« Il y a eu des suicides mais la Française des jeux ne veut pas en parler »

« Il y a eu des suicides mais la Française des jeux ne veut pas en parler »
« Il y a eu des suicides mais la Française des jeux ne veut pas en parler »

Il y a douze ans, Jocelyne gagnait dix-huit millions au Loto. Elle n’avait rien dépensé, mais avait noté une liste de ses souhaits dans un petit carnet. Puis elle a tout perdu : ses illusions, ses rêves et son mari. Grégoire Delacourt, quant à lui, a remporté le prix avec ce deuxième roman (après L’écrivain familial), vendu à 1,5 million d’exemplaires, traduit en 35 langues, adapté au cinéma et au théâtre.

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Depuis, de la même façon qu’on s’enquiert de la santé d’un ami cher mais quelque peu perdu, ses lecteurs lui demandent souvent des nouvelles de Jocelyne. Il y avait pensé, oui, mais il était passé à autre chose. Vers des romans plus sombres comme Danser au bord du gouffre (Lattès, 2017), Mon père (Grasset, 2019) ou L’enfant réparé (Grasset, 2021). C’est lors de l’écriture de ce dernier texte, à New York, en plein covid, que l’auteur a ressenti l’envie de renouer avec « Jo ». « J’ai vu le monde silencieux. Je me suis dit que si je continuais à écrire des choses comme celles que j’écrivais, j’allais mourir. J’ai dû retrouver la joie”il confie.

Débarrassé de ses fantômes

Pourtant, Grégoire Delacourt en est bien conscient, sa première ébauche est très mauvaise. “C’était de la merde”, dit-il sans détour. “J’ai été attiré par le premier, j’ai essayé de le reproduire. J’ai refait la même chose, mais en pire. ». Il y a un an, enfin libéré de certains fantômes – dont il a subi l’inceste lorsqu’il était enfant –, il y est revenu pour de bon, le cœur léger. Liste 2 mes envies est en bonne voie avec, en son centre, une question : que fera Jocelyne des quinze millions qui lui restent (après que son défunt mari en a brûlé trois) ?

Pour se donner des idées, mais aussi parce qu’elle a besoin de partager son incroyable aventure avec d’autres, notre mercière décide de participer au groupe de soutien Anonymous Winners, une sorte d’AA qui a décroché le jackpot. “Ça n’existe pas, c’est mon invention”, admet l’écrivain. “Mais je suis fasciné par l’idée que des gens qui ont gagné, comme c’est le cas dans mon livre, entre 80 000 et 160 millions d’euros, ne pourront plus jamais parler aux autres de la même manière. Et d’autres ne les verront plus jamais de la même manière.

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De quoi, pour les plus fragiles et les moins armés, perdre la raison. Même la vie. “Il y a eu des suicides mais la Française des jeux ne veut pas en parler », poursuit Grégoire Delacourt. “Je peux comprendre ces gestes extrêmes car du coup ça n’a plus de sens. Tout devient possible. Regardez ce qui se passe quand on a 500 chaînes de télé pour choisir un film le soir… Finalement, on se couche avec une migraine et on n’a rien vu. Il n’y a pas de joie quand on ne désire plus rien.

Beaucoup de choses, mais pas de bonheur

Pour donner vie à Jocelyne et ses compagnons, l’auteur n’a ressenti ni l’envie ni le besoin de rencontrer de vrais gagnants. “Cela ne m’intéresse pas », il a dit. “Je ne suis pas ce genre d’écrivain. Je crois au pouvoir de l’imagination. Lorsque nous écrivons, nous recherchons la vérité, à travers la réalité. Je ne fais pas de documentaire mais j’ai du bon sens ». Et de se remémorer une anecdote de son enfance qu’il a utilisée dans Liste 2 mes envies. « Quand j’étais petite, il y avait dans mon quartier une maison que je trouvais très belle et qui avait un toit de chaume. Mais que peut-on faire avec un toit de chaume à Valenciennes ? Quoi qu’il en soit, j’ai dit à mon père qu’il lui suffisait d’appeler et de dire qu’il voulait l’acheter. C’est quelque chose qui m’est revenu et que j’ai utilisé dans mon livre puisqu’un de mes personnages fait ça. On ne lui vend pas la maison, parce que tout ne s’achète pas

A la fin de son roman, Grégoire Delacourt cite un petit texte anonyme qui dit «L’argent peut acheter beaucoup de choses : une maison mais pas un foyer. Un lit, mais pas de sommeil. Un livre, mais pas un savoir. […] Beaucoup de choses, mais pas de bonheur. Pour l’écrivain, qui le temps d’un livre n’hésite pas à écrire «nous les femmes », tout est dit.

Liste 2 mes envies | Roman | Grégoire Delacourt | Albin Michel, 256 pp., 19,90 €, numérique 14 €

EXTRAIT

« Comme la plupart d’entre vous, je pourrais acheter tout cela, mais je ne veux rien. Je m’en fiche. Je ne veux plus rien. Ce qui était beau, c’était le désir, justement. Il attendait. C’était un rêve. Cet argent m’a privé de tout ça. Dépouillé de ce qui fait la beauté de chaque jour : le désir de quelque chose. Désir. Ces petits pas qu’il faut faire, et qui sont les plus beaux, car les plus incertains.

 
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