Rafael Payare n’a pas osé me le dire clairement, préférant faire preuve de diplomatie et de délicatesse. Mais l’étape parisienne de la tournée européenne qu’il mène actuellement avec l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) a représenté un certain stress pour les musiciens. C’est ce que quelqu’un m’a murmuré à l’oreille.
On a beau tout dire, Paris reste Paris. Ce public, qui en a vu d’autres, continue d’imposer son regard critique et impitoyable sur les artistes qui s’aventurent dans ses salles.
Mais vendredi soir dernier, dans une Philharmonie pleine à craquer, l’orchestre québécois a démontré son savoir-faire et a littéralement conquis le public. Le pianiste Daniil Trifonov, après un concert très réussi Concerto pour piano de Schumann, est venu saluer les spectateurs pas moins de sept fois.
Quant à l’OSM et à son leader, ils ont été longuement applaudis, des bravos jaillissant de toutes parts, après la prestation deUne symphonie alpine, par Richard Strauss, qui a habité magistralement la Grande Salle Pierre Boulez de 2 400 places.
A noter que pour cette œuvre, les 104 musiciens de l’OSM ont été rejoints par 16 autres de l’Orchestre de Paris. C’était une sorte de retrouvailles entre « cousins », puisque le groupe français a été accueilli en mars dernier à la Maison symphonique.
Avant Paris, l’OSM s’est rendu à Londres et au Luxembourg. Dimanche soir, il était à Hambourg. Restent désormais Berlin, Amsterdam, Munich et Vienne. Cette tournée européenne fait suite à celle de 2022 et est précédée d’une autre en Corée du Sud. Entre-temps, il y a eu une visite aux États-Unis (Washington et New York).
Ce parcours, qui survient alors que le directeur musical entame sa troisième saison à Montréal, scelle un mariage très réussi entre Payare et l’OSM. Il fallait voir l’ambiance qui régnait vendredi après-midi lors de la répétition d’avant-concert pour comprendre la synergie qui s’est créée entre le chef d’orchestre et ses musiciens.
S’exprimant dans un français étonnamment fluide, le chef d’orchestre s’adresse à tous les musiciens exclusivement dans cette langue qu’il a appris à maîtriser en seulement trois ans. Pouvons-nous lui demander d’aller maintenant donner des cours à Mary Simon, gouverneure générale du Canada?
Lors d’un repas que j’ai eu le plaisir de partager avec lui, nous avons d’abord parlé des bienfaits des tournées dans la relation entre un chef d’orchestre et ses musiciens. «C’est très important», m’a-t-il dit. Nous nous trouvons dans une situation où nous ne pouvons pas contrôler beaucoup de choses. Transports, retards, changements… Nous vivons tout cela ensemble et cela resserre nos liens. Il y a aussi la fierté d’être ambassadeur de Montréal et du Québec. Je remarque qu’après une tournée, le niveau artistique monte d’un cran. »
En plus de proposer l’œuvre de Strauss, l’OSM présente dans certaines villes (Hambourg, Berlin, Amsterdam, etc.) Symphonie fantastique par Berlioz. De son côté, Daniil Trifonov alterne entre l’œuvre de Schumann et celle du Concerto pour piano no 1 par Beethoven. La composition d’un programme, quand on part à l’étranger, est un sujet très passionnant. N’y a-t-il pas un côté « on va leur mettre la pagaille » ?
Rafael Payare n’évite pas le sujet. « Oui, tout de même ! Cela dit, il faut aussi faire ces choix en fonction des salles que vous visitez et du son de l’orchestre. Mais en fin de compte, il faut montrer ce que l’orchestre est capable de faire. »
C’était la troisième fois que je rencontrais Rafael Payare. J’ai retrouvé la même chaleur, la même sincérité, la même simplicité. Même si, lors de notre rencontre, les directeurs des plus grandes salles de concert d’Europe sont venus le saluer, le directeur musical de l’OSM reste le type ultra sympathique qu’il a toujours été.
Ce qui a peut-être changé, c’est sans doute une plus grande aisance, celle qui émane de sa relation avec l’OSM. Cet orchestre lui appartient désormais, cela ne fait aucun doute.
Je pense que je suis resté le même. C’est toujours le même rêve. L’alchimie a été immédiate avec l’orchestre, mais maintenant, je sens qu’on est vraiment amoureux. Nous travaillons beaucoup. Et cela donne d’excellents résultats.
Rafael Payare, directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Montréal
Je ne pouvais pas quitter ce sujet sans aborder la question des barrières qui continuent d’exister entre la musique classique et les non-initiés. Qu’est-ce qui empêche aujourd’hui des gens qui n’ont jamais mis les pieds dans une salle de concert d’y venir ? Il ne faut pas compter sur Rafael Payare pour intellectualiser la chose.
« L’expérience musicale repose sur une chose : est-ce que ça vous plaît ou pas ? La musique est capable de manipulation, c’est-à-dire qu’elle rejoint le monde des sentiments. Si vous vous sentez triste, vous serez plus touché par une mélodie que par une autre. Bien sûr, il faut faire un effort pour évoluer vers la musique, mais il faut ensuite la laisser faire le reste. »
721 kg de cloches
Sébastien Almon, directeur des opérations artistiques et du développement international à l’OSM, a fort à faire lors de cette tournée européenne. En plus de veiller à mille détails, il doit gérer le transport de deux cartons qui attirent beaucoup l’attention.
Lire « L’OSM a son « stdivarius de cloches » »
En effet, aux fins du Symphonie fantastique chez Berlioz, nous utilisons deux cloches qui totalisent 721 kg (451 pour le G et 270 pour le C). Dans chaque ville où cette œuvre est présentée, il est nécessaire de négocier avec les autorités du lieu afin de les placer dans le foyer.
“Rafael veut un son qui semble venir de loin”, m’a-t-il expliqué. Mais tout le monde n’accepte pas cela. Certains nous demandent de les mettre en coulisses. »
Il faudra ensuite planifier le parcours que le percussionniste Serge Desgagnés empruntera pour se rendre aux cloches. Ce dernier ne dispose que de 2 minutes 30 secondes.
Mais lorsque la demande est acceptée, l’effet est spectaculaire. Cela n’a rien à voir avec les cloches tubulaires que nous utilisons habituellement. « Quand les spectateurs quittent la salle et voient les cloches, ils se rendent compte de l’ampleur du geste. »