existants, l’absence de consensus dans la stratégie de dépistage et la non démonstration d’un rapport bénéfice risque favorable du dépistage du CMV dans femmes enceintes par rapport aux soins actuels.
Il existe cependant une disposition légale [4] par lequel “l’Etat pourra mettre en place, après avis de la Haute autorité de santé (HAS), un programme de dépistage systématique du CMV chez la femme enceinte”, qui est attendu d’ici fin 2024, indique l’Académie de médecine. Dans ce contexte, elle s’exprime, encore une fois, dans un communiqué [1]en faveur d’un tel filtrage, arguments à l’appui. La première est qu’environ quatre nouveau-nés sur 1 000 en France (soit environ 2 900 par an) sont donc infectés par le CMV au cours de leur vie intra-utérine et, parmi eux, environ 18 % (environ 500 par an) développeront à moyen et long terme après -effets : perte auditive, troubles de l’équilibre, déficit moteur, retard mental, constituant la première cause de déficiences neurosensorielles congénitales dans notre pays, en dehors des anomalies génétiques.
Deuxième argument : le dépistage sérologique maternel précoce permet de diagnostiquer une primo-infection périconceptionnelle à CMV chez des mères auparavant séronégatives – sachant qu’il n’existe pas de vaccin pour prévenir la transmission verticale du CMV ou l’infection congénitale par le CMV.
“En cas de positivité, la recherche du CMV dans le liquide amniotique peut permettre de poser le diagnostic d’infection fœtale et d’initier rapidement un traitement antiviral de la mère pour réduire la charge virale fœtale et éviter les lésions des tissus fœtaux par le CMV”, » explique l’Académie de médecine.
Une recommandation de dépistage systématique uniquement en Italie
Il est vrai qu’aucune molécule antivirale ne dispose d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans l’indication des primo-infections maternelles (PIM) [3]. Néanmoins, les académiciens soulignent que l’antiviral valaciclovir pourrait être utilisé dans le traitement du PIM. A ce stade de l’analyse, l’utilisation de ce médicament dans le traitement du PIM a fait l’objet de 3 essais cliniques (NCT02351102, NCT01651585, NCT05446571).
Parmi eux, l’essai randomisé de Shahar-Nissan publié en 2020 (NCT02351102) conclut que le valaciclovir à la dose de 8 g/jour est efficace pour réduire le taux d’infection fœtale à cytomégalovirus après une primo-infection maternelle acquise en début de grossesse [5].
« Il s’agit du seul essai randomisé identifié à ce jour et publié concernant l’utilisation du valaciclovir dans la prévention de la transmission verticale. Aucun événement indésirable cliniquement significatif n’a été rapporté dans cet essai », précise la HAS. [3].
Depuis décembre 2023, le dépistage systématique de l’infection à CMV chez les femmes enceintes est recommandé en Italie [6] mais il semble que ce soit le seul pays à avoir adopté une telle recommandation. “L’Australie et le Canada proposent un dépistage ciblé tandis que le Royaume-Uni et l’Allemagne ne recommandent pas le dépistage de l’infection à cytomégalovirus pendant la grossesse”, précise la HAS.
Troisièmement, l’Académie de médecine de France considère que la faisabilité d’un tel dépistage est tout à fait réaliste et qu’il « pourrait être organisé, puisque les techniques sérologiques commerciales, disponibles et utilisées en routine, sont standardisées, automatisées et accessibles sur tout le territoire.
« Les réseaux de biologistes et de gynéco-obstétriciens, et les centres de référence du CMV sont en mesure de s’organiser pour élargir et accompagner la mise en œuvre du dépistage du CMV, déjà en partie mis en place dans certaines régions, notamment l’Île de France », insiste-t-elle.
Un problème de santé publique à prendre en compte dans toutes ses dimensions
En résumé, « face au constat d’infections congénitales graves à CMV, facilement évitables grâce à un traitement antiviral efficace et bien toléré par la mère et le fœtus, l’Académie nationale de médecine renouvelle la recommandation » qu’elle avait d’ailleurs déjà exprimée précédemment. [6]à savoir que :
– « ce problème de santé publique est pris en compte dans toutes ses dimensions, y compris éthiques et que, notamment, tous les coûts induits par les handicaps permanents, supportés par les familles et par la société, sont inclus dans l’analyse du rapport bénéfice/risque » de dépistage. (Les académiciens soulignent en effet que dans son dernier avis, le HCSP a omis d’inclure, dans l’analyse des coûts encourus pour la société, la prise en charge tout au long de la vie des enfants handicapés).
– les moyens de dépistage du CMV sont mis en place, dont le dépistage des IgG et IgM anti-CMV au premier trimestre et le suivi des femmes séronégatives, sur la base d’un algorithme décisionnel, comme le recommande la Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français ;
– des études de cohortes et un suivi de l’impact de la mesure soient développés, notamment en s’appuyant sur le système national des données de santé.
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