« Cachez-vous, il y a les Boches », le massacre des habitants de Saint-Pol-de-Léon en août 1944 devient un film

« Cachez-vous, il y a les Boches », le massacre des habitants de Saint-Pol-de-Léon en août 1944 devient un film
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Les élèves et professeurs du lycée Notre-Dame-du-Kreisker viennent de terminer le tournage de leur film « Été 44 ». Un projet né il y a deux ans qui a réuni plus de 250 participants. Rapport.

En ce dimanche de printemps 2024, les uniformes allemands ne passent pas inaperçus dans les rues de Saint-Pol-de-Léon. Le bruit des bottes sur les pavés non plus, qui propulse cette ville du nord Finistère 80 ans en arrière. Plus précisément ce vendredi 4 août 1944, enseveli depuis sous d’épaisses couches de silence.

Alors que la population célèbre la libération sur la place de la mairie, convaincue que le départ des troupes d’occupation signale l’arrivée imminente des Alliés, la célébration tourne au drame. Au cœur d’un été secoué, un mois plus tôt, par la dénonciation puis l’arrestation d’un groupe local de résistants, les Allemands n’ont guère goûté à cette liesse qui les renvoyait à leur propre débâcle. Ils prennent en otage 25 habitants, dont le maire de Saint-Pol-de-Léon, et les exécutent.

Les résistants, torturés à Morlaix et transférés à la prison de Pontaniou à Brest, ne reviendront jamais.

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Les élèves du lycée Kreisker ont choisi de dépoussiérer le récit de ce massacre, non pas pour raviver les blessures ou déranger les fantômes, mais pour se l’approprier, à leur manière, grâce à une fiction dont ils achèvent le tournage.

Le reportage de Manon Le Charpentier et Carole Collinet-Appéré




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Le reportage de Manon Le Charpentier et Carole Collinet-Appéré


© 3 Bretagne

Le projet est né dans la tête de leur professeur d’histoire-géographie il y a deux ans. Olivier Salaun, qui avait déjà réalisé un court métrage sur le centenaire de la Première Guerre mondiale avec des lycéens, a découvert cet épisode douloureux de l’occupation allemande à Saint-Pol-de-Léon. “C’est une histoire oubliée car le traumatisme est grand, il a dit. C’est resté longtemps tabou. Les gens savaient ce qui s’était passé mais ne voulaient pas en parler. »

Pour construire le scénario de ce film intitulé Été 44, les étudiants partent à la rencontre des habitants qui acceptent de livrer des souvenirs de famille. Ils optent pour une fiction plutôt que pour un documentaire, qui s’ouvre en 1962, lorsque deux inspecteurs mènent l’enquête sur les événements du 4 août 1944. L’histoire raconte celle d’un trio : Francis et Léon, tous deux fils de Le Goff, et Louise . Trois jeunes qui vont être confrontés à l’horreur.

A l’origine, on était sur un film amateur, entre nous et, de fil en aiguille, on faisait venir du monde avec nous.

Olivier Salaun

Professeur d’histoire et de géographie

Le projet prend forme auquel s’associent associations, collectionneurs de véhicules anciens, troupes de théâtre breton, municipalité… Au total : plus de 250 personnes ont participé à ce film, “Cela nous dépasse, murmure le professeur d’histoire. A L’“A l’origine, on était sur quelque chose d’amateur, entre nous et, de fil en aiguille, grâce aussi au travail des étudiants qui ont fait beaucoup de communication en amont, on a emmené du monde avec nous.”

Pour les costumes, et notamment les uniformes de la Wehrmacht, l’école a fait appel à une entreprise orléanaise qui travaille pour le cinéma. Pour le reste, place au système D, sous la houlette de Daphnée Souffrant, une professeure civile de biologie devenue costumière pour les besoins du film. “Si nous voulions être crédibles, il nous fallait de vrais costumes, de vraies voitures d’époque, elle raconte. Nous avons donc lancé un appel à subventions et le ministère des Armées nous a soutenu. Ce qui nous a permis de louer les uniformes. Nous avons également collecté des vêtements dans des friperies.

L’enseignante a plus d’une corde à arc puisqu’elle a également créé la bande originale deÉté 44, qui est interprété par Lorette Quéguiner, ancienne lycéenne, et la chorale de Plouvorn, les Zélés du vocal.

Ce dimanche, alors que se déroulent les dernières scènes du film, l’émotion est palpable sur le plateau. Débuté il y a 6 mois, le tournage s’est déroulé pendant les vacances scolaires et les week-ends. Le clap de fin approche. Entre deux prises, chacun mesure la distance parcourue. Comme Margot, une élève de CP qui parle de ce projet comme “de [son] meilleur souvenir de lycée. Elle est derrière la caméra et surtout dans son élément.

Une fois son baccalauréat obtenu, elle sait que des études de cinéma l’attendent. «Je voulais faire ça depuis le collège. Ce film m’a donné l’opportunité de réaliser un rêve, » confie-t-elle avec un large sourire. C’est mon premier tournage. Et au-delà de tous les aspects techniques, j’ai beaucoup appris. Déjà sur cette histoire que je ne connaissais pas.

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Margot tourne une scène d’Été 44, ce dimanche 28 avril 2024, à Saint-Pol-de-Léon

© Carole Collinet-Appéré /France Télévisions

Mathéo porte l’uniforme allemand. Son personnage s’appelle Hans. Pas facile de se glisser dans la peau d’un militaire qui a tiré sur des habitants. Cet ancien étudiant de terminale, aujourd’hui étudiant à Brest, n’a pas hésité une seconde à venir jouer des figurants. “Une opportunité comme celle-ci ne peut pas être manquée, s’enthousiasme-t-il. J’étais dans le projet l’année dernière. Mais j’ai dû partir pour mes études. Cela m’a trop manqué pour ne plus participer. Ce que j’aime vraiment, c’est partager cette histoire locale oubliée avec tout le monde.

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Lorsqu’un défilé de voitures anciennes passe à proximité du lieu de tournage, tout devient surréaliste. Saint-Pol-de-Léon est résolument entré dans une autre époque. Un officier allemand salue le défilé d’un signe de tête. Les soldats sont assis sur le rebord des fenêtres, se reposent et fument une cigarette. C’est alors Olivier Salaun, réalisateur autodidacte, qui prend les devants. “Tout le monde en place, on va tirer” annonce-t-il.

Sur la place de la mairie, une caisse remplie de fusils (volés à l’occupant) a été déposée. Un membre de la défense passive, incarné par un enseignant, se tient debout au pied des marches de l’Hôtel de Ville. Face aux Allemands qui le tiennent sous la menace d’une arme. L’échange dure quelques minutes. “Coupez, c’est dans la boîte.”

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Le film « Été 44 » réalisé par les élèves du lycée Kreisker de Saint-¨Pol-de-Léon sera présenté le 3 août

© Carole Collinet-Appéré /France Télévisions

Été 44, édité par Olivier Salaun, sera présenté le 3 août 2024 lors d’une cérémonie officielle au théâtre de Saint-Pol-de-Léon. Avant d’être diffusé le lendemain sur grand écran dans le cinéma de la ville.

 
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