une sombre histoire pour les femmes tuées et oubliées

une sombre histoire pour les femmes tuées et oubliées
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L’écrivaine américaine Tiffany McDaniel, en 2020. C JENNIFER MCDANIEL

« On the Savage Side », de Tiffany McDaniel, traduit de l’anglais (États-Unis) par François Happe, Gallmeister, 720 p., 27,90 €, numérique 18,90 €.

Tiffany McDaniel écrit depuis l’enfer. Celle de ses personnages, ravagés par un quotidien dur, en proie à l’intolérance, au racisme, à la drogue. Pour eux, l’écrivain gratte la merde. Sans faillir, elle sculpte le noir jusqu’à ce que la lumière surgisse, traçant pour certains le chemin de la rédemption, à l’instar des « petit Indien » de Betty (Gallmeister, 2020), son deuxième roman qui a retenu beaucoup d’attention. D’autres, en revanche, sombrent dans l’obscurité.

C’est le cas des protagonistes de Du côté sauvage, librement inspiré d’un fait divers : à Chillicothe (Ohio), six femmes ont disparu entre 2014 et 2015. Deux n’ont jamais été retrouvées. Le meurtre des quatre autres n’a pas été résolu. Il faut dire que les victimes étaient des prostituées et des toxicomanes. Des créatures marginales, dont la communauté se soucie peu et dont l’existence pèse si peu. Née non loin de Chillicothe, ville maudite hantée par la drogue, qui croupit sous le parfum méphistophélique d’une monstrueuse usine de papeterie, Tiffany McDaniel se penche sur leurs destins. Elle rend hommage aux disparus en esquissant une sombre histoire dont ils sont les héroïnes.

Arc et Duffy, jumeaux aux cheveux de feu et aux yeux fous, grandissent auprès d’une mère et d’une tante, Adelyn et Clover, toxicomanes et prostituées. Leur grand-mère, « Grand-mère Milkweed », les berce d’amour et d’histoires, dans l’espoir de leur donner la force dont ils auront besoin pour survivre dans cette foutue ville. Mais la vieille femme meurt trop vite, les laissant seuls avec leur mère dévastée. Les jeunes filles, plus tard les jeunes femmes, sauront néanmoins se réfugier dans l’imaginaire lorsque la réalité devient insupportable. Ce qu’il est presque tout le temps.

Pour entrer dans l’univers de McDaniel, le lecteur doit accepter son parti pris : ses personnages, aussi dépravés et peu scolarisés soient-ils, dialoguent sur le même registre – celui des mythes savants, de la poésie et des métaphores oniriques. Certains trouveront cela invraisemblable. D’autres s’attacheront encore plus aux jumeaux et à leurs compagnons d’infortune, happés par le sublime qui naît de l’horreur. Car le romancier ne vise pas le réalisme. Elle dote ces prostituées d’un langage à part, fait d’étoffe de rêve. Elle les couronne reines dans leur royaume, comme des sœurs majestueuses, des mères, des filles, tout sauf les anonymes vite oubliées dans les reportages sordides. Elle veut être aimée et ça marche.

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