Ralentissez | Jouez… lentement | - – .

Ralentissez | Jouez… lentement | - – .
Ralentissez | Jouez… lentement | - – .

J’avais envie d’écrire une chronique sur la vitesse en musique pour souligner la tenue du Grand Prix de Montréal, puis j’ai appris que ce numéro de votre quotidien préféré serait sur le thème « ralentir », alors j’ai levé le pied.


Publié à 1h01

Mis à jour à 8h15

On prend un peu pour acquis que jouer lentement est facile, car en apprenant un instrument de musique, on travaille pendant des années à développer la vitesse, la gymnastique de la virtuosité. Les doigts doivent acquérir la capacité de se déplacer de manière autonome à une vitesse vertigineuse, vitesse à laquelle la caméra ne suit plus tout à fait, créant un halo autour des mains.

Jouer lentement demande aussi des années pour apprendre, mais il n’est pas question ici de gymnastique : c’est le poids de la vie qui fera la différence.

Attention : alerte aux clichés, que je m’empresse de démolir ici.

Lent comme le Pilates

Pas de gymnastique dans la lenteur musicale ? Complètement faux si votre carburant est du souffle ! Jouer lentement, c’est gérer sa respiration, de préférence avec des abdos tueurs. Cela est vrai pour tous les instruments à vent, et bien sûr pour les chanteurs. Dans leur cas on pourrait dire « lent comme le Pilates », cette gymnastique minimaliste qui invite les muscles profonds à tout donner.

J’ai demandé à une amie soprano quelle œuvre incarnait pour elle la difficulté de la lenteur. Elle n’a pas hésité longtemps : « Le Et incarnatus est de la Grande Messe en ut de Mozart : un cauchemar à chanter, mais un rêve pour celui qui l’écoute. »






Lent comme une vieille âme

J’ai parlé du poids de la vie, qui fait la beauté dans la lenteur : un autre cliché. Car il arrive qu’un jeune pianiste polonais, au physique qui rappelle celui du comédien Matthieu Pepper, joue comme s’il avait 72 ans alors qu’il en a 27. Cela s’est produit lors du récent Concours musical international de Montréal.






Si la chanteuse doit travailler de tous ses muscles pour soutenir le son de sa voix, le piano doit nous faire croire que le son dure, même si le marteau du piano n’a fait que frapper la corde, sans la frotter continuellement comme un archet. C’est la pensée du musicien qu’il faut entendre entre les sons : oui, cela semble ésotérique, mais le pianiste doit en réalité rendre l’intention du son audible.

Lent comme une méditation

Parfois, nous devons accepter que le temps s’arrête. Il ne s’agit plus seulement de jouer lentement, on parle de se vider l’esprit car la musique se présente comme une méditation. Un mot souvent associé aux œuvres du compositeur estonien Arvo Pärt, dont j’ai pu jouer la pièce Table Rasa parfois. Le deuxième mouvement, Silencese présente comme une longue méditation, sans le moindre rebondissement dramatique.






On dit que les méditants doivent aller au-delà de l’inconfort du corps. De la même manière, le musicien devra jouer des motifs répétitifs infiniment doux extrêmement lentement pendant plus de 17 minutes ! Pas question d’avoir le nez qui pique ou un début de crampe à la main ; il faut sortir de son corps, tout en restant concentré sur la précision rythmique et la beauté du son. Un défi qui en vaut la peine : cette pièce écrite en 1977 connaît un succès constant depuis que le label ECM l’a fait connaître en 1984.

Lent comme une confiance

Le célèbre Adagietto de la 5e Symphonie par Gustav Mahler, c’est l’antipode émotionnel de Table Rasa. Nous ne faisons pas table rase, au contraire, nous mettons tout sur la table !

La complexité de la vie, des sentiments, des blessures, des éclairs : tout se passe au ralenti, sehr langsam (très lent), pour que le poids de chaque note en dise un peu plus sur la condition humaine.






Chaque auditeur crée son propre scénario à partir de cette musique, mais le cinéma en a produit plusieurs remarquables. Mort à Venise par Visconti, Le goudron par Todd Field, Jours heureux de Chloé Robichaud, Maestro Bradley Cooper : à chaque foisAdagietto est un tournant, une révélation.

Cooper utilise le travail pour passer aux jours moins heureux de l’union entre le chef d’orchestre Leonard Bernstein et son épouse Felicia. On y voit Felicia écouter depuis les coulisses comme elle le faisait souvent, élégante et immobile, enveloppée dans la fumée de sa cigarette mêlée à la silhouette noire, émouvante et sensuelle de son mari dirigeant Mahler.

Le réalisateur-acteur a fait un travail extraordinaire (guidé par Yannick Nézet-Séguin) pour évoquer Leonard Bernstein, qui reste un maître absolu de la lenteur habitée.

 
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