Dominique Venner, l’éminence brune qui a façonné l’extrême droite française

Dominique Venner, l’éminence brune qui a façonné l’extrême droite française
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Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cet inconnu du grand public ?

Justement parce que c’est un homme de l’ombre. J’ai connu son influence pour avoir couvert le Front national et l’extrême droite au début de ma carrière de journaliste à Libérer, dans les années 1990. Je l’ai rencontré de loin, notamment au parti FN, le parti Bleu blanc rouge, où les auteurs d’extrême droite rencontraient leurs fans. Je savais combien les cadres, dirigeants et sympathisants du FN aimaient lire Dominique Venner, qu’il s’agisse de ses livres sur l’extrême droite, l’histoire, la chasse ou les armes. J’ai aussi connu l’influence de son texte fondateur, Pour un avis positif, qu’il a écrit en 1962 alors qu’il était en prison. C’est une sorte de bréviaire qui s’est transmis de génération en génération parmi les militants d’extrême droite. J’ai également été intrigué par son suicide dans la cathédrale Notre-Dame de Paris.

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Ce livre vous a-t-il demandé beaucoup de travail d’investigation ?

Oui, mais je ne me suis jamais infiltré. J’ai lu ses livres et contacté notamment sa veuve et les quatre amis avec qui il a déjeuné avant de se suicider. J’ai mené des entretiens. Il s’agit d’une véritable enquête journalistique, au plus près de la réalité. C’est tout à fait exact. C’est aussi un portrait plus psychologique. J’essaie de me mettre dans la tête de Dominique Venner en m’appuyant sur ces témoignages et sur ses écrits dans lesquels il parle d’extrême droite, de défense de l’Occident, de race, d’identité…

Il a eu ces obsessions très tôt. Comment est-il arrivé là ?

Je pense que l’expérience fondatrice pour Dominique Venner, c’est son engagement dans l’armée à 17 ans, puis dans la guerre d’Algérie. Il a soif de combats virilistes. Il aime les armes, la guerre, la discipline, le courage. En Algérie, il veut défendre ce qu’il appelle « la race », la « civilisation occidentale » qui serait menacée par l’Afrique, par l’immigration. Et avant cela, il y a un univers enfantin qui a sans doute façonné son imaginaire et qui s’articule autour de trois figures. Il y a son père, membre du Parti populaire français de Jacques Doriot et maréchaliste sans être un collaborateur actif, ce qui a également déçu son fils. Il y a ensuite sa mère, décédée très jeune mais décorée par le régime de Vichy. Et enfin, il y a la grand-mère, qui aime l’action, l’occupation et les soldats allemands. Elle les trouve respectueux, disciplinés et élégants.

Vous dites que Dominique Venner devient un pionnier de la haine qui s’appuie aussi sur la théorie du grand remplacement et qui œuvre pour que son idéologie prenne forme. “Venner, l’assiégé, devient le prophète du fiel. », vous écrivez. Et il glisse à ses amis avant de se suicider : «Ce qui compte c’est la transmission »…

Il leur a également demandé de lancer un institut, l’Institut Iliade, qui organise des conférences, des stages, etc. On y croise de jeunes identitaires, des cadres d’extrême droite, plus issus de la Reconquête d’Éric Zemmour que du Rassemblement national de Marine Le Pen. L’héritage de Dominique Venner est profond. Elle est ancrée dans une conscience politique d’extrême droite, mais il y a une prudence tactique de la part du RN qui ne veut pas afficher ce cousinage. Si vous interrogez Marine Le Pen à son sujet, elle vous dira que c’est de la préhistoire, mais lorsqu’il s’est suicidé, elle a vanté son «dernier geste éminemment politique » et sa volonté »pour essayer de réveiller le peuple français ».

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Cette attitude fait partie de l’héritage de Dominique Venner. Celui-ci n’est pas seulement idéologique, il est aussi stratégique ?

Dominique Venner est l’un des tout premiers, sinon le premier, à inventer cet art de la dissimulation. Il l’a théorisé lorsqu’il a créé le Parti nationaliste en 1958. Il a dit qu’il fallait utiliser des mots inoffensifs et parler sous-entendu pour ne pas effrayer et ratisser large. Il écrit ceci mais il ne peut pas le faire lui-même. En revanche, Marine Le Pen et le RN ont bien retenu la leçon.

Ses idées semblent infuser aujourd’hui dans le monde politique, au-delà de l’extrême droite, ainsi que dans la société et les médias, avec des personnalités au premier plan et une nébuleuse en arrière-plan, très active sur les réseaux sociaux…

C’est la grande différence entre les années 1960 et aujourd’hui. Si l’extrême droite n’a pas fondamentalement changé, elle s’est modernisée dans sa capacité à communiquer. Ses militants semblent déterminés, comme dans un sectarisme aveugle. Leur vision du monde est totalitaire. Elle n’accepte ni la nuance ni le doute. Cela dit, il serait catastrophique que les politiques hostiles à l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir disent que l’immigration ne pose aucun problème, qu’il n’y a pas d’angoisse identitaire, qu’elle est fantasmée par l’extrême droite et que ce sujet ne doit pas être abordé. être traité ou même évoqué. Le monde d’aujourd’hui est plus mixte qu’il y a 30, 40 ou 50 ans. On ne peut nier cette réalité qui peut interroger une partie de la population.

Les réponses proposées par le RN sont de plus en plus populaires. Le parti arrive en tête des sondages pour les élections européennes du 9 juin, alors que 2027 et la prochaine présidentielle ne sont pas si loin. Cette percée du RN est-elle une victoire posthume pour Dominique Venner ?

Oui et non. C’est le cas d’un point de vue idéologique, de la vision du monde de Dominique Venner. Mais c’est aussi un échec relatif car pour faire avancer cette vision, le RN doit se déguiser encore plus qu’il ne l’aurait accepté. C’est tout le paradoxe de l’art de la dissimulation : il permet au RN de ratisser plus large, mais cette banalisation ne peut-elle pas se retourner contre le RN ? Je n’ai pas la réponse.


« Les assiégés. Dans la tête de Dominique Venner, le gourou caché de l’extrême droite”de Renaud Dély, Éditions Jean-Claude Lattès, 2024, 246 p.

 
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