« Cosy crime », un genre à la mode

« Cosy crime », un genre à la mode
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Le « crime douillet » des thrillers au nuage de lait

Isabelle Fauconnier

Publié aujourd’hui à 11h01

Il était une fois… Agatha Raisin, directrice d’une agence de communication à Londres, une quinquagénaire au caractère bien trempé, qui a décidé de prendre une retraite anticipée dans un village pittoresque des Cotswolds appelé Carsely. Pour s’intégrer, elle participe au concours de quiche local. Bon sang : non seulement elle ne gagne pas, mais en plus sa voisine meurt en mangeant un morceau de ce qu’elle avait cuisiné. Soupçonnée, elle est obligée de découvrir par elle-même qui a fait ça.

“La quiche fatale” est la première des aventures d’Agatha Raisin, une héroïne imaginée au début des années 1990 par l’écossaise Marion Chesney, alias MC Beaton, libraire, critique de théâtre et auteur de romans historiques avant de devenir l’une des romancières les plus titrées. lu en Grande-Bretagne.

Convaincue que le succès immédiat d’Agatha Raisin n’est qu’une absurde spécialité britannique, la snobe le phénomène, trop occupée à se gaver des crimes sanglants mis en scène par Chattam, Jean-Christophe Grangé ou Franck Thilliez.

Coup de tonnerre

Mais en 2015, alors que France 3 s’apprêtait à diffuser une adaptation télévisée des aventures d’Agatha Raisin, Anne Michel, responsable du secteur étranger aux éditions Albin Michel, se plongeait dans la lecture de la série. C’est un coup de foudre. « Marion Chesney était une star en Angleterre, raconte-t-elle, mais personne ne voulait la publier en France et, supposant que les romans n’étaient pas très bons, je les ai emportés un week-end pour trouver des arguments de refus. Dès le premier tome, je suis tombée sous le charme bourru d’Agatha. J’ai lu non pas un mais quatre romans ce week-end et je ne voulais pas quitter Carsely, ni Agatha and Friends. C’était une merveilleuse dépendance et je pensais que d’autres ressentiraient peut-être la même chose. Nous avons fait ce pari à une époque où le « crime douillet » n’était pas du tout à la mode en France. »

Albin Michel a publié les quatre premiers volumes de la série en 2016. C’est une réussite. « La quiche fatale » frôlait les 216 000 exemplaires la première année ! Plus de 15 millions d’exemplaires vendus plus tard dans le monde, dont 2 millions en France, c’est désormais l’auteur anglais Ted Green qui, depuis le tome 33 et la mort de MC Beaton en 2019, fait vivre la saga.

Dans « L’heure du crime », le 35e tome à paraître en juin, Agatha Raisin, la cinquantaine encore pimpante, doit organiser l’événement le plus glamour de l’année villageoise tout en résolvant une énigme vieille de quatre siècles. Outre son célèbre enquêteur, MC Beaton a également imaginé un héros : Hamish MacBeth, un policier bon enfant des Highlands écossais, dont treize de ses aventures n’ont pas encore été traduites.

Un « crime douillet » aux accents francophones

Le succès d’Agatha Raisin déclenche une vague inattendue de « crime douillet » en France. Nous traduisons ces romans de toutes nos forces tellement britannique mêlant dans une équation parfaite des cottages de charme, du Earl Grey au gallon, des clubs de copines de tous horizons, des fleuristes, des bibliothécaires ou des retraités, qui discutent et font des tartes tout en résolvant divers crimes et secrets de village. Les personnages centraux sont presque toujours des femmes, les dialogues sont humoristiques, il n’y a jamais de vulgarité ni de sexe, seulement parfois de chastes jeux de séduction.

Des auteurs français se lancent à leur tour dans l’aventure, parfois avec succès, à l’image du couple Margot et Jean Le Moal avec la série « Bretzel et beurre salé », cinq tomes déjà parus. Leur enquêtrice, Cathie Wald, est une pimpante divorcée strasbourgeoise qui ouvre un restaurant de spécialités alsaciennes dans un village du Finistère. Ou encore Mo Malo, créateur de la série « La Breizh Brigade », qui met en scène trois amis qui tiennent une maison d’hôtes à Saint-Malo et surpassent la police lorsqu’il s’agit de résoudre les meurtres et mystères locaux. La Bretagne vaut, à mon sens, la campagne anglaise.

Des histoires qui se terminent bien

Le succès de la série « Downton Abbey », qui dépeint une Angleterre pittoresque, est sûrement une des raisons de cet engouement. « Dans un monde incertain, sous la menace permanente de guerre et du changement climatique, on ne peut qu’être rassuré par la lecture d’un bon « crime douillet », car même s’il y a des meurtres, la paix finit toujours par revenir, analyse Anne Michel. Sans oublier l’humour qui fait de cette lecture un véritable moment de détente et de plaisir. Si le thriller ne connaît pas de crise, nous sommes nombreux à en avoir assez de sa violence.

Stéphanie Berg, responsable de l’offre polar à la librairie Payot de Lausanne, abonde dans le même sens : « Le crime douillet est une alternative bienvenue aux thrillers violents que l’on a vu fleurir ces vingt dernières années. Il permet aux lecteurs de continuer à lire des romans policiers mais sans les codes trash dont nous sommes saturés.

Le lecteur s’identifie aussi facilement aux « crimes douillets », car le personnage principal est un individu ordinaire qui s’improvise détective en utilisant des méthodes souvent très personnelles, à la manière du Cluedo.

Enfin, élément marketing incontournable, les couvertures de ces romans. « Ils sont parfaits, à leur manière ! Coloré, joyeux, toujours dessiné, avec des codes visuels très identifiables, comme les chats, les tasses de thé, les cottages anglais.

Un condensé de bons sentiments qui rappelle ouvertement un autre univers en plein essor : le feel good ! “Cozy crime”, c’est du bon suspense : les personnages ne doivent pas se remettre d’une tragédie mais élucider un mystère.

Un soupçon d’Agatha Christie

Qui dit Agatha Raisin dit évidemment Agatha… Christie ! Pour Stéphanie Berg, « les premiers « crimes douillets » ont été les romans d’Agatha Christie, notamment la série mettant en scène Miss Marple ».

Mais à cette comparaison, Anne Martinetti, auteure de « À la poursuite d’Agatha Christie », saute au plafond : « Agatha Raisin et le « crime douillet » sont certainement un bel hommage à Agatha Christie, et prouvent à quel point elle a joué un rôle de premier plan. rôle dans le roman policier. Mais hormis l’utilisation d’un cadre paisible et d’un microcosme apparemment sans histoire, il ne reste rien de ce qui rend Agatha Christie si spéciale pour moi : la critique sociale et politique, l’ironie, le féminisme, la lutte des classes. Chez Agatha Christie, il y a du fond, du sens. « Cozy crime » est un pur divertissement. Les personnages font des tartes aux pruneaux et prennent le thé, mais la plupart du temps sans profondeur. On retrouve un vague état d’esprit « Agatha » à travers des personnages de granny cakes très anglais, originaux, une sorte de Miss Marple contemporaine, mais aseptisée, stéréotypée.

Anne Martinetti, également écrivain culinaire et auteur, en 2005, de « Crèmes et châtiments – Recettes d’Agatha Christie », attribue cependant un mérite au genre « cosy » : il a remis au goût du jour la gastronomie britannique. « Quand j’ai publié ce livre il y a vingt ans, tout le monde méprisait cordialement la cuisine anglaise ! Maintenant, nous trouvons le l’heure du thé, club sandwichs au concombre ou tartelettes parfaitement exotique et parfaitement réconfortant !

D’ailleurs, Stéphanie Berg concocte une prochaine « Delicious Expo » à la librairie Payot Lausanne, qui mettra en avant le crime douillet sous l’angle de la nourriture qui y est consommée. Parfois en s’empoisonnant… Dans le crime douillet, le danger fait partie du plaisir.

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