Milo Rau est le nouveau directeur du prestigieux festival Wiener Festwochen qui débute en mai. Mais il reste artiste associé au NTGent où il présente sa création : Les enfants de Médée. Après avoir monté Oreste à Mossoul Et Antigone en Amazoniec’est la troisième tragédie grecque (d’Euripide cette fois) qu’il adapte, à sa manière volontairement dérangeante.
Il a choisi de faire jouer la pièce par six enfants âgés de 8 à 14 ans, comme il l’avait fait il y a 8 ans avec son magnifique Cinq pièces faciles où des enfants reconstituaient l’affaire Dutroux.
L’affaire Dutroux jouée par des enfants : réussite totale
Là encore, le résultat est inquiétant mais très convaincant. Pour lui, le regard et les questions des enfants, jamais évoqués au théâtre, apportent une dimension supplémentaire.
Ces enfants sont soigneusement préparés, entourés de psychologues et de coachs, y compris sur scène, par l’excellent comédien Peter Seynaeve.
On connaît l’histoire tragique de Médée, abandonnée, trahie par son amant Jason et qui, par tristesse et par vengeance, tue leurs deux enfants.
Cette histoire fait écho à l’affaire Geneviève Lhermitte (elle n’est jamais nommée dans la pièce où elle s’appelle Amandine et où les protagonistes portent tous d’autres noms). En 2007, elle a tué ses cinq enfants avec un couteau de cuisine. Elle se sentait totalement déprimée, abandonnée et comme prisonnière de son mari et du médecin qui les avait pris, dit-il, sous son aile. Le 28 février, elle est euthanasiée, 16 ans jour pour jour après le terrible drame.
La chanson d’Arno
La pièce commence par une présentation : Peter Seynaeve se trouve face au public entouré d’enfants qu’il interroge sur leurs sentiments, sur ce que signifie pour eux l’amour, le fait d’être mère, la séparation, le drame. Le tout avec beaucoup de douceur et de fantaisie de la part des enfants, très à l’aise, des comédiens merveilleux ! Une façon de voir clairement que nous sommes au théâtre, lieu de « faire semblant ».
Petit à petit, la pièce se rejoue, celle d’Euripide et celle – mêlée – des meurtres d’Amandine. Comment ont-ils pu y arriver ?
Sur grand écran, le spectacle est présenté par des adultes sur la plage d’Ostende et, devant, sur scène, il est présenté en parallèle par les enfants. Un appareil que Milo Rau a déjà fréquemment utilisé.
Les enfants sont vêtus de gros manteaux lorsqu’ils jouent à Médée et Jason. Mais ils ont les vêtements d’aujourd’hui lorsqu’ils deviennent Amandine, le père ou le médecin.
Les enfants ne sont généralement jamais interrogés dans ces drames. Ici, les voir et les entendre apporte une dimension émotionnelle supplémentaire et ouvre de multiples questions sur une pièce (Médée) et un fait divers bien connu.
Milo Rau redonne des forces à Antigone, au milieu de l’Amazonie
Comme dans d’autres pièces, Milo Rau a choisi de montrer explicitement les cinq meurtres d’Amandine. Une scène difficile à regarder, presque insupportable, mais qui nous interroge. Nous vivons (enfants compris) remplis d’images bien plus terribles de la réalité en Ukraine, à Gaza, ou des noyés en Méditerranée, au point de n’y être plus sensibles. Pourquoi alors sommes-nous plus touchés par les scènes jouées au théâtre devant nous, donc simulées, que par la réalité véhiculée par les médias ?
La petite Ana commence à chanter Aux yeux de ma mère par Arno et c’est bouleversant : “Ma mère a quelque chose, quelque chose de dangereux.” Et Arno ajoute : « Il y a toujours une lumière dans les yeux de ma mère, il y a toujours une lumière. Je trouve toujours l’amour dans les yeux de ma mère, il y a toujours une lumière. Un très beau spectacle, fortement applaudi par le public.
Les Enfants de Médée seront joués sous-titrés en français au Tandem à Douai les 24 et 25 mai, sinon en tournée internationale en néerlandais surtitré en anglais à Amsterdam, Vienne, Venise et retour à Gand.
